L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

27 Août 1876. i

l'homme du jour

M. LANGLOIS

Celui dont nous présentons au public la figure
énergique et vive, est un démenti vivant au pro-
verbe : faire plus de bruit que de besogne. M. Lan-
glois fait beaucoup de bruit, c'est un fait indénia-
ble, mais il fait aussi beaucoup de besogne : il n'est
plus permis d'en douter. Cette activité fébrile s'est
portée, s'est
concentrée sur
une tâche con-
sidérable : l'é-
tude du budget
de la guerre, et
tout le monde
en a profité,
M . Langlois,
l'armée et le
pays. '

Ancien offi-
cier de marine,
ancien disciple
de Proudhon,
ancien orateur
des clubs, où il
défendait, avec
une ardeur
tempétueuse et
des gestes furi-
bonds,des idées
essentielle -
ment modérées,
Langlois fut élu
après le 4 sep-
tembre com-
mandant d'un
bataillon de la
garde nationale
parisienne,
dans lè quar-
tier de l'Opéra,
des comédiens,
des artistes et

des gens de lettres. A la formation des régiments
de marche, il fut nommé colonel et soutint vaillam-
ment devant l'ennemi l'honneur de la garde civique
et du parti républicain. Blessé à l'épaule à Buzen-
val, c'est le bras en écharpe qu'il parut, pour la pre-
mière fois, à la tribune de l'Assemblée à Bordeaux.
Cette noble blessure ne lui épargna pas les injures
des hobereaux énergumènes qui insultaient Gari-
baldi et se plaignaient que Victor Hugo ne parlât
pas français.

Député de la Seine à la dernière Assemblée,
M. Langlois, le fougueux colonel Langlois, montra
à la tribune la même ardeur emportée, mais bon-
homme et vaillante, qu'il avait montrée à la tète de
la garde nationale, et s'il fatiguait quelquefois son
auditoire par son intempérance de langage, il n'en
conquit pas moins sa sympathie et son estime. C'est
que dans le déluge de phrases hachées, haletantes,
de saillies parfois triviales mais saines, qu'il lais-
sait tomber du haut de la tribune prise d'assaut;

c'est qu'à travers ses éclats de voix, et dans le tour-
billon de son geste affolé, on saisissait souvent une
pensée juste et patriotique, exprimée avec vigueur,
et qui pénétrait profondément l'esprit de l'Assem-
blée.

Après la dissolution, la candidature du colonel
Langlois fut posée dans deux circonscriptions, dans
le 7° arrondissement de Paris et dans la 2e circons-
cription de l'arrondissement de Pontoise (Seine-et-
Oise). Dans le premier collège, ayant eu un peu
moins de voix que son concurrent républicain, M. le

docteur Fré-
bau 11, il se
retira après le
premier tour,
de scrutin.
Dans le second,
il fut élu à une
grande majo-
rité. A la nou-
velle Chambre,
son ambition se
tourna aussitôt
vers la commis-
sion du budget.
Il fut nommé
commissaire, et
bientôt après
rapporteur du
budget de la
guerre. Il était
au comble de
ses vœux !

Dire l'ardeur
qu'il déploya
dans l'accom-
plissement de
cette redouta-
ble et difficile
mission est im-
possible. Pen-
dan t quatre
mois, il ne vé-
cut qu'au mi-
lieu des chiffres,
des tarifs, tota-
lisant les centimes, supputant les millions, faisant
la chasse aux doubles emplois, furetant dans tous
les coins et recoins, dénichant les économies à faire,
les abus à corriger. Dans les bureaux de la guerre,
à toute heure du jour et quelquefois de la nuit, on
voyait accourir le rapporteur Langlois, qui venait
réclamer un dossier, des fiches, des états. Il était
devenu la terreur des comptables et malgré tout
leur ami, car ils sentaient à merveille que ce n'était
pas pour le plaisir de les ennuyer qu'il était tou-
jours sur leur dos, mais comme il est dit dans les
ordonnances, « pour le bien du service ».

Quand le grand jour de la discussion publique ar-
riva, Langlois, fort de ses travaux et de sa cons-
cience, rayonnait et promenait sur ses contradic-
teurs possibles un fier regard de dépit. Il s'en pré-
senta fort peu, et Langlois les terrassa aux applau-
dissements de la Chambre. Aujourd'hui, après tant
de labeurs, de fièvre et de discours, il goûte un re-
pos bien mérité. Que les vacances lui soient propices !