lv INTRODUCTION.
leur parlaient que de gloire et de puissance, il aurait été dangereux de leur montrer l'instabilité des choses humaines,
et l'orgueil ne tarda pas à être suivi des châtiments qu'il traîne toujours à sa suite. Platon, déguisant la vérité sous des
formes séduisantes, avait contribué à augmenter l'enivrement public en disant « que si le soin de notre bétail et de nos
« troupeaux est confié à des êtres qui leur sont supérieurs en intelligence, le gouvernement des nations et des hommes
« devrait exiger l'intelligence et le pouvoir des dieux et des génies. » Hélas! les dieux et les génies remontèrent vers
l'Olympe, dès que le peuple-roi eut mis le pied sur le territoire de la Hellade. Il avait trouvé les Grecs divisés. Le règne
auguste des lois était remplacé chez eux par l'esprit funeste des factions, qui semblaient n'avoir gardé de l'antique
énergie que l'impossibilité pour les Hellènes de vivre soumis à aucune espèce d'autorité.
Pausanias, qui voyageait dans la Grèce vers le deuxième siècle de l'ère vulgaire, ne la trouva plus libre, mais encore
ornée des monuments et des ouvrages de ses principaux artistes. Quelques villes étaient, à la vérité, ruinées; mais
le mal n'était pas aussi grand qu'on pourrait l'imaginer, d'après le récit de Strabon, qui n'avait pas parcouru ce pays-
Le sang dont Sylla avait fait regorger la Céramique était étanché. On montrait, en soupirant, les piédestaux et les
niches d'un grand nombre de statues que les Romains avaient transportées en Italie ! Ils avaient fait main-basse sur
quelques tableaux des grands maîtres ; mais aucun d'eux n'avait osé profaner les chefs-d'œuvre de Phidias qui déco-
raient le Parthénon; un pareil sacrilège était réservé au XIXe siècle.
Les pertes qu'on avait faites étaient devenues moins sensibles depuis qu'Hérode Atticus avait restauré la ville de
Thésée et le Pirée, revêtu le stade d'Athènes en marbre du Pentélique, et relevé un grand nombre de villes. De
pareils bienfaits s'étaient étendus jusqu'à Oricum, ville située à l'extrémité de l'Acrocéraune, où les Pélasges plaçaient
l'Hespérie, qui était pour eux le terme de la course du soleil, quand il cessait d'éclairer la Grèce. Hadrien avait rebâti
Corinthe et embelli le stade de Pise. L'Altis était encore paré des statues des héros et des vainqueurs couronnés dans les
fêtes d'Olympie. Eleusis, que Néron avait craint de souiller de sa présence, jouissait de tout son éclat ; et des théories
nombreuses fréquentaient le Sécos, qu'Aristote nomme le temple de toute la terre. Tel était l'état du territoire classique
au IIe siècle ; mais les Grecs étaient loin d'avoir épuisé toutes les vicissitudes du malheur. Agélas de Naupacte n'avait
que trop prévu les désastres qui menaçaient la Hellade. Les restaurations de ses monuments, comme il le disait, ne lui
avaient pas rendu sa vigueur première, et ils étaient destinés à s'écrouler bientôt, ainsi que les monuments et les temples
des dieux, sous les coups des autocrates théologiens de Constantinople, qui firent entrer l'Etat dans l'Église.
Il est juste, dit Diodore de Sicile, et important à la société humaine, que ceux qui ont abusé de leur puissance
pour faire le mal soient livrés à une malédiction éternelle. Constantin et Théodose surtout mériteront à ce titre un
anathème éternel pour le tort qu'ils firent aux monuments et aux chefs-d'œuvre de la Hellade. On vit, au temps de ces
monarques et de leurs successeurs, qui ordonnèrent la destruction des monuments élevés à la gloire des dieux et des
grands hommes, disparaître le patriotisme et les vertus des citoyens ! Si on mesurait l'intervalle entre les écrits phi-
losophiques de Platon et la légende de Théodoret, entre le caractère de Socrate et celui de Siméon Stylite, on appré-
cierait, dans toute la vérité, la révolution que l'empire grec, devenu chrétien, éprouva dans une période de cinq cents ans.
Les peuples qu'on appelait barbares parurent avec les premiers siècles de notre ère. Dès ce temps, l'autorité des
autocrates de Constantinople, comme celle des sultans qui leur ont succédé, devint un problème qu'il fallut résoudre,
presque annuellement, les armes à la main.
Les Scythes, qui avaient parcouru la Macédoine au temps de l'empereur Gallien, menacé Thessalonique et Athènes ;
les Hérules, que les Grecs avaient vus piller Sparte, Corinthe, Argos, lorsque Athènes fut sauvée par la bravoure
de Dexippe, homme également connu dans les lettres et dans les armes, avaient passé comme des torrents, entre
les années 260 et 268. L'archontat avait été aboli; et le stratège, ou inspecteur des marchés aux herbes potagères
et au poisson, avait remplacé le magistrat éponyme qui donnait son nom à l'année.
