SOURCES OU PUISAIT L’ART.
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sont les quatre âges de la vie humaine. Enfance, jeunesse, maturité, vieillesse. A chacune
de ces périodes, il nous faut être en mesure de paraître si le Père de famille nous appelle,
ou vient nous trouver à l’improviste. J’en supprime les détails, qui méritent d’être lus
chez l’auteur, et qui peuvent du reste être consultés plus facilement aujourd’hui dans la
Patrologie latine (t. CLXXII), publiée par M. l’abbé Migne il y a quelques années.
Même pensée à peu de chose près, quoique sous forme beaucoup plus dramatique et
devenue bien autrement populaire, dans les scènes qui ont reçu le nom de Danse des morts.
Danse de la Mort serait titre plus exact, parce que la camuse est seule à danser de bon cœur
dans ce branle universel où tous refusent son invitation tant qu’ils peuvent. Il semble qu’on
ait préludé à cette représentation des le xne siècle, par les Trois Morts et les Trois Vifs1, qui ont
eu la vie assez dure; mais ce n’était encore là qu’une scène fort sérieuse ; tandis que dès
le commencement du xme siècle, Hélinand faisait entrer déjà une certaine profusion de sel
amer dans son fabelde la mort. Thibaut de Marly suivit cette trace 1 2, et fut imité par d’autres
trouvères. Quant à la vraie danse macabre, avec ses joyeusetés sévères et sa tragi-
comédie continue, l’origine de son nom arabe appuierait l’opinion de M. Ticknor, qui semble
persuadé que l’un des plus anciens poèmes sur ce sujet appartient à l’Espagne (Dama
general, Danza de la Muer te). M. de Gayangos, dans la traduction du docte américain [Historia
de la literatura espahola, t. I, p. 95, sgg.; t. IV, p. 373, sgg.), révoquait d’abord en doute
cette antériorité de l’Espagne sur la France, et finit par se ranger à l’opinion de son
auteur. J’avoue n’être pas assez au courant de notre vieille histoire littéraire, pour avoir
droit de réclamer en faveur de ma patrie ; je dois donc laisser en suspens cette question d’ori-
gine. Ce qui n’est pas douteux et ce qui nous importe le plus en ce moment, c’est que la
France et l’Allemagne ont multiplié cette satire humaine avec une fécondité de verve dont les
Espagnols ne nous ont point donné la preuve dans le relevé de leurs monuments. L’Italie,
par la main de Pétrarque et des peintres du Campo-Santo de Pise, ont donné au triomphe de
la mort une allure beaucoup plus grandiose, mais moins espiègle et partant moins popu-
laire. C’est toujours au fond la même idée, quoique sous forme tout autrement solennelle,
où la fantaisie septentrionale {humour) n’entre pour rien. Si je ne me trompe, la popularité
du sujet agrandi peu à peu en farandoles presque interminables, aurait surtout son point
de départ dans la grande peste du xive siècle, qui donna lieu aux folâtreries de Boccace.
Puisque je me suis trouvé conduit à faire voir que l’on moralisait le calendrier, ce
peut être l’occasion de dire que les signes même du zodiaque servirent de bonne heure
dans l’Église, comme texte (si ce n’est prétexte) de leçons chrétiennes. Cela remonte assez
haut, puisqu’on en trouve déjà l’exposé parmi les instructions liomilétiques dues à saint
Zénon de Vérone 3, sorte d’itinéraire pour élever l’âme vers Dieu en partant des créatures ;
1. M. Adrien de Longpérier a donné une notice intéres-
sante à ce sujet dans la Revue archéologique de 1845
(2e année, lre partie, p. 243-2A9). Il y fait surtout remar-
quer que l’expression de danse macabre veut dire tout bon-
nement danse des cimetières; danse des morts, si l’on veut.
2. Cf. Paulin Pâris, les Manuscrits françois..., t. III,
p. 228,svv.
3. Zenon Veronens. Ad neophytos, de XII signis (Opp. ed.
Ballerini, p. 2Zt6, sqq.), libr. II, traclat. Z|3. On dira, si
l’on veut, que le saint évêque prétendait là déconsidérer
l’astrologie; je le veux bien. Ce ne serait pas moins de
quoi initier les fidèles à des allégories pieuses.
Quoique d’autres exemples ne soient pas introuvables, il
convient peut-être de se rappeler que diverses homélies du
vieux temps ont l’air de récréations édifiantes offertes aux
catéchumènes pour détendre l’esprit en élevant le cœur,
après des séances un peu sérieuses pour plusieurs d’entre
eux. Une pensée pareille peut avoir inspiré dès les pre-
miers siècles la description étrange de ce repas (cœna),
où toutes les personnes de la Bible défilent à plusieurs
reprises, et qui a passé longtemps pour œuvre de saint Cy-
prien. Si drôle que ce soit, on en trouve l’analogue chez
saint Zénon encore (Ad neophytos posl baptisma, serm. I;
p. 235, sqq.), et chez d’autres Pèrés ou écrivains ecclésias-
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sont les quatre âges de la vie humaine. Enfance, jeunesse, maturité, vieillesse. A chacune
de ces périodes, il nous faut être en mesure de paraître si le Père de famille nous appelle,
ou vient nous trouver à l’improviste. J’en supprime les détails, qui méritent d’être lus
chez l’auteur, et qui peuvent du reste être consultés plus facilement aujourd’hui dans la
Patrologie latine (t. CLXXII), publiée par M. l’abbé Migne il y a quelques années.
Même pensée à peu de chose près, quoique sous forme beaucoup plus dramatique et
devenue bien autrement populaire, dans les scènes qui ont reçu le nom de Danse des morts.
Danse de la Mort serait titre plus exact, parce que la camuse est seule à danser de bon cœur
dans ce branle universel où tous refusent son invitation tant qu’ils peuvent. Il semble qu’on
ait préludé à cette représentation des le xne siècle, par les Trois Morts et les Trois Vifs1, qui ont
eu la vie assez dure; mais ce n’était encore là qu’une scène fort sérieuse ; tandis que dès
le commencement du xme siècle, Hélinand faisait entrer déjà une certaine profusion de sel
amer dans son fabelde la mort. Thibaut de Marly suivit cette trace 1 2, et fut imité par d’autres
trouvères. Quant à la vraie danse macabre, avec ses joyeusetés sévères et sa tragi-
comédie continue, l’origine de son nom arabe appuierait l’opinion de M. Ticknor, qui semble
persuadé que l’un des plus anciens poèmes sur ce sujet appartient à l’Espagne (Dama
general, Danza de la Muer te). M. de Gayangos, dans la traduction du docte américain [Historia
de la literatura espahola, t. I, p. 95, sgg.; t. IV, p. 373, sgg.), révoquait d’abord en doute
cette antériorité de l’Espagne sur la France, et finit par se ranger à l’opinion de son
auteur. J’avoue n’être pas assez au courant de notre vieille histoire littéraire, pour avoir
droit de réclamer en faveur de ma patrie ; je dois donc laisser en suspens cette question d’ori-
gine. Ce qui n’est pas douteux et ce qui nous importe le plus en ce moment, c’est que la
France et l’Allemagne ont multiplié cette satire humaine avec une fécondité de verve dont les
Espagnols ne nous ont point donné la preuve dans le relevé de leurs monuments. L’Italie,
par la main de Pétrarque et des peintres du Campo-Santo de Pise, ont donné au triomphe de
la mort une allure beaucoup plus grandiose, mais moins espiègle et partant moins popu-
laire. C’est toujours au fond la même idée, quoique sous forme tout autrement solennelle,
où la fantaisie septentrionale {humour) n’entre pour rien. Si je ne me trompe, la popularité
du sujet agrandi peu à peu en farandoles presque interminables, aurait surtout son point
de départ dans la grande peste du xive siècle, qui donna lieu aux folâtreries de Boccace.
Puisque je me suis trouvé conduit à faire voir que l’on moralisait le calendrier, ce
peut être l’occasion de dire que les signes même du zodiaque servirent de bonne heure
dans l’Église, comme texte (si ce n’est prétexte) de leçons chrétiennes. Cela remonte assez
haut, puisqu’on en trouve déjà l’exposé parmi les instructions liomilétiques dues à saint
Zénon de Vérone 3, sorte d’itinéraire pour élever l’âme vers Dieu en partant des créatures ;
1. M. Adrien de Longpérier a donné une notice intéres-
sante à ce sujet dans la Revue archéologique de 1845
(2e année, lre partie, p. 243-2A9). Il y fait surtout remar-
quer que l’expression de danse macabre veut dire tout bon-
nement danse des cimetières; danse des morts, si l’on veut.
2. Cf. Paulin Pâris, les Manuscrits françois..., t. III,
p. 228,svv.
3. Zenon Veronens. Ad neophytos, de XII signis (Opp. ed.
Ballerini, p. 2Zt6, sqq.), libr. II, traclat. Z|3. On dira, si
l’on veut, que le saint évêque prétendait là déconsidérer
l’astrologie; je le veux bien. Ce ne serait pas moins de
quoi initier les fidèles à des allégories pieuses.
Quoique d’autres exemples ne soient pas introuvables, il
convient peut-être de se rappeler que diverses homélies du
vieux temps ont l’air de récréations édifiantes offertes aux
catéchumènes pour détendre l’esprit en élevant le cœur,
après des séances un peu sérieuses pour plusieurs d’entre
eux. Une pensée pareille peut avoir inspiré dès les pre-
miers siècles la description étrange de ce repas (cœna),
où toutes les personnes de la Bible défilent à plusieurs
reprises, et qui a passé longtemps pour œuvre de saint Cy-
prien. Si drôle que ce soit, on en trouve l’analogue chez
saint Zénon encore (Ad neophytos posl baptisma, serm. I;
p. 235, sqq.), et chez d’autres Pèrés ou écrivains ecclésias-