v, INTRODUCTION.
pour théâtre l'Épire et la Macédoine. Depuis trois ans, plusieurs Athéniens s'étaient réunis aux troupes impériales, qui
furent battues par les hommes du Nord devant Dyrrachium et dans la plaine de Janina ; mais la Hellade demeura intacte.
Les premiers croisés ne firent que traverser l'Illyrie macédonienne, l'Illyrie proprement dite, la Mcesie et la Thrace, pour
se rendre par Constantinople dans l'Asie-Mineure. Mais, sous le règne de Manuel Comnène, successeur d'Alexis, les rois
de Sicile, les Vénitiens, les Pisans et les autres peuples occidentaux se précipitèrent sur la Morée et surl'Attique. Roger Ier,
qui était le chef de cette bande d'aventuriers bardés de fer, s'empara de Corfou, de Thèbes et de Corinthe (i i/jo).
Les Français, commandés par Roniface, marquis de Montferrat, et par Baudouin, comte de Flandre (iao/J), les Vénitiens
sous les ordres de Dandolo, ayant chassé Alexis de Constantinople, et rétabli Isaac l'Ange sur le trône, justifièrent, en
s'emparant de la couronne impériale pour leur propre compte, ce que Machiavel a dit, qu'il n'y a pas d'exemple dans
l'histoire d'une restauration qui puisse être durable. Baudouin, comte de Flandre, obtint l'empire, et le marquis de
Montferrat fut déclaré roi de Thessalonique.
On parle, vers ce temps, d'un misérable tyran ou roi de la Morée appelé Sgouros, né à Nauplie, qui vint mettre le
siège devant Athènes : il en fut repoussé par l'archevêque Acominat Choniatès, frère de l'historien Nicétas. Nous traversons,
sur les traces de M. Chateaubriand, à qui nous empruntons plusieurs documents historiques, cette bande de roitelets,
de despotes, de princes, pour arriver au marquis de Boniface, qui reçut Athènes à composition. Boniface (quel nom !
si on le compare à celui de Thémistocles) donna l'investiture de la seigneurie de Thèbes et d'Athènes àOthon de la Roche;
les successeurs d'Othon prirent le titre de ducs d'Athènes et de grands sires de Thèbes. Au rapport de Nicétas, le marquis
de Montferrat se saisit d'Argos et de la partie basse de Corinthe. Il n'eut qu'à se montrer pour s'emparer des domaines
du roi des rois, Agamemnon.
Tandis que Boniface poursuivait ses succès, un coup de vent amenait d'autres Français àModon. Geoffroi de Ville-
hardouin, qui les commandait, revenait de la Terre-Sainte; il se rendit auprès du marquis de Montferrat qui assiégeait
Nauplie, et bientôt après ils entreprirent la conquête de la Morée. Nicétas, qui a parfois quelque chose d'homérique,
nous apprend que nos vieux paladins se nourrissaient « de culottes de bœuf bouillies, de porc salé cuit avec de la purée
« de fèves assaisonnée d'ail et d'herbes de haut goût. »
Les Grecs de là Péninsule, habitués à mépriser le gouvernement décrépit de leurs autocrates et à se régir en cantons à
peu près indépendants, ne reçurent pas sans résistance des maîtres regardés comme schismatiques, qui de leur côté les qua-
lifiaient de selrismatiques. Les conquérants ignoraient qu'en bonne politique l'hérésie la plus dangereuse est celle d'un prince
qui sépare de lui une partie de ses sujets parce qu'ils ne partagent pas sa croyance religieuse. Les pays de plaines, tels que
le plateau de Patras et les vallées qui y aboutissent, l'Élide, la Messénie, le bassin de l'Eurotas, l'Argolide,la Corinthie,
quelques parties de l'Arcadie et le rivage septentrional delà Chersonèse, se soumirent. Mais l'Eleuthérolaconie, qu'on
appelait alors Tzaconie, qui avait résisté à l'autorité des augustes et des eunuques du Bas-Empire, les peuplades de
l'Olénos et du mont Cyllène parvinrent à se soustraire à la domination des Français. Ces étrangers ne s'établirent
qu'après des combats sanglants à Calavryta, dans les roches Oléniennes, qui ont retenu la dénomination de Santa
Meri ou montagnes de Saint-Omer, à cause d'un château fort que le seigneur de ce nom y fit construire, par ordre du
marquis de Montferrat, maréchal de Champagne et de Romanie.
Ce prince, maître de la majeure partie de la Morée, ne voyant que des vassaux à exploiter, au lieu d'enfants des
Hellènes qu'il aurait fallu rendre dignes des institutions glorieuses de leurs ancêtres, introduisit la féodalité dans son
nouveau royaume. Ainsi les divisions de thèmes et d'éparchies, qui dataient de l'ère des autocrates grecs, furent remplacées
par d'autres démarcations. La Grèce eut des ducs et des comtes d'Athènes, de Corinthe, de Patras et d'Argos; des
barons de Caritène, des marquis de Thèbes, deLivadie, deNégrepont; et nos Roger de Damas devinrent seigneurs des
Thermopyles.