En 269, sous le règne de Claude II, nom de stupide mémoire, les Goths s'étaient emparés de la ville de Minerve,
lorsque le docte Cléomède, ayant rassemblé des soldats, battit et dispersa les barbares, prouvant, comme le remarque
M. de Chateaubriand , que la science n'exclut pas le courage. Il paraît néanmoins que les malheurs publics s'oublièrent
assez promptement, car Athènes fut une des premières à décerner des honneurs à Constantin, et à en recevoir des grâces,
ou plutôt des humiliations. L'archonte-roi, dont on se ressouvint, fut transformé en préfet de police, et le gouverneur de
l'Attique reçut alors le titre de grand-duc, qualité qui, se fixant dans une famille, devint héréditaire, et finit par
transformer la république de Solon en une principauté féodale.
Pistos (le fidèle), quatrième évêque d'Athènes, siégea au concile de Nicée. L'Évangile, annoncé par saint Paul
dans Athènes, n'y avait pas fructifié aussi rapidement que dans les autres parties de la Grèce. Socrate, qui fut
une espèce de Précurseur, et Platon, son disciple, n'avaient pas préparé les esprits à recevoir la vérité sans mélange
d'idées superstitieuses. Ce ne fut que vers le milieu du IIe siècle qu'on vit l'esprit divin se manifester dans une ville où l'on
doutait de tout et où l'on croyait aux plus honteuses impostures de la magie, dont Apulée appelait les ministres magnœ
relligionis sidéra. Cependant on avait commencé, vers le milieu du Ier siècle, à lire, aux jardins d'Académus, l'évan-
gile de saint Mathieu, écrit et composé en grec vers l'an 44. On eut dix ans après des copies de l'évangile de saint
Marc, qu'on surnomma l'abréviateur de saint Mathieu, et les épîtres de saint Paul furent multipliées par les calli-
graphies du Portique. Les fidèles, attentifs à conserver l'histoire de l'Église naissante, instituèrent alors des logothètes,
ou notaires publics, afin de recueillir les actes des martyrs, et de séparer le bon grain de l'ivraie. Cette mesure était
sage, car des apocryphes avaient déjà fabriqué les Récognitions et Épîtres de saint Clément, les Constitutions Apos-
toliques , une lettre de Jésus-Christ au roi Abgare, des lettres de la sainte Vierge, et une foule d'écrits dans
lesquels le sacré et le profane étaient confondus. L'hérésie de Ménandre, juif samaritain, qui prétendait que le monde
leur parlaient que de gloire et de puissance, il aurait été dangereux de leur montrer l'instabilité des choses humaines,
et l'orgueil ne tarda pas à être suivi des châtiments qu'il traîne toujours à sa suite. Platon, déguisant la vérité sous des
formes séduisantes, avait contribué à augmenter l'enivrement public en disant « que si le soin de notre bétail et de nos
« troupeaux est confié à des êtres qui leur sont supérieurs en intelligence, le gouvernement des nations et des hommes
« devrait exiger l'intelligence et le pouvoir des dieux et des génies. » Hélas! les dieux et les génies remontèrent vers
l'Olympe, dès que le peuple-roi eut mis le pied sur le territoire de la Hellade. Il avait trouvé les Grecs divisés. Le règne
auguste des lois était remplacé chez eux par l'esprit funeste des factions, qui semblaient n'avoir gardé de l'antique
énergie que l'impossibilité pour les Hellènes de vivre soumis à aucune espèce d'autorité.
Pausanias, qui voyageait dans la Grèce vers le deuxième siècle de l'ère vulgaire, ne la trouva plus libre, mais encore
ornée des monuments et des ouvrages de ses principaux artistes. Quelques villes étaient, à la vérité, ruinées; mais
le mal n'était pas aussi grand qu'on pourrait l'imaginer, d'après le récit de Strabon, qui n'avait pas parcouru ce pays-
Le sang dont Sylla avait fait regorger la Céramique était étanché. On montrait, en soupirant, les piédestaux et les
niches d'un grand nombre de statues que les Romains avaient transportées en Italie ! Ils avaient fait main-basse sur
quelques tableaux des grands maîtres ; mais aucun d'eux n'avait osé profaner les chefs-d'œuvre de Phidias qui déco-
raient le Parthénon; un pareil sacrilège était réservé au XIXe siècle.
