L'ART.
peu et quand on y est, on doit s'y plaire, » — Je le crois bien. Quelles fraîches verdures, quels soleils
rayonnants finissent par se dégager de ces vapeurs légères, espèce de voile sous lequel toutes les
choses gardent leurs valeurs relatives! La nature elle-même n'est-elle pas l'Isis toujours voilée, grâce
à l'air qui l'enveloppe, grâce à la lumière même qui la baigne et en adoucit toutes les teintes ? Faites
une épreuve, d'ailleurs. Comparez, dans une exposition, Corot aux peintres qui l'avoisinent, et
demandez-vous lequel ressemble le plus à de la vie et le moins à de l'enluminure.
Mais il ne fait que des ébauches ?
— C'est selon. Ne vous arrêtez pas au fini extérieur, faites les sommes de qualités qui peuvent
entrer dans chaque peinture. Où trouver des sites plus élégamment composés que les siens, — une
finesse plus rare dans l'étude de tous les rapports, de toutes les valeurs, — une lumière plus sereine,
une atmosphère plus limpide, des eaux plus fraîches, des ciels plus profonds, et enfin, comme
résultantes finales, des impressions plus émues et plus contagieuses? Avouez qu'avec la moitié
seulement de ces qualités on ferait encore une jolie réputation de paysagiste.
Mais cette exécution par touches sommaires, fuyantes, qui semblent ne vouloir rien arrêter1?
Mais cette indécision de l'aspect? — J'ai dit avec quel raffinement elle est calculée en vue d'exprimer
le mouvement, la vibration éternelle des choses. Comme résultat, d'est l'illusion même. Ces quelques
traits disent tout. On voit les végétations de Corot s'agiter, ployer, s'enchevêtrer, pulluler littéra-
lement sous le regard, tant chaque touche tombe juste et bien dans le sens de la forme et du mou-
vement. Pour moi, Corot est le plus prodigieux des exécutants, en cela admirable surtout qu'il est
toujours la liberté, la spontanéité même ; que son procédé ne se laisse jamais voir et qu'on ne sait,
comme disait quelqu'un, comment c'est peint, avec le pied ou avec la main.
Je résumerai toutes mes impressions en un mot. Corot, le dernier poëte du paysage, Ccrot, le
dernier styliste, Corot est ce qu'avaient rêvé de devenir ses maîtres Michallon et Bertin, Corot est
un Grec! Certes il appartient par plus d'un côté à la France ; sa netteté d'impression, sa légèreté
d'allure sont bien des qualités françaises; ce talent si fin dans cette naïveté si exquise fait tout
d'abord penser à La Fontaine. Mais pris dans l'ensemble, les principes, les tendances générales de son
œuvre, Corot est grec comme jamais amateur ni professeur de grec ne l'a été. Il l'est parla sobriété de
son exécution, par le choix sévère et exquis du détail, par l'admirable logique de l'ordonnance, par
i. Il exécutait encore plus sommairement ses autographes. On pourra en juger par celui que nous donnons ici, un des plus longs qu'il
ait écrits.
peu et quand on y est, on doit s'y plaire, » — Je le crois bien. Quelles fraîches verdures, quels soleils
rayonnants finissent par se dégager de ces vapeurs légères, espèce de voile sous lequel toutes les
choses gardent leurs valeurs relatives! La nature elle-même n'est-elle pas l'Isis toujours voilée, grâce
à l'air qui l'enveloppe, grâce à la lumière même qui la baigne et en adoucit toutes les teintes ? Faites
une épreuve, d'ailleurs. Comparez, dans une exposition, Corot aux peintres qui l'avoisinent, et
demandez-vous lequel ressemble le plus à de la vie et le moins à de l'enluminure.
Mais il ne fait que des ébauches ?
— C'est selon. Ne vous arrêtez pas au fini extérieur, faites les sommes de qualités qui peuvent
entrer dans chaque peinture. Où trouver des sites plus élégamment composés que les siens, — une
finesse plus rare dans l'étude de tous les rapports, de toutes les valeurs, — une lumière plus sereine,
une atmosphère plus limpide, des eaux plus fraîches, des ciels plus profonds, et enfin, comme
résultantes finales, des impressions plus émues et plus contagieuses? Avouez qu'avec la moitié
seulement de ces qualités on ferait encore une jolie réputation de paysagiste.
Mais cette exécution par touches sommaires, fuyantes, qui semblent ne vouloir rien arrêter1?
Mais cette indécision de l'aspect? — J'ai dit avec quel raffinement elle est calculée en vue d'exprimer
le mouvement, la vibration éternelle des choses. Comme résultat, d'est l'illusion même. Ces quelques
traits disent tout. On voit les végétations de Corot s'agiter, ployer, s'enchevêtrer, pulluler littéra-
lement sous le regard, tant chaque touche tombe juste et bien dans le sens de la forme et du mou-
vement. Pour moi, Corot est le plus prodigieux des exécutants, en cela admirable surtout qu'il est
toujours la liberté, la spontanéité même ; que son procédé ne se laisse jamais voir et qu'on ne sait,
comme disait quelqu'un, comment c'est peint, avec le pied ou avec la main.
Je résumerai toutes mes impressions en un mot. Corot, le dernier poëte du paysage, Ccrot, le
dernier styliste, Corot est ce qu'avaient rêvé de devenir ses maîtres Michallon et Bertin, Corot est
un Grec! Certes il appartient par plus d'un côté à la France ; sa netteté d'impression, sa légèreté
d'allure sont bien des qualités françaises; ce talent si fin dans cette naïveté si exquise fait tout
d'abord penser à La Fontaine. Mais pris dans l'ensemble, les principes, les tendances générales de son
œuvre, Corot est grec comme jamais amateur ni professeur de grec ne l'a été. Il l'est parla sobriété de
son exécution, par le choix sévère et exquis du détail, par l'admirable logique de l'ordonnance, par
i. Il exécutait encore plus sommairement ses autographes. On pourra en juger par celui que nous donnons ici, un des plus longs qu'il
ait écrits.