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LA CHRONIQUE DES ARTS
M. Bramtot, pensionnaire de première année :
un tableau représentant le Supplice <fIxion.
Sculpture :
M. Cordonnier, troisième année, expose une
tête d'étude.
Le directeur de l'Académie, M. Cabat, a voulu
qu'on exposât aussi une esquisse de M. Grasset,
sculpteur de deuxième année, décédé l'année der-
nière.
Cette esquisse représente Esaù.
M. Fagel, pensionnaire de première année, ex-
pose un bas-relief représentant la Mort du poète.
Gravure en médailles :
M. Boité, de troisième année, expose un Saint
Séb stitm, grand bas-relief.
M. Deblois, de deuxième année : portrait à!Ange
Doni (Rapbaël), de la galerie Pitti de Florence; un
dessin représentant la Madonna del Sacco d'A. del
Sarto.
L'architecture est représentée par les plan-
ches de MM. Lalou etBlavette. Le premier ex-
pose quatre planches d'arcbitecUire antique et
trois de la Renaissance; le second, des feuilles
d'architecture antique.
Une Exposition d'aquarelles à sujets em-
pruntés aux Fables de La Fontaine va
avoir lieu, du 5 au 10 mai prochain, dans le
local de la Société des aquarellistes, rue Laf-
fitte.
Cette importante collection, qui comprend
plus de 200 numéros, appartient à M. Roux :
elle réunit les noms de tous les artistes célè-
bres de notre époque : Baudry, Gérôme, G. Mo-
reau, Henner, Delaunay, Heilbuth, Pasini,
Ph. Rousseau, de Nittls, L. Leioir, etc., etc.
On y verra enfin 21 aquarelles de Jules Jac-
quemart, œuvres très-importantes et absolu-
ment inconnues du regrettable artiste.
Une ex osition artistique est ouverte à
Yeddo depuis Je {5 mars et elle durera jus-
qu'au 30 juin.
Un certain nombre de peintres français y
ont fait des envois.
Exposition des peintres indépendants
(Voir le précédent numéro)
De M. Pissaro à Mmc Berthe Morisot,
quoique d'un indépendant à une indépen-
dante, il y a loin. Chez celle-ci, tout est bril-
lante et douce harmonie ; douée d'une acuité
de vision particulière, elle ne saisit que les co-
lorations claires, s'y attache, les perçoit et les
rend avec un sen- extraordmairement déli-
cat, par des tons mats, qui sont une fêle pour
les y<jux. L'ombre disparaît ou devient si
transparente qu'on la distingue à peine; la
gamme claire,seule maiiresse du terrain, s'éva
no lut joyeusement dans une atmosphère d'une
étonnante limpidité. La lumière diffuse, en ce
qu'elle a de p us tendre, riant et fin, voilà
le propre de Mme Morisot. Pour elle les su-
jets n'ont qu'une importance secondaire, insi-
gnifiante presque ; ils ne sont qu'un prétexte
à effets lumineux, à combinaisons harmonieu-
ses, acceptés ou plutôt tolérés pour que l'œil
puisse s'arrêter sur une forme sensible, mais
dont les lignes et les contours sont à peine
déterminés. De là un parti-pris d'indications
légères qui n'ont rien de net, de précis, de for-
mel, mais oii tout est grâce exquise et charme
coquet, féminin et printanier. Le pinceau en
ébauchant ces élégantes mondaines, sou-
vent plutôt soupçonnées qu'aperçues, a des
touches souples et spirituelles, pétillantes
et frétillantes, qui rappellent les maîtres essen-
tiellement français du xviii0 siècle, aussi bien
que ces tonalités d'un gris à reflets azur et
rose où éclatent certains tons, vifs comme de
petits cris d'oiseaux. La tête d'enfant, que
Mmo Berthe Morisot expose à côté de sa jeune
femme à l'ombrelle et de son buste de femme
décolletée, est d'une préparation au pastel
d'un dessin senti presque digne de Perron-
neau, où le crayon >'écrase en une poussière
semblable à celle des ailes d'un papil on Deux
autre- croquis au pastel marquent la limite
extrèm« où devra s'arrêter la tendance du
peimre à se contenter d'indications trop fugi-
tives ; un pas de plus et on arriverait à ne
plus rien discerner, à ne plus rien compren-
dre.
