A. L. C. PAGNEST
1790-18191
cette exposition de 1808, les chefs de
l’école française, avec un tableau em-
prunté à la vie moderne, avaient voulu
montrer comme une sorte de protestation
contre « les bottes et les habits brodés »
un tableau emprunté à la vie antique.
Deux des maîtres, seuls, fidèles à leur
génie, avaient résisté à ce compromis
avec leur conscience, Gros en restant
tout entier aux sujets contemporains,
Prud’hon tout entier aux sujets mytho-
logiques et allégoriques. Prud’hon don-
nait ïEnlèvement de Psyché et la Justice
et la Vengeance divine poursuivant le
crime; Gros donnait le portrait équestre
du roi de Westphalie, le portrait en
pied du général Lasalle, une page admi-
rable, et cette grande œuvre : le Champ
de bataille d’Eylau. Tous ces tableaux
si importants sont, les uns dans le salon
carré de l’école française au Louvre, les
autres à Versailles. Au second plan,
parmi les modernes, venaient (et on les
retrouve à Versailles) Carie Vernet et
Austerlity Berthon, Gautherot, Meynier, Peyron, Debret, Sérangéli ; parmi les classiques
renforcés : Ducis, J. Franque, Grandin, Guillemot, Heim, à ses débuts; Loudon, le directeur
des Annales du Musée ; les deux Lemire, Lemonnier avec une toile énorme, Mlle Mayer, l’amie
et l’élève de Prud’hon ; Delécluze, qui devait plus tard tenir au Journal des Débats « le sceptre
de la critique » ; Fabre, que Paul-Louis Courier a immortalisé en le mettant en scène dans la
Conversation che{ la comtesse d’Albany; Bourdon, qui, non content de faire du grec de seconde
main dans son art, empruntait ses motifs au Télémaque. ■— N’est-ce pas la princesse Belgiojoso
qui, une trentaine d’années plus tard, voyageant en Grèce et relâchant à Ithaque, eut la curiosité
de relire /’Odyssée, puis Télémaque? Je 11e me rappelle plus ce qui advint du poème homérique;
quant au livre de Fénelon, il eut un sort funeste. Arrivée au passage où, pour l’arracher aux
séductions de Calypso, le brave Mentor précipite le héros dans la mer, la princesse impatientée
envoya le volume rejoindre Télémaque au fond des eaux. Le goût du vrai avait en si peu de
temps gagné bien du terrain.
Curieuse année pour l’art que 1808! David est tout-puissant, ses principes triomphent sans
l’ombre de résistance. Jamais le maître et ses élèves n’ont déployé plus de talent au service d’une
cause mauvaise : et pourtant déjà l’on voit poindre la réaction. Aux paysages de Bertin et de
(suite)
Lettre tirée de l’alphabet de Théodore de Bry.
1. Voir l’Art, 8e année, tome Ie'', pages 178 et 197.
1790-18191
cette exposition de 1808, les chefs de
l’école française, avec un tableau em-
prunté à la vie moderne, avaient voulu
montrer comme une sorte de protestation
contre « les bottes et les habits brodés »
un tableau emprunté à la vie antique.
Deux des maîtres, seuls, fidèles à leur
génie, avaient résisté à ce compromis
avec leur conscience, Gros en restant
tout entier aux sujets contemporains,
Prud’hon tout entier aux sujets mytho-
logiques et allégoriques. Prud’hon don-
nait ïEnlèvement de Psyché et la Justice
et la Vengeance divine poursuivant le
crime; Gros donnait le portrait équestre
du roi de Westphalie, le portrait en
pied du général Lasalle, une page admi-
rable, et cette grande œuvre : le Champ
de bataille d’Eylau. Tous ces tableaux
si importants sont, les uns dans le salon
carré de l’école française au Louvre, les
autres à Versailles. Au second plan,
parmi les modernes, venaient (et on les
retrouve à Versailles) Carie Vernet et
Austerlity Berthon, Gautherot, Meynier, Peyron, Debret, Sérangéli ; parmi les classiques
renforcés : Ducis, J. Franque, Grandin, Guillemot, Heim, à ses débuts; Loudon, le directeur
des Annales du Musée ; les deux Lemire, Lemonnier avec une toile énorme, Mlle Mayer, l’amie
et l’élève de Prud’hon ; Delécluze, qui devait plus tard tenir au Journal des Débats « le sceptre
de la critique » ; Fabre, que Paul-Louis Courier a immortalisé en le mettant en scène dans la
Conversation che{ la comtesse d’Albany; Bourdon, qui, non content de faire du grec de seconde
main dans son art, empruntait ses motifs au Télémaque. ■— N’est-ce pas la princesse Belgiojoso
qui, une trentaine d’années plus tard, voyageant en Grèce et relâchant à Ithaque, eut la curiosité
de relire /’Odyssée, puis Télémaque? Je 11e me rappelle plus ce qui advint du poème homérique;
quant au livre de Fénelon, il eut un sort funeste. Arrivée au passage où, pour l’arracher aux
séductions de Calypso, le brave Mentor précipite le héros dans la mer, la princesse impatientée
envoya le volume rejoindre Télémaque au fond des eaux. Le goût du vrai avait en si peu de
temps gagné bien du terrain.
Curieuse année pour l’art que 1808! David est tout-puissant, ses principes triomphent sans
l’ombre de résistance. Jamais le maître et ses élèves n’ont déployé plus de talent au service d’une
cause mauvaise : et pourtant déjà l’on voit poindre la réaction. Aux paysages de Bertin et de
(suite)
Lettre tirée de l’alphabet de Théodore de Bry.
1. Voir l’Art, 8e année, tome Ie'', pages 178 et 197.