BAS—RELIEFS MYSTÉRIEUX : CHAPITEAUX d’àMBOISE.
219
force de voltige au festin d’Hérode ; mais il ne serait pas invraisemblable qu’on y voulût tout
simplement caractériser la luxure et les moyens qu’elle emploie pour attirer l’homme dans
ses filets (cf. supra, p. 159). En ce cas, le sculpteur, ou celui qui le dirigeait, aura voulu
montrer les trois convoitises qui assiègent le cœur humain et menacent de le perdre1. La
superbe avec l’ambition, serait bien symbolisée dans Hérode qui veut garder son trône
à tout prix; la luxure, c’est le bouc et la danseuse dont le diable se sert comme
d’hameçon2. La concupiscence des yeux, qui est la curiosité, n’est pas sans parenté
avec l’avarice qui jouit du seul plaisir de voir son or; mais elle se rapporte aussi aux
imprudences de la pensée qui court à la recherche du nouveau, sans s’occuper des
risques de son enquête. Si c’était là vraiment le but de l’artiste, l’imprudence d’un
esprit qui se livre à l’inconnu quelconque (sciences occultes, spectacles dangereux, etc.),
nous pouvons en reconnaître une autre forme dans ce petit homme accroupi qui se laisse
raconter n’importe quoi par un serpent d’une part et un quadrupède de l’autre (bande E,
p. 217). Ne sommes-nous pas en droit d’y voir ces mots du Psalmiste3: « Les méchants
m’ont fait quantité de contes... Peu s’en est fallu qu’ils ne m’abattissent... Les pécheurs
m’ont guetté pour me perdre... Ils m’ont tendu des filets; etc. » Cf. supra, p. 167,
176-179, etc.
Cette ligne de sculptures se continue par deux oiseaux qui allongent leurs cous, en
ouvrant le bec (p. 220) sur une grosse ampoule, à la manière de celle que tient saint Jean-
Baptiste dans les chapiteaux du Mans; je ne puis pas me résigner à y voir un symbole du
baptême (cf. supra, p. 183). Mais ce pourrait bien être un succédané populaire de la coupe
où boivent les dragons de Chartres (supra, p. 191; et 198, sv.) et les quadrupèdes des
étoffes à la manière persane. S’il en était ainsi, nous n’aurions pas à en donner une
explication nouvelle; et l’on a déjà vu plus d’une fois que les programmes primitifs se
modifient souvent de manière à ne plus être reconnaissables quand ils ont fait beaucoup de
chemin. Ce qui leur reste d’affinité à si grandes distances, devrait plutôt nous surprendre.
Ce peut être aussi le cas pour le bas-relief suivant (fig. G). On serait en droit d’y recon-
naître quelque chose comme les deux serpents qui parlent à l’oreille d’un homme sur les
chapiteaux de Bàle et d’Urcel, ou dans un socle de statue à Chartres4. Mais à Saint-Denis
1. I Joann. n, 16 : « Omne quod est in mundo, concu-
» piscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et su-
» perbia vitæ. »
2. Peu importe absolument si le sculpteur voulait mon-
trer ici la fille de l’incestueuse Hérodiade, ou une femme
quelconque sans vergogne. Danseuse publique, mime, ou
Loute autre espèce de baladine, étaient pour le moyen âge
des prostituées. Les invectives des Pères de l’Église contre
le théâtre de Rome ou de Byzance n’étaient que trop
fondées certainement, et nos ancêtres pouvaient bien sa-
voir à quoi s’en tenir sur les jongleresses leurs contem-
poraines. Cf. Romania, 1872, p. ââ3 (V. Tumeresse). Quant
à moi, je suis très-porté à croire qu’il s’agit vraiment du
festin d’IIérode. Beaucoup d’autres sculptures ou peintures
confirmeraient au besoin mon opinion, à laquelle je ne
tiens pas d’ailleurs plus que de raison.
3. Ps. cxvnr, 85 : « Narraverunt mihi iniqui fabula-
tiones, etc. »
Dans la sculpture d’un pendentif du dortoir de l’abbaye
de Saint-Matthias, à Trêves, un buste flanqué de deux
oiseaux qui lui parlent à l’oreille, me semble inspiré par
le symbolisme que nous expliquons en ce moment. On a
voulu y voir la foi en la sainte Trinité, parce que deux ou
trois trèfles paraissent figurer la profession de croire aux
trois personnes divines. Mais ces prétendus trèfles pour-
raient bien n’être que des rameaux qui s’accordent assez
bien avec la représentation des deux volatiles. Les divers
monuments rassemblés dans ce mémoire ont bien plutôt
l’air d’autoriser l’interprète qui prétendra y reconnaître
une tentation cherchant à se glisser, par l’esprit, dans le
cœur de l’homme mal en garde contre les suggestions
diaboliques. Si l’ennemi ne prend pas des apparences de
monstre dévorant, il n’en est que plus dangereux,à vrai dire.
h. Cf. supra, p. 167, 178, 179 et 208. Un groupe conçu
dans le même ordre d’idées existe aussi à Wetzlar, en ma-
nière de console sous une colonne du côté de l’épître ; et le
chapiteau vis-à-vis représente les quatre fleuvesdu paradis
terrestre. J’en ai eu le dessin par la complaisance du com-
mandant Stengel, qui ne vit peut-être plus pour recevoir
le témoignage de ma gratitude.