La chronique de la conquête de Constantinople et de l'établissement des Français en Morée nous donne des aperçus
curieux sur la division politique de la presqu'île, à l'époque de 1207. Le livre de partage dressé par ordre de Geoffroi de Ville-
hardouin portait que Gaultier de Rousseau aurait vingt-quatre fiefs dans le riche vallon de Messénie, au bord du Xerillos,
où il fit bâtir le château d'Acova. Messire Hugues de Brienne eut en partage le pays des défilés de Scorta, surnommé les
portes de la Laconie, avec vingt-deux fiefs de chevaliers et des privilèges : il fit, dans la suite, bâtir le château de Cari-
tène. Le troisième porté sur le livre était messire Alaman, auquel on concédait Patras et ses dépendances. Rémond
obtint, à titre de baronie, le château de Veligosti, quatre fiefs et le droit de porter bannière. Messire Guillaume eut le
château de Niclée avec six fiefs. Guy de Nesle obtint six fiefs dans la Laconie, où il fit bâtir la forteresse de Hieraki.
Raoul de Tournai reçut Calavryta et deux fiefs. On accorda à messire Hugues de l'Ile huit fiefs de chevaliers à Vostitza;
il changea son nom en celui de Carbonaro. Messire Lucas eut quatre fiefs avec la vallée et les dépendances de Gritzena.
Jean de Neuilly obtint Passavas, quatre fiefs, le droit de porter bannière, et le titre de maréchal réversible à ses descen-
dants. On décerna quatre fiefs à Robert de la Tremouille, qui fit bâtir Chalanthistra et prit le surnom de cette seigneurie.
On alloua, dans le pays de Calamate, quatre fiefs aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, quatre aux Templiers, sous
la condition de lever bannière, et quatre aux chevaliers teutoniques.
On assigna huit fiefs de chevaliers au métropolitain de Patras et à son chapitre, quatre de même nature à l'évêque
d'Olénos, deux à l'évêque de Modon et deux à celui de Coron, qui étaient tous des prélats italiens. Ces deux derniers
reçurent de plus chacun deux fiefs de chevaliers pour leurs chapitres. Les évêques de Veligosti, d'Amyclée et de
Lacédémone furent dotés de quatre fiefs chacun.
pour théâtre l'Épire et la Macédoine. Depuis trois ans, plusieurs Athéniens s'étaient réunis aux troupes impériales, qui
furent battues par les hommes du Nord devant Dyrrachium et dans la plaine de Janina ; mais la Hellade demeura intacte.
Les premiers croisés ne firent que traverser l'Illyrie macédonienne, l'Illyrie proprement dite, la Mcesie et la Thrace, pour
se rendre par Constantinople dans l'Asie-Mineure. Mais, sous le règne de Manuel Comnène, successeur d'Alexis, les rois
de Sicile, les Vénitiens, les Pisans et les autres peuples occidentaux se précipitèrent sur la Morée et surl'Attique. Roger Ier,
qui était le chef de cette bande d'aventuriers bardés de fer, s'empara de Corfou, de Thèbes et de Corinthe (i i/jo).
Les Français, commandés par Roniface, marquis de Montferrat, et par Baudouin, comte de Flandre (iao/J), les Vénitiens
sous les ordres de Dandolo, ayant chassé Alexis de Constantinople, et rétabli Isaac l'Ange sur le trône, justifièrent, en
s'emparant de la couronne impériale pour leur propre compte, ce que Machiavel a dit, qu'il n'y a pas d'exemple dans
l'histoire d'une restauration qui puisse être durable. Baudouin, comte de Flandre, obtint l'empire, et le marquis de
Montferrat fut déclaré roi de Thessalonique.
On parle, vers ce temps, d'un misérable tyran ou roi de la Morée appelé Sgouros, né à Nauplie, qui vint mettre le
siège devant Athènes : il en fut repoussé par l'archevêque Acominat Choniatès, frère de l'historien Nicétas. Nous traversons,
sur les traces de M. Chateaubriand, à qui nous empruntons plusieurs documents historiques, cette bande de roitelets,
de despotes, de princes, pour arriver au marquis de Boniface, qui reçut Athènes à composition. Boniface (quel nom !
si on le compare à celui de Thémistocles) donna l'investiture de la seigneurie de Thèbes et d'Athènes àOthon de la Roche;
les successeurs d'Othon prirent le titre de ducs d'Athènes et de grands sires de Thèbes. Au rapport de Nicétas, le marquis
de Montferrat se saisit d'Argos et de la partie basse de Corinthe. Il n'eut qu'à se montrer pour s'emparer des domaines
du roi des rois, Agamemnon.
