IT ALI A FARA DA SE.
i.
Parole présomptueuse, ont répété à l'envi tous ceux qui ne croient qu'à la religion du succès ; —
parole prophétique, disent et ne cesseront de dire tous ceux qui suivent sérieusement l'étonnant travail
de cohésion que poursuit sans relâche cette Angleterre du Midi qui s'appelle l'Italie, vaste ruche
toujours en action, dont les progrès essentiellement pratiques sont un démenti de tous les instants à
l'accusation dirigée contre les races latines par les esprits profonds pour qui le comble de la sagesse
fut de considérer l'Italie comme une expression géographique.
Si, pour recouvrer son indépendance, ses seules forces, après tant et de si longues années
d'oppression, étaient évidemment insuffisantes, il n'en est pas moins vrai que l'effort national suffit
seul et exclusivement à rendre l'œuvre de délivrance durable, et c'est là une métamorphose bien
autrement extraordinaire aux yeux de quiconque a souvenance du passé historique du pays, de ses
divisions de toute nature, de ses rivalités intestines sans nombre. Ce miracle se réalise par le fait de
l'ardent patriotisme qui anime toutes les classes sociales, tous les partis, et impose immédiatement
silence à leurs prétentions les plus opposées, du moment où il s'agit de vitalité nationale. Sur ce
terrain-là tout le monde se trouve d'accord. Sains patnœ, suprema lex : instinctivement, d'un bout à
l'autre de l'Italie, on ne connaît point d'autre devise.
Et ce n'est pas seulement dans ce que les politiques ordinaires regardent comme les éléments
constitutifs d'un peuple, mais aussi dans ce qu'ils ne sont que trop portés à envisager comme un superflu
luxueux dont il sera toujours temps de s'occuper plus tard, que se poursuit l'œuvre progressive et
incessante de régénération. Les illustres souvenirs artistiques du xve et du xvie siècle sont pour la
nation nouvelle un héroïque stimulant; elle ne se contente pas de rêver une autre Renaissance, elle
la veut et elle sait intelligemment vouloir. Elle n'a pas le sot orgueil de se refuser à imiter ce qui s'est
fait d'utile ailleurs; elle s'assimile sans bruit tout ce qui, à l'étranger, a produit de fructueux résultats
dans le domaine de l'art; elle est criblée de dettes , et son gouvernement et ses municipalités n'hésitent
pas à s'imposer sacrifices sur sacrifices pour multiplier les écoles et les expositions et créer de nou-
veaux musées, tout en réorganisant splendidement et en développant les merveilleuses collections
anciennes devenues propriétés nationales. Je serais injuste si je n'ajoutais que l'initiative individuelle
contribue puissamment aussi à étendre ces admirables semailles qui permettent d'espérer la plus
glorieuse récolte.
Profondément impressionné par ces faits qu'il m'a été donné d'observer à chaque instant, je me
surprenais à répéter sans cesse la prophétie du roi Charles-Albert : Italiafarci da se! et c'est pour
rendre hommage à ce jeune pays, qui fait preuve de tant de maturité d'esprit, que j'inscris cette vail-
lante parole en tète de mes notes de voyage. Je doute fort que ces notes soient dignes d'une si
noble contrée; une seule chose peut les recommander : leur entière bonne foi.
II.
Je suis de mon siècle et je ne le trouve pas un siècle de décadence ; — au contraire. Il est des
esprits chagrins qui nient tout progrès et je compte des amis parmi ceux que révolte la loi du progrès ;
j'en suis bien fâché, mais je ne me sens nulle disposition à m'amender pour satisfaire leurs utopies
rétrogrades. De Paris à Modane, je me suis laissé bercer, avec une résignation qui ne m'a pas coûté
cher, par plus d'une lamentation toute faite sur l'absence désormais complète de pittoresque du
i.
Parole présomptueuse, ont répété à l'envi tous ceux qui ne croient qu'à la religion du succès ; —
parole prophétique, disent et ne cesseront de dire tous ceux qui suivent sérieusement l'étonnant travail
de cohésion que poursuit sans relâche cette Angleterre du Midi qui s'appelle l'Italie, vaste ruche
toujours en action, dont les progrès essentiellement pratiques sont un démenti de tous les instants à
l'accusation dirigée contre les races latines par les esprits profonds pour qui le comble de la sagesse
fut de considérer l'Italie comme une expression géographique.
Si, pour recouvrer son indépendance, ses seules forces, après tant et de si longues années
d'oppression, étaient évidemment insuffisantes, il n'en est pas moins vrai que l'effort national suffit
seul et exclusivement à rendre l'œuvre de délivrance durable, et c'est là une métamorphose bien
autrement extraordinaire aux yeux de quiconque a souvenance du passé historique du pays, de ses
divisions de toute nature, de ses rivalités intestines sans nombre. Ce miracle se réalise par le fait de
l'ardent patriotisme qui anime toutes les classes sociales, tous les partis, et impose immédiatement
silence à leurs prétentions les plus opposées, du moment où il s'agit de vitalité nationale. Sur ce
terrain-là tout le monde se trouve d'accord. Sains patnœ, suprema lex : instinctivement, d'un bout à
l'autre de l'Italie, on ne connaît point d'autre devise.
Et ce n'est pas seulement dans ce que les politiques ordinaires regardent comme les éléments
constitutifs d'un peuple, mais aussi dans ce qu'ils ne sont que trop portés à envisager comme un superflu
luxueux dont il sera toujours temps de s'occuper plus tard, que se poursuit l'œuvre progressive et
incessante de régénération. Les illustres souvenirs artistiques du xve et du xvie siècle sont pour la
nation nouvelle un héroïque stimulant; elle ne se contente pas de rêver une autre Renaissance, elle
la veut et elle sait intelligemment vouloir. Elle n'a pas le sot orgueil de se refuser à imiter ce qui s'est
fait d'utile ailleurs; elle s'assimile sans bruit tout ce qui, à l'étranger, a produit de fructueux résultats
dans le domaine de l'art; elle est criblée de dettes , et son gouvernement et ses municipalités n'hésitent
pas à s'imposer sacrifices sur sacrifices pour multiplier les écoles et les expositions et créer de nou-
veaux musées, tout en réorganisant splendidement et en développant les merveilleuses collections
anciennes devenues propriétés nationales. Je serais injuste si je n'ajoutais que l'initiative individuelle
contribue puissamment aussi à étendre ces admirables semailles qui permettent d'espérer la plus
glorieuse récolte.
Profondément impressionné par ces faits qu'il m'a été donné d'observer à chaque instant, je me
surprenais à répéter sans cesse la prophétie du roi Charles-Albert : Italiafarci da se! et c'est pour
rendre hommage à ce jeune pays, qui fait preuve de tant de maturité d'esprit, que j'inscris cette vail-
lante parole en tète de mes notes de voyage. Je doute fort que ces notes soient dignes d'une si
noble contrée; une seule chose peut les recommander : leur entière bonne foi.
II.
Je suis de mon siècle et je ne le trouve pas un siècle de décadence ; — au contraire. Il est des
esprits chagrins qui nient tout progrès et je compte des amis parmi ceux que révolte la loi du progrès ;
j'en suis bien fâché, mais je ne me sens nulle disposition à m'amender pour satisfaire leurs utopies
rétrogrades. De Paris à Modane, je me suis laissé bercer, avec une résignation qui ne m'a pas coûté
cher, par plus d'une lamentation toute faite sur l'absence désormais complète de pittoresque du