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L' art décoratif: revue de lárt ancien et de la vie artistique moderne — 7,1.1905

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Félice, Roger de: La peinture aux salons
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https://doi.org/10.11588/diglit.44575#0274
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L’ART DECORATIF

où la simplification aussi de la couleur sont
évidemment discutables, mais sont décora-
tives au suprême degré. On peut admirer
cette chaude coloration orangée, bleue, vio-
lette, et des parties tout à fait charmantes
comme l’enfant agenouillé au premier plan;
on peut aimer en M. Maurice Denis un
vrai et profond poète primitif, un des nobles
artistes de ce temps, on le peut, je vous
assure, sans s’affilier pour cela à la petite
secte qui proclame que Cézanne est Dieu,
et que Gauguin était son prophète.
J’aime beaucoup les imageries de
M. Maxence. Il est facile de railler sa mi-
nutie à peindre tous les cils de ses figures
allégoriques, les moindres fibrilles de leurs
iris agatisés, les stries imperceptibles de la
pulpe d’une lèvre; mais qu’importe, si
l’effet d'ensemble, à distance, est large et
harmonieux? Si l’on découvre des beautés
nouvelles à mesure que l’on approche et
scrute le détail, c’est apparemment qu’il y
a dans cette peinture une plus grande somme
de beautés que dans une autre. Cet amour
fervent et naïf de la perfection, devant quoi
l’on s’extasie quand on le rencontre chez
un Primitif flamand, pourquoi ne pas
l’admirer aussi chez un contemporain?
M. Maxence nous fait revoir, emmantelé
d’hermine, tenant à deux mains un cristal
violet, devant un champ de névé bleuâtre,
le joli modèle blond, à l’expression candide,
à la lèvre courte, aux pommettes accentuées
qui figurait l’an dernier dans le tableau
intitulé Vers l'idéal. Cette fois, c’est L’Ame
du Glacier, la plus parfaite à mon goût de
la belle série des Ames de la nature. La
Rieuse est moins bien venue : elle rit mal.
Sur un fond bizarre, blanchâtre, de mer
et de plans successifs d’îlots rocheux dé-
coupés comme des coulisses de théâtre,
M. Auburtin a dressé ses coutumières
silhouettes dansantes de vierges à peine
femmes. Elles sont conduites par un étrange
Centaure joueur de cornemuse, apparenté
aux monstres mythologiques de Bôcklin,
dont la partie humaine est immense et la
partie bestiale toute rabougrie. Je sais bien
ce qu’il y a de discutable en cette peinture
très factice, aux colorations crayeuses;
mais ces sveltes et juvéniles figures ont
une beauté d’attitudes, une pureté de lignes,
une fermeté de style dans la grâce, qui
leur donnent une haute et durable valeur.

La place de M. Aman-Jean est bien
ici, quoique cette année aucun de ses
envois ne soit à proprement parler un
décor. Ses accords de beaux tons mats,
voilés, à peine rompus; l’élégance de son
dessin languide, aux courbes onduleuses et
synthétiques, ont un caractère décoratif
très accusé. Rarement il avait réalisé des
harmonies plus parfaites que dans les deux
tableaux (dont l’un a été reproduit ici récem-
ment) où des jeunes filles tiennent des vases
bleus de Sèvres. M. Aman-Jean, comme on
disait jadis, n’a qu’une corde à sa lyre,
mais quelles suaves modulations il sait en
tirer !
Voici enfin, de Willette, le célèbre pan-
neau qui fut l'orgueil, aux temps héroïques,
du défunt cabaret du Chat-Noir, et qui fait
halte au Salon avant d’aller au Luxembourg.
Très heureusement patiné et, si l’on peut
dire, « culotté » par la fumée de tant de
pipes, il est plus délicieux que jamais, avec
son ton de grisaille doucement échauffée
de roux, avec sa verve débridée et mouillée
de larmes, qui n’a point vieilli. L’artiste a
mis une glose au bas de son allégorie
tragi-comique, funambulesque et sentimen-
tale. Il nous a raconté avec des mots l’his-
toire des petites communiantes, dont la
candeur est aussi éphémère que celle de la
neige sur les toits de Montmartre, et qui,
séduites par l’or des Pierrots riches ou la
poésie des Pierrots pauvres, finissent par
se venger en les poussant à la ruine, au
duel, au suicide. Et celles qui étaient laides
se sont faites religieuses; ce sont elles qui
emportent le cercueil de Pierrot vers un
ciel où les étoiles sont des étoiles de corps
de ballet. Mais le commentaire était su-
perflu; l’œuvre parle assez par elle-même,
folle bacchanale et pitoyable calvaire, où
tourbillonnent ensemble les «sergots», les
balayeurs, les trottins, où cahotent un fiacre
de l’Urbaine et un omnibus « Batignolles-
Clichy-Odéon », sous le regard d’une lune
qui est une tête de mort. Ce Willette, en
son genre, est un homme de génie, un
glorieux fils de la plus pure lignée fran-
çaise; Watteau et Fragonard ne renieraient
pas ce descendant ultra-moderne.
Ai-je donné trop de place à la peinture
décorative? Je ne le crois pas. Elle est
vraiment représentée, à ce Salon, par nombre
d’œuvres de premier ordre. Par contre, la

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