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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 1.1875 (Teil 1)

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Genevay, Antoine: Jean Baptiste Isabey, [2]
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https://doi.org/10.11588/diglit.16670#0071

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enfant de troupe, et ces femmes, toutes parées qu'elles fussent, n'étaient point nées dans les palais.
L'artiste n'avait que deux jours devant lui. Heureusement il eut une idée qu'un philosophe aurait pu
lui envier. 11 court chez un marchand de jouets, achète une centaine de poupées, passe la nuit à leur
tailler fracs, uniformes, robes, manteaux, qu'il barbouille à la hâte. 11 fait ainsi un pape, un empereur,
une impératrice, des rois, des reines, des princesses, affaire de costume ; puis, jetant pêle-mêle dans
une boîte toutes ces grandeurs, le lendemain il vole à Fontainebleau, où se trouvait la cour.

Le régisseur est arrivé, il a dressé son théâtre sur une table; on appelle l'empereur, l'impératrice,
tous les figurants; ils accourent; Isabey place devant eux ses marionnettes, les fait marcher, saluer,
suivant le cérémonial, les pose, les groupe, joue si bien la répétition que le [lendemain il n'y eut
pas d'accroc ; la pièce fut représentée aux applaudissements des spectateurs.

Isabey, dès lors, eut la haute main sur les fêtes de la nouvelle cour. Ce fut l'époque la plus
brillante de sa carrière artistique : il peignit Pie VII, Joséphine, Murât, Talleyrand, Louis, fils aîné du
roi de Hollande, et bien d'autres célébrités encore. Cependant ce ne fut qu'en 1806 qu'il reçut le
brevet conçu en termes assez étranges de « dessinateur du cabinet de Sa Majesté, peintre des cérémo-
nies et des relations extérieures ». Créé dessinateur du sceau des titres, en outre il présidait à Sèvres
l'atelier des peintres. Il y fournit le dessin d'une table où Napoléon était représenté entouré de ses
maréchaux. Cette table, dite des Maréchaux, est passée en Angleterre.

Lorsque le mariage de l'empereur avec Marie-Louise fut arrêté, le vainqueur de Wagram fit trois
commandes à Isabey. Il lui demanda pour Marie-Louise son portrait en costume impérial, son
portrait en pied, en costume de chasseur de la garde qu'il voulait faire monter sur une bague, et enfin
une troisième miniature dont le sujet, chef-d'œuvre d'un goût inepte, devait être placé sur le premier
feuillet d'un agenda. Nous en copions textuellement la description : « Cette miniature représentera deux
colombes dans le casque de Vénus (sic) et un aigle tenant une rose blanche. » — Faites donc de l'art
avec un tel programme! En le transmettant à Isabey, M. de Rémusat ajoutait : '( Sur le second feuillet
de l'agenda, on mettra des vers à la Paix. L'empereur vous autorise à vous adresser pour ces vers à
Évariste Parny. »

Plus tard, Isabey fit un portrait de l'impériale Allemande, û la couronna de roses. Prud'hon avait
été nommé son professeur de peinture, mais l'élève ne possédait pas le feu sacré. A l'heure de la
leçon, elle disait : « M. Prud'hon, j'ai sommeil! — Eh bien, que Sa Majesté dorme, » répondait
Prud'hon. Elle fermait les yeux, et le peintre de Psyché, prenant son claque, s'en allait à bas bruit.

A son tour Isabey fut chargé d'enseigner le dessin et l'aquarelle à la fille des Césars1. Elle avait,
dit-on, profité de ses leçons. Que l'on nous permette d'en douter, elle n'avait aucun goût pour les arts.
Isabey le reconnaissait. Interrogé sur le sort de sa bague et de la précieuse miniature, il nous disait
avec une certaine amertume : « Quoiqu'elle eût été exécutée à la pointe d'une aiguille, c'était, peut-
être, ce que j'avais peint le plus largement. Je ne sais pas ce qu'elle en aura fait;... oubliée au fond d'un
coffre ou donnée à une femme de chambre... elle ne se souciait point de ces choses-là. »

Marie-Louise envoya Isabey à Vienne pour peindre les membres de la famille impériale. Est-ce
à ce voyage, ou plus tard, en 1814 j que se rapporte l'anecdote suivante que le peintre en ses vieux
jours racontait, non sans une certaine teinte de regret.

Il se trouvait donc à Vienne avec son gendre Cicéri, il possédait une assez forte somme. Cicéri
arrive un matin et trouve son beau-père une plume à la main.

« Que fais-tu là?

— Mon cher, il faut de la prévoyance. J'écris à un notaire de Paris de m'acheter une maison. »
Cicéri se laissa tomber dans un fauteuil et prit une mine consternée en murmurant :

« Es-tu malade?

— Je me porte à merveille.

— Alors tu es fou; il faut te soigner! Quoi, malheureux, tu veux être propriétaire! Est-ce que
l'on peut être propriétaire et artiste? Propriétaire! propriétaire! Isabey propriétaire! Quelle horreur! »

Sur ces belles raisons, la lettre commencée fut déchirée; Isabey confessa que le diable lui avait

1. Son brevet porte cette clause : « Le professeur ne devra pas retoucher les dessins de l'impératrice. »
 
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