134
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
12 Novembre 1876.
ESTELLE & NÉIYIORIN
Voici trente ans qu'Estelle et Némorin s'ennuient
à l'hôtel du Grand-Cerf, chambre n° 8, dans deux
petits cadres noirs.
Némorin a un chapeau plat relevé par un nœud
de fleurs ; une cravate à la Colin tombe le long de
son gilet, attendant les brises printanières, et des
étoiles innombrables parsèment sa jaquette lilas. Il
tient, non sans candeur, une brassée de pampres en
clinquant mêlés de quelques grappes en or rouge.
Un chien frisé lui flaire les mains.
Estelle est plus belle encore.
Sur sa robe de satin, comme on en porte aux
champs, autour de son cou, dans ses cheveux et
dans son bonnet de dentelles, le faiseur d'estampes
a jeté à profusion de la poussièrede verre qui reluit,
et collé çà et là des fleurs en paillon et des orne-
ments en papier découpé.
Elle vient de cueillir un énorme bouquet d'herbes
folles que broute son mouton galant.
Malgré leur costume merveilleux, Estelle et Némo-
rin s'ennuient.
Ils avaient été faits pour se regarder éternelle-
ment : Némorin, placé à droite et souriant ; Estelle,
à gauche, les yeux amoureux et son doigt fin posé
sur sa bouche.
Mais l'hôtesse qui les acheta, femme sûrement
respectable, ne comprit rien aux intentions naïves
de l'artiste, et accrocha nos deux amants à l'envers.
Depuis ce temps, Némorin, le dos tourné, sourit
de son immuable sourire rose aux vitres de la fe-
nêtre et aux passants de la rue; tandis que, chose
horrible à dire, c'est au lit d'auberge, au vulgaire
lit à rideaux blancs que le mauvais goût provincial
a décoré d'un éclatant liseré de calicot rouge, c'est
au lit des rouliers et des marchands de bœufs que
l'innocente Estelle prodigue ses agaceries !
Ce spectacle me remua.
Moi à qui, vers l'époque lointaine dont je parle,
il arrivait souvent, par suite d'une de ces liaisons
passagères, mais mal assorties, comme en contracte
la jeunesse, de sourire avec des larmes dans les yeux,
je compris quel profond désespoir se cachait sous
l'air souriant de Némorin et d'Estelle.
J'étais seul; l'Ange adoré venait précisément de
descendre à la cuisine, en peignoir du matin, pour
SCÈNES PARISIENNES. — Plaine Saint-Denis.
LE DÉPART.
Le jour qui commence est un dimanche, et pas un magasin de !a rue du Sentier n'est ouvert. — M. Beauvisage a abandonné son rayon
lorsque le premier du soleil apparaissait ; arrivé en rase campagne il se renseigne. — Cette chasse n'est pas gardée, Mademoiselle ? — Quelle
chasse donc? n'y a point de chasse. On voit bien des mossieux avec des guêtres, des chiens et des fusils, mais pour de la chasse n'y a
point de chasse,
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
12 Novembre 1876.
ESTELLE & NÉIYIORIN
Voici trente ans qu'Estelle et Némorin s'ennuient
à l'hôtel du Grand-Cerf, chambre n° 8, dans deux
petits cadres noirs.
Némorin a un chapeau plat relevé par un nœud
de fleurs ; une cravate à la Colin tombe le long de
son gilet, attendant les brises printanières, et des
étoiles innombrables parsèment sa jaquette lilas. Il
tient, non sans candeur, une brassée de pampres en
clinquant mêlés de quelques grappes en or rouge.
Un chien frisé lui flaire les mains.
Estelle est plus belle encore.
Sur sa robe de satin, comme on en porte aux
champs, autour de son cou, dans ses cheveux et
dans son bonnet de dentelles, le faiseur d'estampes
a jeté à profusion de la poussièrede verre qui reluit,
et collé çà et là des fleurs en paillon et des orne-
ments en papier découpé.
Elle vient de cueillir un énorme bouquet d'herbes
folles que broute son mouton galant.
Malgré leur costume merveilleux, Estelle et Némo-
rin s'ennuient.
Ils avaient été faits pour se regarder éternelle-
ment : Némorin, placé à droite et souriant ; Estelle,
à gauche, les yeux amoureux et son doigt fin posé
sur sa bouche.
Mais l'hôtesse qui les acheta, femme sûrement
respectable, ne comprit rien aux intentions naïves
de l'artiste, et accrocha nos deux amants à l'envers.
Depuis ce temps, Némorin, le dos tourné, sourit
de son immuable sourire rose aux vitres de la fe-
nêtre et aux passants de la rue; tandis que, chose
horrible à dire, c'est au lit d'auberge, au vulgaire
lit à rideaux blancs que le mauvais goût provincial
a décoré d'un éclatant liseré de calicot rouge, c'est
au lit des rouliers et des marchands de bœufs que
l'innocente Estelle prodigue ses agaceries !
Ce spectacle me remua.
Moi à qui, vers l'époque lointaine dont je parle,
il arrivait souvent, par suite d'une de ces liaisons
passagères, mais mal assorties, comme en contracte
la jeunesse, de sourire avec des larmes dans les yeux,
je compris quel profond désespoir se cachait sous
l'air souriant de Némorin et d'Estelle.
J'étais seul; l'Ange adoré venait précisément de
descendre à la cuisine, en peignoir du matin, pour
SCÈNES PARISIENNES. — Plaine Saint-Denis.
LE DÉPART.
Le jour qui commence est un dimanche, et pas un magasin de !a rue du Sentier n'est ouvert. — M. Beauvisage a abandonné son rayon
lorsque le premier du soleil apparaissait ; arrivé en rase campagne il se renseigne. — Cette chasse n'est pas gardée, Mademoiselle ? — Quelle
chasse donc? n'y a point de chasse. On voit bien des mossieux avec des guêtres, des chiens et des fusils, mais pour de la chasse n'y a
point de chasse,
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Scénes Parisiennes. - Plaine Saint-Denis
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Kommentar
Unidentifizierte Signatur
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré, 9.1876, S. 27_154
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg