BAS-RELIEFS MYSTÉRIEUX : BOURGES.
225
gros yeux et crier à une sorte de profanation. Nous venons de voir, et nous verrons
encore, que l’Église ne réprouvait pas ces joyeusetés. En outre un cloître intérieur [patio],
à San-Salvador d’Oviedo (sculpté vers le commencement du xive siècle l, si je suis bien
informé), représente des scènes fort semblables2 : 1° Le goupil est pendu parla gorge;
2° on le voit étendu sur une civière ou corbillard , le ventre en l’air à la façon d’un
mort; 3° un coq tire la corde d’une cloche pour annoncer le convoi funèbre, et
d’autres coqs ou poules chantent l’office de requiem pour l’espiègle qui se prépare à les
croquer.
Chez notre auteur espagnol, tout cela devient documents historiques; et fait partie de
son Histoire monumentale des Asturies3. Il a vu par exemple, dans l’église de Leces, près
de Rivadesella, la fable du loup et l’agneau. A ses yeux, c’est le calife cherchant des
prétextes pour mettre la main sur le royaume de Pélage, et prétendant que toute l’Espagne
lui revient par droit de conquête [Como asi lo hablan las cronicas arabes). Quant au
cloître d’Oviedo, autre explication également, empruntée à la science des hiéroglyphes:
il s’agit de la déloyauté de l’émir Mahamuth (Mahomed-ben-Abdeljebir) qui abandonna
le palais de Cordoue pour se réfugier dans les Asturies (como lo rezan las cronicas
contemporaneas), où il prétendait trahir les chrétiens4.
Je ne saurais conseiller cette méthode interprétative aux gens d’Amboise, de Bourges,
de Metz5 et autres lieux. Le gouvernement espagnol de la reine Isabelle a fait publier
d’importantes gravures archéologiques sur les vieux monuments nationaux, et il est
fort à craindre que les révolutions politiques récentes n’empêchent la continuation
d’une entreprise si utile à la connaissance du moyen âge. Mais aux cas où les textes
explicatifs devraient suivre en Espagne la marche adoptée par notre historien
de Pélage, il n’y aurait pas à regretter qu’une certaine pause permît de ne pas
s’attarder sur cette voie malencontreuse0. Qu’il se soit embusqué primitivement un fonds
1. Cf. Madoz, Diccionario geografico-estadistico.... de
Espana, t. XII, p. 477.
2. Cf. J. M. Escandon, Historia monumental del heroico
rey Pelayoy successores, p. 22, sg.: « El emblema que mas
» llama la atencicm es un zorro escultado en un capi-
» tel. Etc. »
3. Il ne faut pas que l’on me soupçonne de plaisanterie.
Je citerai donc quelques mots de cet archéologue (ibid.) :
« Hasta las fabulas esopicas de la lingua reservada con el
» vélo de la tropologia, con ser proverbiales, se emplea-
» ron parasignificarverdades historicas y doctrinales ; etc...
» La fabula no es una mentira, es una figura significa-
» tiva de una verdadoculta escrita bajo el vélo artificioso
» de la poligrafîa. Etc. »
4. Afin de pousser la démonstration jusqu’à pleine évi-
dence, on a la bonté de nous faire toucher au doigt {ibid.,
p. 23) que coqs et poules (gallos) chantant pro defunctis,
symbolisent clairement les bons Galliciens (Gallegos) trom-
pés par ces perfides Maures.
Sur ce pied-là, je ne vois pas qui m’empêcherait de
démontrer aussi aux Berrichons actuels que l’architecte de
S.-Ursin, ou le prévôt, avait fait au xic siècle un pèlerinage à
S.-Jacques en Gallice (gallos, Gallegos)-, que chemin faisant,
il avait traversé les Pyrénées (y rencontrant des ours); et (si
l’on veut absolument voir un porc dans notre chariot), que
le pèlerin avait rapporté des jambons de Bayonne à ses con-
frères. On me dira qu’il faut cependant quelque texte pour
faire parler un monument. — Réponse : Si ce n’est pas un
membre du chapitre de S.-Ursin, il y aura bien sûrement
un archevêque de Bourges ou quelque prélat des Aquitaines
qui se trouvera avoir fait ce pèlerinage d’après les chartes
et chroniques; le reste ira de soi. En conséquence, mon
explication pourra passer comme établie; mais j’avoue
que je serai le premier à n’y pas croire.
5. Cf. supra, p. 115, sv.
6. Qu’on en juge par deux ou trois extraits encore (ibid.,
p. 23-27), et je ne ferai pas choix des passages les plus
surprenants :
« El dia que se estudien esas figuras de los capitales del
» patio de la cruz del Salvador de Oviedo, que es un libro
» abierto en caricaturas de los Moros, y otros sucesos de
» aquel reino, se sabra la historia de Pelayo y sus sucesores
» de un modo cierto y mas estenso; y quedara justificado
» el dicho de las cronicas que la escribieron. Etc. (!)
