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Rousseau, Jean: Corot, [2]
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270 L'ART.
domine par une préoccupation évidente, celle du style. Ce n'est pas Corot qui prend, qui ramasse le
premier motif venu. Il choisira son site, et dans ce site son arbre, et dans cet arbre les cinq ou six
accents qui donnent la silhouette et le mouvement. La mission qu'il a prise, c'est de dire les beautés
et les poésies de la nature, les sourires attendris de l'aube, la solennelle mélancolie des soirs, les
fantômes qui dansent dans le brouillard au bord des rivières, et la paix profonde des maisonnettes
endormies sous les feuillages, et la pureté salubre d'un ciel d'été, où il veut qu'on entende monter à
la fois la chanson du laboureur à sa charrue et de l'alouette dans les blés. Ce frisson d'admiration
qui saisit l'artiste devant les splendeurs du monde créé, personne mieux que Corot n'a su le faire
passer sur sa toile. Les autres sont des miroirs. Celui-là est une âme.
Une Tempé a Ville-d'Avray1.
Dessin d'Edmond Yon, gravure de Langeval.
Mais ses paysages composés! Certes ils ne sont pas toujours aussi rendus que ses études d'après
nature; ces rêves peints d'ailleurs n'avaient que faire d'une réalisation si positive. Mais quels élans
superbes d'invention chez ce bonhomme si simple et si peu théâtral! Qu'il fait beau surtout voir, à
certaines heures, ce talent souriant se transformer brusquement, prendre des accents tragiques, et,
mettant ses pipeaux de côté,
Ajouter à sa lyre une corde d'airain!
Je range, pour ma part, ces changements à vue de Corot parmi les phénomènes les plus éton-
nants que présente l'histoire de l'art. Le maître, dit-on, a légué au Louvre deux de ces paysages
dramatiques, YAgar au désert et le Dante. Je n'ai pas vu YAgar, œuvre de ses premiers temps; mais
personne n'a encore oublié le Dante, un des événements du Salon de 1859.
1. Tableau entièrement peint par Corot d'après nature.
domine par une préoccupation évidente, celle du style. Ce n'est pas Corot qui prend, qui ramasse le
premier motif venu. Il choisira son site, et dans ce site son arbre, et dans cet arbre les cinq ou six
accents qui donnent la silhouette et le mouvement. La mission qu'il a prise, c'est de dire les beautés
et les poésies de la nature, les sourires attendris de l'aube, la solennelle mélancolie des soirs, les
fantômes qui dansent dans le brouillard au bord des rivières, et la paix profonde des maisonnettes
endormies sous les feuillages, et la pureté salubre d'un ciel d'été, où il veut qu'on entende monter à
la fois la chanson du laboureur à sa charrue et de l'alouette dans les blés. Ce frisson d'admiration
qui saisit l'artiste devant les splendeurs du monde créé, personne mieux que Corot n'a su le faire
passer sur sa toile. Les autres sont des miroirs. Celui-là est une âme.
Une Tempé a Ville-d'Avray1.
Dessin d'Edmond Yon, gravure de Langeval.
Mais ses paysages composés! Certes ils ne sont pas toujours aussi rendus que ses études d'après
nature; ces rêves peints d'ailleurs n'avaient que faire d'une réalisation si positive. Mais quels élans
superbes d'invention chez ce bonhomme si simple et si peu théâtral! Qu'il fait beau surtout voir, à
certaines heures, ce talent souriant se transformer brusquement, prendre des accents tragiques, et,
mettant ses pipeaux de côté,
Ajouter à sa lyre une corde d'airain!
Je range, pour ma part, ces changements à vue de Corot parmi les phénomènes les plus éton-
nants que présente l'histoire de l'art. Le maître, dit-on, a légué au Louvre deux de ces paysages
dramatiques, YAgar au désert et le Dante. Je n'ai pas vu YAgar, œuvre de ses premiers temps; mais
personne n'a encore oublié le Dante, un des événements du Salon de 1859.
1. Tableau entièrement peint par Corot d'après nature.