Mme Morisot a une grande facilité, Mlle Cas-
sait une grande volonté ; l'une peint comme
l'alouette gazouille, l'autre travaille avec la
con-cience de l'artiste ; l'une se laisse aller à
l'abandon de sa nature française, l'autre dé-
veloppe la ténacité de la race américaine.
La peinture de MUe Cassait e^t pleine d'honnê-
teté de sincérité, de recueillement; lagravitén'y
exclut point la giàce. Ainsi lanière faisant, sur
une terrasse de jardin, la lecture à ses trois en-
fanis, îespiie une sérénité d'âme, une beauté
moi aie qui accuse un vrai style; quoique
peinte à l'huile, la toile a l'aspect clair et mat
de la fresque; on voudrait voir un talent si
sérieux s'exercer, dans cette manière, à la dé-
coralion de quelque salle d'écoie ou de quel-
que mairie.
Comme ses confrères en indépendance,
MM. Manet et Degas, MUe Cassatt s'est acharnée
à porter son organe visuel à un état de sensi-
bilité, de nervosité, d'irritation même, tel
qu'il peut saisir le moindre frémissement de
la lumière, le moindre atome colorant, les
moindres teintes de l'ombre. La rétine a été
affinée, aiguisée de façon à percevoir les
nuances d'une même couleur dans ses dégra-
datious les plus fugitives, si bien que les di-
verses gammes ont été augmentées d'un nom-
bre infini de t- ns, de demi-tons, de quarts de
ton. La plus légère tache ..ffecte l'œil, lui traduit
avec une extrême délicatesse, non plus le
contour, mais le petit mouvement lumineux
qui fait couleur; tout devient valeur, enve-
loppe et masse. Ce système, qui exige une con-
formation et une éducation toutes spéc;ales
des facuhés visuelles, est appliqué à la Jeune
femme dit jardin, tricotant, coiffée d'un cha-
peau de tulle rose dont le rebord projette
une ombre douce sur le visage modelé en
demi-teinte, d'une étonnante finesse. La
même figure nous montre à quel degré Car-
LA CHRONIQUE DES ARTS
M. Bramtot, pensionnaire de première année :
un tableau représentant le Supplice <fIxion.
Sculpture :
M. Cordonnier, troisième année, expose une
tête d'étude.
Le directeur de l'Académie, M. Cabat, a voulu
qu'on exposât aussi une esquisse de M. Grasset,
sculpteur de deuxième année, décédé l'année der-
nière.
Cette esquisse représente Esaù.
M. Fagel, pensionnaire de première année, ex-
pose un bas-relief représentant la Mort du poète.
Gravure en médailles :
M. Boité, de troisième année, expose un Saint
Séb stitm, grand bas-relief.
M. Deblois, de deuxième année : portrait à!Ange
Doni (Rapbaël), de la galerie Pitti de Florence; un
dessin représentant la Madonna del Sacco d'A. del
Sarto.
L'architecture est représentée par les plan-
ches de MM. Lalou etBlavette. Le premier ex-
pose quatre planches d'arcbitecUire antique et
trois de la Renaissance; le second, des feuilles
d'architecture antique.
Une Exposition d'aquarelles à sujets em-
pruntés aux Fables de La Fontaine va
avoir lieu, du 5 au 10 mai prochain, dans le
local de la Société des aquarellistes, rue Laf-
fitte.
Cette importante collection, qui comprend
plus de 200 numéros, appartient à M. Roux :
elle réunit les noms de tous les artistes célè-
bres de notre époque : Baudry, Gérôme, G. Mo-
reau, Henner, Delaunay, Heilbuth, Pasini,
Ph. Rousseau, de Nittls, L. Leioir, etc., etc.
On y verra enfin 21 aquarelles de Jules Jac-
quemart, œuvres très-importantes et absolu-
ment inconnues du regrettable artiste.
Une ex osition artistique est ouverte à
Yeddo depuis Je {5 mars et elle durera jus-
qu'au 30 juin.
Un certain nombre de peintres français y
ont fait des envois.