Les pertes qu'on avait faites étaient devenues moins sensibles depuis qu'Hérode Atticus avait restauré la ville de
Thésée et le Pirée, revêtu le stade d'Athènes en marbre du Pentélique, et relevé un grand nombre de villes. De
pareils bienfaits s'étaient étendus jusqu'à Oricum, ville située à l'extrémité de l'Acrocéraune, où les Pélasges plaçaient
l'Hespérie, qui était pour eux le terme de la course du soleil, quand il cessait d'éclairer la Grèce. Hadrien avait rebâti
Corinthe et embelli le stade de Pise. L'Altis était encore paré des statues des héros et des vainqueurs couronnés dans les
fêtes d'Olympie. Eleusis, que Néron avait craint de souiller de sa présence, jouissait de tout son éclat ; et des théories
nombreuses fréquentaient le Sécos, qu'Aristote nomme le temple de toute la terre. Tel était l'état du territoire classique
au IIe siècle ; mais les Grecs étaient loin d'avoir épuisé toutes les vicissitudes du malheur. Agélas de Naupacte n'avait
que trop prévu les désastres qui menaçaient la Hellade. Les restaurations de ses monuments, comme il le disait, ne lui
avaient pas rendu sa vigueur première, et ils étaient destinés à s'écrouler bientôt, ainsi que les monuments et les temples
des dieux, sous les coups des autocrates théologiens de Constantinople, qui firent entrer l'Etat dans l'Église.
Il est juste, dit Diodore de Sicile, et important à la société humaine, que ceux qui ont abusé de leur puissance
pour faire le mal soient livrés à une malédiction éternelle. Constantin et Théodose surtout mériteront à ce titre un
anathème éternel pour le tort qu'ils firent aux monuments et aux chefs-d'œuvre de la Hellade. On vit, au temps de ces
monarques et de leurs successeurs, qui ordonnèrent la destruction des monuments élevés à la gloire des dieux et des
grands hommes, disparaître le patriotisme et les vertus des citoyens ! Si on mesurait l'intervalle entre les écrits phi-
losophiques de Platon et la légende de Théodoret, entre le caractère de Socrate et celui de Siméon Stylite, on appré-
cierait, dans toute la vérité, la révolution que l'empire grec, devenu chrétien, éprouva dans une période de cinq cents ans.
Les peuples qu'on appelait barbares parurent avec les premiers siècles de notre ère. Dès ce temps, l'autorité des
autocrates de Constantinople, comme celle des sultans qui leur ont succédé, devint un problème qu'il fallut résoudre,
presque annuellement, les armes à la main.
Les Scythes, qui avaient parcouru la Macédoine au temps de l'empereur Gallien, menacé Thessalonique et Athènes ;
les Hérules, que les Grecs avaient vus piller Sparte, Corinthe, Argos, lorsque Athènes fut sauvée par la bravoure
de Dexippe, homme également connu dans les lettres et dans les armes, avaient passé comme des torrents, entre
les années 260 et 268. L'archontat avait été aboli; et le stratège, ou inspecteur des marchés aux herbes potagères
et au poisson, avait remplacé le magistrat éponyme qui donnait son nom à l'année.
En 269, sous le règne de Claude II, nom de stupide mémoire, les Goths s'étaient emparés de la ville de Minerve,
lorsque le docte Cléomède, ayant rassemblé des soldats, battit et dispersa les barbares, prouvant, comme le remarque
M. de Chateaubriand , que la science n'exclut pas le courage. Il paraît néanmoins que les malheurs publics s'oublièrent
assez promptement, car Athènes fut une des premières à décerner des honneurs à Constantin, et à en recevoir des grâces,
ou plutôt des humiliations. L'archonte-roi, dont on se ressouvint, fut transformé en préfet de police, et le gouverneur de
l'Attique reçut alors le titre de grand-duc, qualité qui, se fixant dans une famille, devint héréditaire, et finit par
transformer la république de Solon en une principauté féodale.
Pistos (le fidèle), quatrième évêque d'Athènes, siégea au concile de Nicée. L'Évangile, annoncé par saint Paul
dans Athènes, n'y avait pas fructifié aussi rapidement que dans les autres parties de la Grèce. Socrate, qui fut
une espèce de Précurseur, et Platon, son disciple, n'avaient pas préparé les esprits à recevoir la vérité sans mélange
d'idées superstitieuses. Ce ne fut que vers le milieu du IIe siècle qu'on vit l'esprit divin se manifester dans une ville où l'on
doutait de tout et où l'on croyait aux plus honteuses impostures de la magie, dont Apulée appelait les ministres magnœ
relligionis sidéra. Cependant on avait commencé, vers le milieu du Ier siècle, à lire, aux jardins d'Académus, l'évan-
gile de saint Mathieu, écrit et composé en grec vers l'an 44. On eut dix ans après des copies de l'évangile de saint
Marc, qu'on surnomma l'abréviateur de saint Mathieu, et les épîtres de saint Paul furent multipliées par les calli-
graphies du Portique. Les fidèles, attentifs à conserver l'histoire de l'Église naissante, instituèrent alors des logothètes,
ou notaires publics, afin de recueillir les actes des martyrs, et de séparer le bon grain de l'ivraie. Cette mesure était
sage, car des apocryphes avaient déjà fabriqué les Récognitions et Épîtres de saint Clément, les Constitutions Apos-
toliques , une lettre de Jésus-Christ au roi Abgare, des lettres de la sainte Vierge, et une foule d'écrits dans
lesquels le sacré et le profane étaient confondus. L'hérésie de Ménandre, juif samaritain, qui prétendait que le monde