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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 8.1882 (Teil 1)

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Arnaud, Angélique: Franҫois del Sarte, [1]: épisodes révélateurs
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https://doi.org/10.11588/diglit.19293#0093

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FRANÇOIS

1

DEL SARTE

ÉPISODES RÉVÉLATEURS2

I

J’ai, dans un précédent article, donné un résumé de la
biographie et un aperçu de la méthode de François del Sarte.
Il m’a semblé qu’il ne serait pas hors de propos de montrer
par quels indices il fut arhené à sa critique de l’enseignement
officiel pratiqué jusqu’alors; et comment, par suite, il fut
conduit à l'incessante recherche des lois de l’esthétique, qu’il
a poursuivie depuis son extrême jeunesse jusqu’à sa mort. Il a
pris soin de les noter lui-même,, et nous n’avons guère qu’à
transcrire les notes de premier jet, où il nous fait assister.à
l’éveil de son étonnement devant ce qu’il a nommé depuis
« l’inanité, l’inconsistance, les contradictions, des écoles d’art,
officielles ou privées ».

Le manuscrit dont je parle et qui porte pour titre Epi-
sodes révélateurs commence ainsi, sans préambule :

« Il s’agissait d’une scène des Maris-Garçons. Le jeune
officier dont j’étudiais le rôle rencontrait, après quelques
années, son ancien hôtelier, et, comme il lui devait quelque
argent, il veut se montrer expansif : « — Eh bonjour! papa
« Dugrand », dit-il en l’abordant. Cette apostrophe .est donc
mêlée de surprise, de rondeur militaire et de gaieté.

« Dès les premiers mots, je fus arrêté par une difficulté à
peu près insurmontable touchant le geste. Quoi que je fisse, la
façon dont j’abordais ce papa Dugrand était grotesque, et
toutes les leçons que je recevais sur cette scène n’y chan-
geaient rien. Tel autre élève à ma place eût passé outre; mais,
plus la difficulté semblait insurmontable, plus mon ardeur
s’exaltait. Cependant mes peines étaient en pure perte.

« — Ce n’est pas cela », disaient mes professeurs !

« Mon Dieu, je sentais bien comme eux que ce n’était pas
cela; mais ce que je ne voyais pas, c’était en quoi ce n’était
pas cela. Il paraît que là-dessus mes professeurs n’en savaient
pas plus que moi, puisqu’ils ne pouvaient me dire précisé-
ment en quoi ma manière différait de la leur.

« La spécification de cette différence m’eût éclairé; mais
tout demeurait, chez eux comme chez moi, subordonné aux
vues incertaines d’un vague instinct.

n — Fais comme moi », me disaient-ils à tour de rôle.

« Parbleu ! la chose était plus facile à dire qu’à faire.

« — Mets plus d’empressement à aborder ton papa Du-
o grand ! »

« Plus mon empressement était grand, plus ma gaucherie
était risible.

« — Regarde, suis bien mes mouvements !

« — Je regarde, mais je ne sais par quel bout m’y prendre
« pour vous imiter, je ne saisis pas les détails de votre geste.
(Ils variaient à chaque reprise.)

« — Tu ne comprends pas! Tu ne comprends pas! Il
« faut que ta raison soit bien bouchée... Tu vois bien que la
« première chose est de tendre les bras à ton papa Dugrand,

« puisque tu as tant de plaisir à le revoir! »

« Je tendais bien les bras, mais mon corps, ne suivant pas
le mouvement, manquait toujours d’aplomb, et mon profes-
seur, à défaut des principes qui eussent pu réformer ma gau-
cherie persistante, s’en prenait toujours à ma pauvre intelli-
gence.

« Après tant de leçons il m’avait été impossible d’enregis-

trer autre chose qu’un exemple muet, lequel n’avait pas même
pour moi l’avantage d’être conforme à lui-même. »

C’était, on le voit, une véritable obsession à laquelle notre
jeune étudiant était en proie.

Dans le laisser-aller de la copie, avant le bon à tirer, il
donne large carrière à ce souvenir. Je ne le suivrai pas dans
toutes ses digressions.

« Dieu sait pourtant, dit-il en terminant le dialogue entre
lui et ses professeurs, avec quelle ardeur je cultivais mon papa
Dugrand ! J’en rêvais toutes les nuits ; je m’y cramponnais avec
toutes les violences du désespoir, car je ne voulais pas être
vaincu ! J’ennuyais mes camarades, et mes professeurs finirent
par me refuser leurs leçons sur le sujet, mais rien ne put
vaincre l’ardeur de mon zèle. »

Cette persistance obstinée, cette passion du vrai pressenti
et cherché, qui absorbait l’adolescent à l’égal d’un premier
amour, obtinrent enfin leur récompense : del Sarte va racon-
ter lui-même la scène égayante qui fut pour lui une consola-
tion et un espoir et qui eut de si précieux résultats dans
l’avenir.

« Un jour j’arpentais à l’ordinaire, dit-il, la cour du Con-
servatoire en compagnie de mon papa Dugrand, et je répétais
mon bonjour sur tous les tons, lorsque, tout à coup, après
avoir prononcé :

« Bonjour, pa... », je m’arrêtai court, sans achever ma
phrase. Elle avait été interrompue par la vue d’un mien cou-
sin dont j’étais loin d’attendre la visite.

« -— Eh bonjour! dis-je cette fois, bonjour, cher cou... »

« Ici ma parole fut de nouveau interrompue par une sur-
prise bien autrement grande que la première : c’est que, frappé
de l’analogie de ce bonjour et de l’attitude imprévue que j’avais
prise sous l’action d’un sentiment vrai, je me mis à crier :
« Laisse-moi... Ne me trouble pas... Je le tiens... Attends-
« moi... Reste là... Je le tiens !

« — Mais qui donc tiens-tu?

« — Eh parbleu! mon papa Dugrand! »

« Là-dessus, je disparais pour courir à mon miroir et re-
produire l’effet que j’avais surpris.

« Ce geste ne répondait pas à ce qui m’avait été prescrit.
Il était aussi harmonieux que vrai : c’est la nature elle-même
qui venait de me l’indiquer.

« Voici ce qui s’était passé :

« Mes bras ne s’étaient point avancés vers l’objet de ma
surprise, et mon corps s’était soudainement porté en arrière.

« Quel renversement de toutes prévisions ; quel démenti
donné à mes professeurs ! Quels arguments eussent-ils pu invo-
quer devant la vérité elle-même?

« Quoi, me dis-je, mes maîtres ignorent donc absolument
les procédés naturels?

« Revenu à mon cousin que j’expédiai vite, non sans penser
à la fragilité du cœur, je me livrai aux réflexions interrom-
pues. »

A ce moment de son récit, del Sarte se livre à des consi-
dérations sur la raison humaine et la raison des choses,
auxquelles nous ne nous arrêterons pas, parce qu’elles appar-
tiennent à la théologie philosophique plutôt qu’à la science de
l’esthétique. Je me bornerai à ce qui concerne l’art spéciale-
ment.

«Je conclus que la raison est aveugle en matière de prin-

1. Voir l'Art, 7“ année, tome IV, pages 196 et 213.

2. Sous ce titre, François del Sarte a laissé un manuscrit inachevé, qui montre avec quelle persistance il observait et analysait les faits qui pouvaient
servir à son instruction artistique. I

I 2

Tome XXVIII.
 
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