219
force de voltige au festin d’Hérode ; mais il ne serait pas invraisemblable qu’on y voulût tout
simplement caractériser la luxure et les moyens qu’elle emploie pour attirer l’homme dans
ses filets (cf. supra, p. 159). En ce cas, le sculpteur, ou celui qui le dirigeait, aura voulu
montrer les trois convoitises qui assiègent le cœur humain et menacent de le perdre1. La
superbe avec l’ambition, serait bien symbolisée dans Hérode qui veut garder son trône
à tout prix; la luxure, c’est le bouc et la danseuse dont le diable se sert comme
d’hameçon2. La concupiscence des yeux, qui est la curiosité, n’est pas sans parenté
avec l’avarice qui jouit du seul plaisir de voir son or; mais elle se rapporte aussi aux
imprudences de la pensée qui court à la recherche du nouveau, sans s’occuper des
risques de son enquête. Si c’était là vraiment le but de l’artiste, l’imprudence d’un
esprit qui se livre à l’inconnu quelconque (sciences occultes, spectacles dangereux, etc.),
nous pouvons en reconnaître une autre forme dans ce petit homme accroupi qui se laisse
raconter n’importe quoi par un serpent d’une part et un quadrupède de l’autre (bande E,
p. 217). Ne sommes-nous pas en droit d’y voir ces mots du Psalmiste3: « Les méchants
m’ont fait quantité de contes... Peu s’en est fallu qu’ils ne m’abattissent... Les pécheurs
m’ont guetté pour me perdre... Ils m’ont tendu des filets; etc. » Cf. supra, p. 167,
176-179, etc.
Cette ligne de sculptures se continue par deux oiseaux qui allongent leurs cous, en
ouvrant le bec (p. 220) sur une grosse ampoule, à la manière de celle que tient saint Jean-
Baptiste dans les chapiteaux du Mans; je ne puis pas me résigner à y voir un symbole du
baptême (cf. supra, p. 183). Mais ce pourrait bien être un succédané populaire de la coupe
où boivent les dragons de Chartres (supra, p. 191; et 198, sv.) et les quadrupèdes des
étoffes à la manière persane. S’il en était ainsi, nous n’aurions pas à en donner une
explication nouvelle; et l’on a déjà vu plus d’une fois que les programmes primitifs se
modifient souvent de manière à ne plus être reconnaissables quand ils ont fait beaucoup de
chemin. Ce qui leur reste d’affinité à si grandes distances, devrait plutôt nous surprendre.
Ce peut être aussi le cas pour le bas-relief suivant (fig. G). On serait en droit d’y recon-
naître quelque chose comme les deux serpents qui parlent à l’oreille d’un homme sur les
chapiteaux de Bàle et d’Urcel, ou dans un socle de statue à Chartres4. Mais à Saint-Denis
1. I Joann. n, 16 : « Omne quod est in mundo, concu-
» piscentia carnis est, et concupiscentia oculorum, et su-
» perbia vitæ. »
2. Peu importe absolument si le sculpteur voulait mon-
trer ici la fille de l’incestueuse Hérodiade, ou une femme
quelconque sans vergogne. Danseuse publique, mime, ou
Loute autre espèce de baladine, étaient pour le moyen âge
des prostituées. Les invectives des Pères de l’Église contre
le théâtre de Rome ou de Byzance n’étaient que trop
fondées certainement, et nos ancêtres pouvaient bien sa-
voir à quoi s’en tenir sur les jongleresses leurs contem-
poraines. Cf. Romania, 1872, p. ââ3 (V. Tumeresse). Quant
à moi, je suis très-porté à croire qu’il s’agit vraiment du
festin d’IIérode. Beaucoup d’autres sculptures ou peintures
confirmeraient au besoin mon opinion, à laquelle je ne
tiens pas d’ailleurs plus que de raison.
3. Ps. cxvnr, 85 : « Narraverunt mihi iniqui fabula-
tiones, etc. »
Dans la sculpture d’un pendentif du dortoir de l’abbaye
de Saint-Matthias, à Trêves, un buste flanqué de deux
oiseaux qui lui parlent à l’oreille, me semble inspiré par
le symbolisme que nous expliquons en ce moment. On a
voulu y voir la foi en la sainte Trinité, parce que deux ou
trois trèfles paraissent figurer la profession de croire aux
trois personnes divines. Mais ces prétendus trèfles pour-
raient bien n’être que des rameaux qui s’accordent assez
bien avec la représentation des deux volatiles. Les divers
monuments rassemblés dans ce mémoire ont bien plutôt
l’air d’autoriser l’interprète qui prétendra y reconnaître
une tentation cherchant à se glisser, par l’esprit, dans le
cœur de l’homme mal en garde contre les suggestions
diaboliques. Si l’ennemi ne prend pas des apparences de
monstre dévorant, il n’en est que plus dangereux,à vrai dire.
h. Cf. supra, p. 167, 178, 179 et 208. Un groupe conçu
dans le même ordre d’idées existe aussi à Wetzlar, en ma-
nière de console sous une colonne du côté de l’épître ; et le
chapiteau vis-à-vis représente les quatre fleuvesdu paradis
terrestre. J’en ai eu le dessin par la complaisance du com-
mandant Stengel, qui ne vit peut-être plus pour recevoir
le témoignage de ma gratitude.