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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Ménard, René: Le Bernin en France
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0288

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L'ART.

de son règne. Louis XIV lui écrivit donc : « Très-Saint-Père, ayant déjà reçu, d'ordre de Votre
Sainteté, deux dessins pour mon bâtiment du Louvre, d'une main aussi célèbre que l'est celle du
cavalier Bernin, je devrais plutôt penser à la remercier de cette grâce qu'à lui en demander une
nouvelle. Mais comme il s'agit d'un édifice qui, depuis plusieurs siècles, est la principale habitation
des rois les plus zélés pour le Saint-Siège qu'il y ait dans toute la chrétienté, je crois pouvoir
m'adresser à V. S. avec toute confiance. Je la supplie donc, si son service le lui permet, d'ordonner
audit cavalier de venir faire un voyage ici pour terminer son travail. V. S. ne pourrait m'accorder
une plus grande faveur dans la circonstance présente, et j'ajouterai qu'en aucun temps elle ne
pourrait en faire à une personne qui soit avec plus de vénération et plus d'attachement que moi,
Très-Saint-Père, votre dévoué fils. (Signé) LOUIS. — Paris, 18 avril 1665. »

Le duc de Créqui vint en grande cérémonie remettre cette lettre au pape et se rendit ensuite
chez le Bernin, en compagnie de tout son cortège officiel. L'autorisation de voyage fut donnée, mais
pour trois mois seulement, et les termes mêmes de la lettre du pape montrent qu'il ne cédait qu'à
contre-cœur au désir du plus puissant roi de l'Europe. Cette lettre est écrite en latin :

« A notre très-cher fils en Jésus-Christ, Louis, roi de France, très-chrétien, Alexandre, pape,
salut : Mon bien-aimé fils, le très-noble seigneur duc de Créqui, ambassadeur de Votre Majesté,
nous a remis vos lettres, et nous prie instamment de vous accorder, pour trois mois, la présence
à Pnris de notre cher fils le cavalier Bernin. Bien que cet artiste soit nécessaire ici pour la
construction des portiques du Vatican et pour les autres bâtiments de Saint-Pierre, néanmoins,
voulant écarter tout obstacle, nous vous donnons volontiers cette preuve de notre grande bienveil-
lance envers vous, saisissant cette occasion d'envoyer à Votre Majesté, du fond de notre cœur
paternel, notre bénédiction apostolique. Donné à Rome, à Sainte-.Marie-Majeure, sous l'anneau du
pécheur, le 23 avril de l'an 1665, de notre pontificat le onzième. »

Le roi de France avait poussé la galanterie jusqu'à envoyer à l'artiste un maître d'hôtel et tout
un personnel domestique, et le voyage triomphal du Bernin s'accomplit dans des conditions dont
l'histoire de l'art n'offre pas d'autre exemple. A Florence, le grand-duc fit mettre à sa disposition le
palais Riccardi et sa propre litière pour l'accompagner jusqu'à la frontière. A Lyon, les artistes, les
ingénieurs et une quantité de curieux allèrent au-devant de lui dans la campagne, et les autorités
qui le reçurent aux portes de la ville le complimentèrent au nom du roi, suivant un cérémonial qui
n'était usité que pour les princes du sang. Partout où il passait, la population accourait pour voir
l'hôte du roi de France, et Baldinucci, qui a publié les lettres du Bernin, en cite une où l'artiste,
pourtant bien habitué aux honneurs, dit, en plaisantant, qu'un éléphant en voyage n'inspirerait pas
plus de curiosité dans la campagne.

Aussitôt que le Bernin fut arrivé à Paris, Colbert vint lui rendre visite et fixer l'entrevue avec
le roi qui eut lieu le 4 juin 1665. Toute la cour était piquée par la curiosité; celle du roi fut
tellement vive, qu'oubliant l'étiquette, il n'attendit pas que le cavalier lui fût présenté, et, s'avançant
vers la porte du salon, il souleva la portière de sa main royale pour voir plustôt le grand artiste. Le
Bernin était un homme d'esprit et un parfait courtisan : il demanda à faire avant toute autre chose
le portrait du roi, et pendant qu'il y travaillait, il ne ménageait pas les flatteries à son modèle. Il
savait y mettre un à-propos que toute la cour admirait. Louis XIV, selon la mode du temps, portait
des mèches de cheveux qui, descendant presque jusqu'aux sourcils, cachaient ainsi une grande partie
du front. L'artiste travaillait à son buste, quand, cédant à une soudaine inspiration, il se lève, et,
relevant doucement les cheveux de son modèle, s'écrie qu'un pareil front devait être connu de
l'univers. Le mot fut trouvé adorable et tout Paris le répétait le lendemain : si bien que la mode
survint de se coiffer à la Bernin, c'est-à-dire en laissant le front plus découvert.

Cependant Colbert, qui était homme de goût en même temps qu'homme d'État, ne goûtait nulle-
ment le plan adopté par le Bernin pour l'achèvement du Louvre. Il regrettait toujours la grande
colonnade du médecin Claude Perrault, dont le frère, Charles Perrault, était premier commis à la sur-
intendance des bâtiments. Celui-ci, qui désirait la commande pour son frère, ne manquait pas d'attirer
l'attention de Colbert sur les défauts du projet et de lui faire mettre le doigt sur la plaie. Il faisait au
Bernin une guerre sourde, une guerre de courtisan, dont il a lui-même raconté les péripéties dans ses
 
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