n Novembre 1876 L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
155
y surveiller de ses propres yeux la confection d'un
certain chocolat de son invention, miraculeux, di-
sait-elle, avant de se remettre en route.
Une envie me prit, enfantine ou sublime, comme
il vous plaira :
— Si je décrochais les deux tableaux, et si, les
replaçant dans le sens que l'artiste a voulu, je
rendais le berger à sa bergère ?
Me voilà, très-ému, escaladant une chaise, puis la
vieille commode vénérable et ventrue, au risque de
renverser tout, globes, Jésus de cire et porcelaines ;
et déjà, debout sur la pointe des pieds, je tenais
l'intéressante Estelle, lorsque la porte s'ouvre.
— Veux-tu bien vite raccrocher ça, imbécile ! me
criait l'Ange adoré, m'apparaissant, une tasse dans
chaque main, au milieu des odorantes fumées qu'ex-
halait son chocolat à la crème.
Je sautai par terre piteusement.
— Que diable manigançais-tu là-haut?
L'Ange adoré, pour mon malheur, était une belle
personne de Picardie, blanche et d'aspect joyeux,
mais encline à la matérialité, et peu faite, en somme,
pour comprendre ce que mon dessein avait de sub-
til et de poétique.
— Rien, rien... Je ne manigançais rien, lui répon-
dis-je en rougissant jusqu'au blanc des yeux, tant
j'avais une peur horrible de ses railleries.
Je fus faible, je l'avoue. Notre chocolat pris, je
montai on diligence, sans même oser regarder les
malheureux amants.
Pourtant, après quelques lieues, quand il n'était
plus temps, l'idée me revint de leur triste sort, de
l'abandon où je les laissais, et ma lâcheté me fit
honte.
' L'Ange adoré, la tête à la portière, considérait le
paysage, et riait en voyant défiler les arbres alignés
sur les bords de la route.
Je profitai de sa distraction pour faire le récit de
mon aventure à un monsieur ganté de noir, cravaté
de blanc, notaire ou médecin, qui s'en allait expé-
dier un mourant je ne sais où, et qui devait le soir
même retourner au pays que nous quittions.
— Voulez-vous, Monsieur, lui disais-je, m'épar-
gner de cuisants remords? Allez ce soir à l'hôtel du
Grand-Cerf, demandez la chambre n° 8, montez sur
la grande commode, et...
Le monsieur me laissa finir, puis il releva ses lu-
nettes d'or sur son front, et me foudroya de ses
yeux pâles.
Il me prenait pour un mystificateur ou pour un
fou.
Pauvre Estelle! Pauvre Némorin !
SCENES PARISIENNES. — Plaine Saint-Denis.
GRANDES ESPERANCES DEÇUES.
Satané Gamin! en place ! Pyrame flaire une piste ! 1
- Pas de.danger, nVsieu, qu'il s'envole, raide comme il est depuis tantôt deux ans.
155
y surveiller de ses propres yeux la confection d'un
certain chocolat de son invention, miraculeux, di-
sait-elle, avant de se remettre en route.
Une envie me prit, enfantine ou sublime, comme
il vous plaira :
— Si je décrochais les deux tableaux, et si, les
replaçant dans le sens que l'artiste a voulu, je
rendais le berger à sa bergère ?
Me voilà, très-ému, escaladant une chaise, puis la
vieille commode vénérable et ventrue, au risque de
renverser tout, globes, Jésus de cire et porcelaines ;
et déjà, debout sur la pointe des pieds, je tenais
l'intéressante Estelle, lorsque la porte s'ouvre.
— Veux-tu bien vite raccrocher ça, imbécile ! me
criait l'Ange adoré, m'apparaissant, une tasse dans
chaque main, au milieu des odorantes fumées qu'ex-
halait son chocolat à la crème.
Je sautai par terre piteusement.
— Que diable manigançais-tu là-haut?
L'Ange adoré, pour mon malheur, était une belle
personne de Picardie, blanche et d'aspect joyeux,
mais encline à la matérialité, et peu faite, en somme,
pour comprendre ce que mon dessein avait de sub-
til et de poétique.
— Rien, rien... Je ne manigançais rien, lui répon-
dis-je en rougissant jusqu'au blanc des yeux, tant
j'avais une peur horrible de ses railleries.
Je fus faible, je l'avoue. Notre chocolat pris, je
montai on diligence, sans même oser regarder les
malheureux amants.
Pourtant, après quelques lieues, quand il n'était
plus temps, l'idée me revint de leur triste sort, de
l'abandon où je les laissais, et ma lâcheté me fit
honte.
' L'Ange adoré, la tête à la portière, considérait le
paysage, et riait en voyant défiler les arbres alignés
sur les bords de la route.
Je profitai de sa distraction pour faire le récit de
mon aventure à un monsieur ganté de noir, cravaté
de blanc, notaire ou médecin, qui s'en allait expé-
dier un mourant je ne sais où, et qui devait le soir
même retourner au pays que nous quittions.
— Voulez-vous, Monsieur, lui disais-je, m'épar-
gner de cuisants remords? Allez ce soir à l'hôtel du
Grand-Cerf, demandez la chambre n° 8, montez sur
la grande commode, et...
Le monsieur me laissa finir, puis il releva ses lu-
nettes d'or sur son front, et me foudroya de ses
yeux pâles.
Il me prenait pour un mystificateur ou pour un
fou.
Pauvre Estelle! Pauvre Némorin !
SCENES PARISIENNES. — Plaine Saint-Denis.
GRANDES ESPERANCES DEÇUES.
Satané Gamin! en place ! Pyrame flaire une piste ! 1
- Pas de.danger, nVsieu, qu'il s'envole, raide comme il est depuis tantôt deux ans.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Scénes Parisiennes. - Plaine Saint-Denis
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré, 9.1876, S. 27_155
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg