SOIXANTE-DEUXIÈME ANNÉE
Prix dn Numéro ï âS cQnûmQn
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PARIS
Trois mois. 18 (T.
Six mois. 36 —
lin an. 72 —
(l.ES MANDATS TÉLÉGRAPHIQUES NE SONT PAS REÇUS)
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DIRECTION
rolUique, l,iitéraipc el Arlislique
IMiüUlE V Éilüi\
la ô <3 iicîe iï ■' cm 41 li c f
BUREAUX
DK «.A RÉDACTION IST DE I.’ADMIN1STRATI0N
Rue de la Victoire 20
SAMEDI 7 JANVIER 1893
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DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mots. 40 —
Un an. 80 —
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mil II K VÉBON
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ANNONCES
ADOLPHE EWIG, vermiira de i.a publicité
92, Rue Riolielieu
BULLETIN POLITIQUE
Sauvés, mon Dieu !
Les pessimistes en seront pour leurs frais de
sinistres prophéties, et l’édifice social ne s’écrou-
lera pas cette fois encore.
Voici qu’en effet un groupe de sénateurs et de
députés a trouvé le moyen de le consolider.
Oii ne peut pas donner à ce groupe le nom
d’Armée du Salut, qui serait excessif, puisqu’il
ne s’agit que d’une quinzaine de coalisés. Mettons
donc que ce sera le Peloton du Salut.
Vous vous demandez sans doute quelle loi tuté-
laire ces législateurs ont bien pu imaginer pour
les besoins du moment.
Une loi! Vous n’y pensez pas. Le Peloton du
Salut a des visées plus hautes, et voici la circu-
laire qu’il vient de confectionner :
« M.
» La France traverse une épreuve terrible,
elle ne peut en sortir sans le secours de Dieu.
» Si tous les catholiques doivent solliciter par
leurs prières l’intervention divine, les sénateurs
çt députés soussignés ont pensé qu’ils avaient le
devoir de faire davantage fils ont résolu, d’accord
avec beaucoup de leurs collègues, de provoquer,
au nom de la France et dans la mesure où ils la
représentent, un effort plus général sur le cœui
de Dieu.
» C’est pourquoi ils viennent vous demander,
M..., une neuvaine de prières pour la France à la i
date qu’il vous plaira de fixer, et avec le concours
de toutes les personnes qui sont placées sous
votre direction.
» Bien convaincus que vous ne nous refuserez
pas votre précieux concours, nous vous prions,
M. ., d’agréer toute notre reconnaissance avec
nos sentiments distingués. »
Vous voyez comme c’est simple. Gomment n y
a-t-on pas songé plus tôt?
Des chicaniers pourraient demander comment
il se fait que la neuvaine de Sainte-Geneviève,
qui a justement lieu en ce moment, ne suffit pas
à la tâche de régénération et pourquoi il faut en
instituer une autre. j
Les memes chicaniers seraient en droit de faire
observer que lus dévots rédacteurs du document
ci-dessus ont un pou l’air de prendre le bon Dieu
pour une girouette.
Ils déclarent, en effet, qu’on ne peut pas sortir
de l’épreuve terrible traversée en ce moment,
sans le secours de Dieu. Or, si rien n’arrive con-
tre sa volonté, c’est lui-même qui nous a jetés
dans la mélasse, et la neuvaine projetée viendra
tout simplement le mettre en demeure de s’infli-
ger un démenti.
Nous ajouterons que l’appel des Salutistes par-
lementaires manque de clarté et néglige absolu-
ment de dire quel genre de collaboration on
compte exiger de la Providence.
S’agit-il seulement de lessiver les âmes? N’est-
ce pas plutôt le rétablissement d’un trône que la
neuvaine aura pour objectif?
Pourquoi alors n'a-t-on pas la franchise de le
dire? On sent donc que cet objectif-là est bien
impopulaire!
Par exemple, ce qui nous plonge dans un ahu-
rissement admiratif, c’est de voir la candide
persistance de ces bons monarchistes, qui conti-
nuent à espérer quand ils ont sujet de désespérer
depuis si longtemps.
Des prières publiques! La majorité versaillaise
de 1871 en fit débiter et réciter je ne sais com-
bien sans que cela tirât à conséquence.
Tant que vécut le comte de Chambord, les
champions du droit divin ne cessèrent pas de
marmotter des orémus en son honneur. Il en fut
bien avancé, le pauvre homme!
