1864. — N° 55.
BUREAUX, 55, RUE VIVIENNE
6 Mars.
LA
CHRONIQUE DES ARTS
ET DE LA CURIOSITÉ
SUPPLÉMENT A LA GAZETTE DES BEAUX-ARTS
PARAISSANT LE DIMANCHE MATIN
Les Abonnés à une année entière de la Gazette des Beaux-Arts reçoivent gratuitement
la Chronique des Arts et de la Curiosité.
PARIS ET DEPARTEMENTS
Un an.10 fr. | Six mois.6 fr.
MOUVEMENT DES ARTS
ET DE LA CURIOSITÉ.
VENTE EUGÈNE DELACROIX.
PEINTURES.
ÉTUDES POUR SjîS TRAVAUX DECORATIFS.
(Suite.)
La vente de ce qu’avait délaissé en mou-
rant Eugène Delacroix est terminée. Pen-
dant seize jours, du lundi 15 février, au
lundi soir 1er mars, elle a eu le surprenant
privilège de tenir en haleine cette société
parisienne, si mobile dans sa curiosité, si
rapide dans ses réactions. Les expositions
ont appelé dans les salles de l’hôtel Drouot
toute l’élite des arts, des lettres et du grand
monde. Autour des tables sont venus se ran-
ger chaque jour les grands amateurs, puis
les curieux modestes et les artistes, puis les
marchands. Plus de trois cents tableaux ou
esquisses, plus de six mille dessins, eaux-
fortes et lithographies ont successivement
trouvé des acquéreurs enthousiastes. Tout
le monde — je parle de ceux qui ont l’âme
ardente surtout — tout le monde a désiré
un des lambeaux de cet œuvre immense
que la volonté de Delacroix forçait à dis-
joindre, parce qu'avec une sorte de divina-
tion, il avait eu le pressentiment de ce suc-
cès. Les riches ont été les plus favorisés : il
n’y a point eu de grand prix pour les grands
morceaux. Les humbles ont payé pour eux;
mais en emportant pieusement un croquis
ou une ébauche, ils pouvaient se dire qu’un
diamant gros comme un grain de sénevé
jette des feux aussi purs que le Sancy ou
le Kohinor.
En France nous aimons peu nos grands
hommes. Vivants, il nous est doux de leur
faire, à leurs heures de défaillance, vider la
coupe d’absinthe de la critique. Morts, nous
les pleurons un instant, mais nous protes-
tons vite contre les larmes des autres. En-
fants adultérins de Rome, fils d’esclaves que
des conquérants avaient plutôt enivrés que
vaincus, race bâtarde éprise jusqu’à la folie
d’une égalité chimérique contre laquelle
dans chaque génération l'apparition d’un
esprit supérieur vient protester, nous n’a-
vons eu jusqu’à ce jour d’admiration que
pour l’art étranger, de fétichisme que pour
ses maîtres et nous redoutons chaque jour
que la consécration d’un homme de génie
fasse oublier nos petits succès.
Que sera le jugement de l’avenir pour
Eugène Delacroix? Ce n’est point le moment
de le chercher. Mais quant au succès de
cette vente, nous le tenons pour loyal et
assuré, et s’il se fait une réaction contre cer-
tains prix, cette réaction n’aura lieu que
BUREAUX, 55, RUE VIVIENNE
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ET DE LA CURIOSITÉ.
VENTE EUGÈNE DELACROIX.
PEINTURES.
ÉTUDES POUR SjîS TRAVAUX DECORATIFS.
(Suite.)
La vente de ce qu’avait délaissé en mou-
rant Eugène Delacroix est terminée. Pen-
dant seize jours, du lundi 15 février, au
lundi soir 1er mars, elle a eu le surprenant
privilège de tenir en haleine cette société
parisienne, si mobile dans sa curiosité, si
rapide dans ses réactions. Les expositions
ont appelé dans les salles de l’hôtel Drouot
toute l’élite des arts, des lettres et du grand
monde. Autour des tables sont venus se ran-
ger chaque jour les grands amateurs, puis
les curieux modestes et les artistes, puis les
marchands. Plus de trois cents tableaux ou
esquisses, plus de six mille dessins, eaux-
fortes et lithographies ont successivement
trouvé des acquéreurs enthousiastes. Tout
le monde — je parle de ceux qui ont l’âme
ardente surtout — tout le monde a désiré
un des lambeaux de cet œuvre immense
que la volonté de Delacroix forçait à dis-
joindre, parce qu'avec une sorte de divina-
tion, il avait eu le pressentiment de ce suc-
cès. Les riches ont été les plus favorisés : il
n’y a point eu de grand prix pour les grands
morceaux. Les humbles ont payé pour eux;
mais en emportant pieusement un croquis
ou une ébauche, ils pouvaient se dire qu’un
diamant gros comme un grain de sénevé
jette des feux aussi purs que le Sancy ou
le Kohinor.
En France nous aimons peu nos grands
hommes. Vivants, il nous est doux de leur
faire, à leurs heures de défaillance, vider la
coupe d’absinthe de la critique. Morts, nous
les pleurons un instant, mais nous protes-
tons vite contre les larmes des autres. En-
fants adultérins de Rome, fils d’esclaves que
des conquérants avaient plutôt enivrés que
vaincus, race bâtarde éprise jusqu’à la folie
d’une égalité chimérique contre laquelle
dans chaque génération l'apparition d’un
esprit supérieur vient protester, nous n’a-
vons eu jusqu’à ce jour d’admiration que
pour l’art étranger, de fétichisme que pour
ses maîtres et nous redoutons chaque jour
que la consécration d’un homme de génie
fasse oublier nos petits succès.
Que sera le jugement de l’avenir pour
Eugène Delacroix? Ce n’est point le moment
de le chercher. Mais quant au succès de
cette vente, nous le tenons pour loyal et
assuré, et s’il se fait une réaction contre cer-
tains prix, cette réaction n’aura lieu que