Tandis que Boniface poursuivait ses succès, un coup de vent amenait d'autres Français àModon. Geoffroi de Ville-
hardouin, qui les commandait, revenait de la Terre-Sainte; il se rendit auprès du marquis de Montferrat qui assiégeait
Nauplie, et bientôt après ils entreprirent la conquête de la Morée. Nicétas, qui a parfois quelque chose d'homérique,
nous apprend que nos vieux paladins se nourrissaient « de culottes de bœuf bouillies, de porc salé cuit avec de la purée
« de fèves assaisonnée d'ail et d'herbes de haut goût. »
Les Grecs de là Péninsule, habitués à mépriser le gouvernement décrépit de leurs autocrates et à se régir en cantons à
peu près indépendants, ne reçurent pas sans résistance des maîtres regardés comme schismatiques, qui de leur côté les qua-
lifiaient de selrismatiques. Les conquérants ignoraient qu'en bonne politique l'hérésie la plus dangereuse est celle d'un prince
qui sépare de lui une partie de ses sujets parce qu'ils ne partagent pas sa croyance religieuse. Les pays de plaines, tels que
le plateau de Patras et les vallées qui y aboutissent, l'Élide, la Messénie, le bassin de l'Eurotas, l'Argolide,la Corinthie,
quelques parties de l'Arcadie et le rivage septentrional delà Chersonèse, se soumirent. Mais l'Eleuthérolaconie, qu'on
appelait alors Tzaconie, qui avait résisté à l'autorité des augustes et des eunuques du Bas-Empire, les peuplades de
l'Olénos et du mont Cyllène parvinrent à se soustraire à la domination des Français. Ces étrangers ne s'établirent
qu'après des combats sanglants à Calavryta, dans les roches Oléniennes, qui ont retenu la dénomination de Santa
Meri ou montagnes de Saint-Omer, à cause d'un château fort que le seigneur de ce nom y fit construire, par ordre du
marquis de Montferrat, maréchal de Champagne et de Romanie.
Ce prince, maître de la majeure partie de la Morée, ne voyant que des vassaux à exploiter, au lieu d'enfants des
Hellènes qu'il aurait fallu rendre dignes des institutions glorieuses de leurs ancêtres, introduisit la féodalité dans son
nouveau royaume. Ainsi les divisions de thèmes et d'éparchies, qui dataient de l'ère des autocrates grecs, furent remplacées
par d'autres démarcations. La Grèce eut des ducs et des comtes d'Athènes, de Corinthe, de Patras et d'Argos; des
barons de Caritène, des marquis de Thèbes, deLivadie, deNégrepont; et nos Roger de Damas devinrent seigneurs des
Thermopyles.
La chronique de la conquête de Constantinople et de l'établissement des Français en Morée nous donne des aperçus
curieux sur la division politique de la presqu'île, à l'époque de 1207. Le livre de partage dressé par ordre de Geoffroi de Ville-
hardouin portait que Gaultier de Rousseau aurait vingt-quatre fiefs dans le riche vallon de Messénie, au bord du Xerillos,
où il fit bâtir le château d'Acova. Messire Hugues de Brienne eut en partage le pays des défilés de Scorta, surnommé les
portes de la Laconie, avec vingt-deux fiefs de chevaliers et des privilèges : il fit, dans la suite, bâtir le château de Cari-
tène. Le troisième porté sur le livre était messire Alaman, auquel on concédait Patras et ses dépendances. Rémond
obtint, à titre de baronie, le château de Veligosti, quatre fiefs et le droit de porter bannière. Messire Guillaume eut le
château de Niclée avec six fiefs. Guy de Nesle obtint six fiefs dans la Laconie, où il fit bâtir la forteresse de Hieraki.
Raoul de Tournai reçut Calavryta et deux fiefs. On accorda à messire Hugues de l'Ile huit fiefs de chevaliers à Vostitza;
il changea son nom en celui de Carbonaro. Messire Lucas eut quatre fiefs avec la vallée et les dépendances de Gritzena.
Jean de Neuilly obtint Passavas, quatre fiefs, le droit de porter bannière, et le titre de maréchal réversible à ses descen-
dants. On décerna quatre fiefs à Robert de la Tremouille, qui fit bâtir Chalanthistra et prit le surnom de cette seigneurie.
On alloua, dans le pays de Calamate, quatre fiefs aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, quatre aux Templiers, sous
la condition de lever bannière, et quatre aux chevaliers teutoniques.
On assigna huit fiefs de chevaliers au métropolitain de Patras et à son chapitre, quatre de même nature à l'évêque
d'Olénos, deux à l'évêque de Modon et deux à celui de Coron, qui étaient tous des prélats italiens. Ces deux derniers
reçurent de plus chacun deux fiefs de chevaliers pour leurs chapitres. Les évêques de Veligosti, d'Amyclée et de
Lacédémone furent dotés de quatre fiefs chacun.