Exposition des peintres indépendants
(Voir le précédent numéro)
De M. Pissaro à Mmc Berthe Morisot,
quoique d'un indépendant à une indépen-
dante, il y a loin. Chez celle-ci, tout est bril-
lante et douce harmonie ; douée d'une acuité
de vision particulière, elle ne saisit que les co-
lorations claires, s'y attache, les perçoit et les
rend avec un sen- extraordmairement déli-
cat, par des tons mats, qui sont une fêle pour
les y<jux. L'ombre disparaît ou devient si
transparente qu'on la distingue à peine; la
gamme claire,seule maiiresse du terrain, s'éva
no lut joyeusement dans une atmosphère d'une
étonnante limpidité. La lumière diffuse, en ce
qu'elle a de p us tendre, riant et fin, voilà
le propre de Mme Morisot. Pour elle les su-
jets n'ont qu'une importance secondaire, insi-
gnifiante presque ; ils ne sont qu'un prétexte
à effets lumineux, à combinaisons harmonieu-
ses, acceptés ou plutôt tolérés pour que l'œil
puisse s'arrêter sur une forme sensible, mais
dont les lignes et les contours sont à peine
déterminés. De là un parti-pris d'indications
légères qui n'ont rien de net, de précis, de for-
mel, mais oii tout est grâce exquise et charme
coquet, féminin et printanier. Le pinceau en
ébauchant ces élégantes mondaines, sou-
vent plutôt soupçonnées qu'aperçues, a des
touches souples et spirituelles, pétillantes
et frétillantes, qui rappellent les maîtres essen-
tiellement français du xviii0 siècle, aussi bien
que ces tonalités d'un gris à reflets azur et
rose où éclatent certains tons, vifs comme de
petits cris d'oiseaux. La tête d'enfant, que
Mmo Berthe Morisot expose à côté de sa jeune
femme à l'ombrelle et de son buste de femme
décolletée, est d'une préparation au pastel
d'un dessin senti presque digne de Perron-
neau, où le crayon >'écrase en une poussière
semblable à celle des ailes d'un papil on Deux
autre- croquis au pastel marquent la limite
extrèm« où devra s'arrêter la tendance du
peimre à se contenter d'indications trop fugi-
tives ; un pas de plus et on arriverait à ne
plus rien discerner, à ne plus rien compren-
dre.
Mme Morisot a une grande facilité, Mlle Cas-
sait une grande volonté ; l'une peint comme
l'alouette gazouille, l'autre travaille avec la
con-cience de l'artiste ; l'une se laisse aller à
l'abandon de sa nature française, l'autre dé-
veloppe la ténacité de la race américaine.
La peinture de MUe Cassait e^t pleine d'honnê-
teté de sincérité, de recueillement; lagravitén'y
exclut point la giàce. Ainsi lanière faisant, sur
une terrasse de jardin, la lecture à ses trois en-
fanis, îespiie une sérénité d'âme, une beauté
moi aie qui accuse un vrai style; quoique
peinte à l'huile, la toile a l'aspect clair et mat
de la fresque; on voudrait voir un talent si
sérieux s'exercer, dans cette manière, à la dé-
coralion de quelque salle d'écoie ou de quel-
que mairie.
Comme ses confrères en indépendance,
MM. Manet et Degas, MUe Cassatt s'est acharnée
à porter son organe visuel à un état de sensi-
bilité, de nervosité, d'irritation même, tel
qu'il peut saisir le moindre frémissement de
la lumière, le moindre atome colorant, les
moindres teintes de l'ombre. La rétine a été
affinée, aiguisée de façon à percevoir les
nuances d'une même couleur dans ses dégra-
datious les plus fugitives, si bien que les di-
verses gammes ont été augmentées d'un nom-
bre infini de t- ns, de demi-tons, de quarts de
ton. La plus légère tache ..ffecte l'œil, lui traduit
avec une extrême délicatesse, non plus le
contour, mais le petit mouvement lumineux
qui fait couleur; tout devient valeur, enve-
loppe et masse. Ce système, qui exige une con-
formation et une éducation toutes spéc;ales
des facuhés visuelles, est appliqué à la Jeune
femme dit jardin, tricotant, coiffée d'un cha-
peau de tulle rose dont le rebord projette
une ombre douce sur le visage modelé en
demi-teinte, d'une étonnante finesse. La
même figure nous montre à quel degré Car-