» Dadas esas luces, va se comprende que en nuestra
» historia habra adiciones y commentarios equivocados
» por los escritores de los siglos xn en adelante, que to-
» maron de las escrituras arabes los augurios, encanla-
» mientos y lances de amores, que son de la historia
» reservada (!); y se esplican como metaplasmos o noemas
» retoricos. Nada hay en ella de romances, ni de trovas; y
» la historia no necesita otra cosa mas que comprender el
I. — 29
225
gros yeux et crier à une sorte de profanation. Nous venons de voir, et nous verrons
encore, que l’Église ne réprouvait pas ces joyeusetés. En outre un cloître intérieur [patio],
à San-Salvador d’Oviedo (sculpté vers le commencement du xive siècle l, si je suis bien
informé), représente des scènes fort semblables2 : 1° Le goupil est pendu parla gorge;
2° on le voit étendu sur une civière ou corbillard , le ventre en l’air à la façon d’un
mort; 3° un coq tire la corde d’une cloche pour annoncer le convoi funèbre, et
d’autres coqs ou poules chantent l’office de requiem pour l’espiègle qui se prépare à les
croquer.
Chez notre auteur espagnol, tout cela devient documents historiques; et fait partie de
son Histoire monumentale des Asturies3. Il a vu par exemple, dans l’église de Leces, près
de Rivadesella, la fable du loup et l’agneau. A ses yeux, c’est le calife cherchant des
prétextes pour mettre la main sur le royaume de Pélage, et prétendant que toute l’Espagne
lui revient par droit de conquête [Como asi lo hablan las cronicas arabes). Quant au
cloître d’Oviedo, autre explication également, empruntée à la science des hiéroglyphes:
il s’agit de la déloyauté de l’émir Mahamuth (Mahomed-ben-Abdeljebir) qui abandonna
le palais de Cordoue pour se réfugier dans les Asturies (como lo rezan las cronicas
contemporaneas), où il prétendait trahir les chrétiens4.
Je ne saurais conseiller cette méthode interprétative aux gens d’Amboise, de Bourges,
de Metz5 et autres lieux. Le gouvernement espagnol de la reine Isabelle a fait publier
d’importantes gravures archéologiques sur les vieux monuments nationaux, et il est
fort à craindre que les révolutions politiques récentes n’empêchent la continuation
d’une entreprise si utile à la connaissance du moyen âge. Mais aux cas où les textes
explicatifs devraient suivre en Espagne la marche adoptée par notre historien
de Pélage, il n’y aurait pas à regretter qu’une certaine pause permît de ne pas
s’attarder sur cette voie malencontreuse0. Qu’il se soit embusqué primitivement un fonds
1. Cf. Madoz, Diccionario geografico-estadistico.... de
Espana, t. XII, p. 477.
2. Cf. J. M. Escandon, Historia monumental del heroico
rey Pelayoy successores, p. 22, sg.: « El emblema que mas
» llama la atencicm es un zorro escultado en un capi-
» tel. Etc. »
3. Il ne faut pas que l’on me soupçonne de plaisanterie.
Je citerai donc quelques mots de cet archéologue (ibid.) :
« Hasta las fabulas esopicas de la lingua reservada con el
» vélo de la tropologia, con ser proverbiales, se emplea-
» ron parasignificarverdades historicas y doctrinales ; etc...
» La fabula no es una mentira, es una figura significa-
» tiva de una verdadoculta escrita bajo el vélo artificioso
» de la poligrafîa. Etc. »
4. Afin de pousser la démonstration jusqu’à pleine évi-
dence, on a la bonté de nous faire toucher au doigt {ibid.,
p. 23) que coqs et poules (gallos) chantant pro defunctis,
symbolisent clairement les bons Galliciens (Gallegos) trom-
pés par ces perfides Maures.
Sur ce pied-là, je ne vois pas qui m’empêcherait de
démontrer aussi aux Berrichons actuels que l’architecte de
S.-Ursin, ou le prévôt, avait fait au xic siècle un pèlerinage à
S.-Jacques en Gallice (gallos, Gallegos)-, que chemin faisant,
il avait traversé les Pyrénées (y rencontrant des ours); et (si
l’on veut absolument voir un porc dans notre chariot), que
le pèlerin avait rapporté des jambons de Bayonne à ses con-
frères. On me dira qu’il faut cependant quelque texte pour
faire parler un monument. — Réponse : Si ce n’est pas un
membre du chapitre de S.-Ursin, il y aura bien sûrement
un archevêque de Bourges ou quelque prélat des Aquitaines
qui se trouvera avoir fait ce pèlerinage d’après les chartes
et chroniques; le reste ira de soi. En conséquence, mon
explication pourra passer comme établie; mais j’avoue
que je serai le premier à n’y pas croire.
5. Cf. supra, p. 115, sv.
6. Qu’on en juge par deux ou trois extraits encore (ibid.,
p. 23-27), et je ne ferai pas choix des passages les plus
surprenants :
« El dia que se estudien esas figuras de los capitales del
» patio de la cruz del Salvador de Oviedo, que es un libro
» abierto en caricaturas de los Moros, y otros sucesos de
» aquel reino, se sabra la historia de Pelayo y sus sucesores
» de un modo cierto y mas estenso; y quedara justificado
» el dicho de las cronicas que la escribieron. Etc. (!)
» Dadas esas luces, va se comprende que en nuestra
» historia habra adiciones y commentarios equivocados
» por los escritores de los siglos xn en adelante, que to-
» maron de las escrituras arabes los augurios, encanla-
» mientos y lances de amores, que son de la historia
» reservada (!); y se esplican como metaplasmos o noemas
» retoricos. Nada hay en ella de romances, ni de trovas; y
» la historia no necesita otra cosa mas que comprender el
I. — 29