Dame! aussi, il faut avouer que le Père Eternel
ne doit plus pouvoir s’y reconnaître au milieu
de toutes ces implorations contradictoires. Tou-
jours les braillements officiels des chantres lui
demandent autre chose que les litanies particu-
lières.
Sous le premier Empire, les chantres en ques-
tion tonnaient le Domine, salvum fac impera-
torem. Sous Louis-Philippe, ils criaient au béné-
fice du roi des barricades; après le Coup d’Etat,
au bénéfice de Louis-Bonaparte. Et aujourd’hui
encore, à la messe, c’est la République qu’on re-
commande au Très-Haut.
Et voici que maintenant les neuvainistes vont
le supplier de flanquer par terre cette même
République, comme jadis les légitimistes le sup-
pliaient de mettre à la porte les Bonaparte ou la
royauté de Juillet.
Pau vre bon Dieu ! R y aurait de quoi devenir
fou, s’il n’avait le cerveau solide. Mais cotte soli-
dité n’exclut pas l’agacement, et tout porte à
croire qu’aux premiers murmures de la neuvaine
ü ripostera par un « Fichez-moi donc la paix ! »
énergique.
Nous ferons, en outre, une dernière observa-
tion à VUnivers qui enregistre pieusement la
manifestation et qui prétend que la France ne
trouvera jamais de stabilité en dehors de la loi
catholique. Elle fiorissait, cette foi catholique,
lorsque Louis XVI fut détrôné ; elle reflorissait
quand Charles X fut expédié en exil.
Allons, décidément, il faudrait trouver contre
les révolutions un autre remède que les neu-
vaines.
VIEILLE RENGAINE
Pierre Véron
LE QUATRAIN D’HIER
La Chambre va, réintégrant son antre,
Dans le gâchis faire ses derniers pas.
Et chacun dit, en la voyant qui rentre :
« Elle revient, — mais ne nous revient pas. »
SIFFLET.
Un journal conslate avec amertume que le jeu
semble indestructible, et qu’on n’est pas près
d’arracher l’humanité à cette funeste passion. En
effet, on n’a pas plus tôt interdit un jeu de hasard
qu un autre surgit plus dangereux encore pour
les pontes que le précédent.
On a commencé par défendre la roulette, —
celle-ci a été remplacée par la « baraque ».
La « baraque » a été proscrite à son tour, — on
lui a immédiatement substitué une foule d’imita-
tions, qui, du reste, ne valaient pas mieux.
Enfin, d interdiction en interdiction, on en est
arrivé au jeu du « cardinal », contre lequel pro-
testent aujourd’hui les moralistes.
Ilélas! s écrient ces indignés, comment arri-
verons-nous à faire comprendre aux hommes que
le jeu est la pire des passions?
Un d’eux s est avisé d’un remède qui, de prime
abord, paraît assez séduisant.
Il s’est dit :
— Le jeu est interdit en France; c’est pour ça
que tout le monde joue. S’il était autorisé, il per-
drait immédiatement tout son charme.
Evidemment, ce philosophe conuaït l’humanité;
il sait combien les gens attachent de prix à ce
qui est défendu, et il compte sur la liberté pour
tuer l’abus.
C’est un beau rêve philanthropique, mais ce
n’est là qu’un rêve-.
Voici un moyen radical que nous proposerions;
mais les philanthropes en voudront-ils?
Il suffirait de voter une loi ainsi conçue :
Article premier. — Le jeu est obligatoire sur
toute l’étendue du terrritoire français.
Art. 2. — Tout citoyen, après avoir dîné som-
mairement, est obligé d’aller s’asseoir à une table
de jeu, de neuf heures du soir à six heures du
matin.
Art. 3. — Pendant ce laps de temps, il ne
pourra proférer d’autres paroles que «j’en de-
mande », « j’abats », « bac », « un louis qui
tombe ». Si on s’informe de sa famille et du nom-
bre de ses enfants, il s’écriera: «Trois bûches! »,
frappant désespérément du poing sur la
Art. 4. — Tout citoyen qui aura attrapé la forte
culotte devra s’arracher plusieurs poignées de
cheveux, et, en rentrant chez lui, lancer tous les
jurons qu’il sait, repousser sa femme, bourrer
ses enfants et briser quelques potiches.
Art. 5. — Quand le citoyen aura définitivement
tout perdu, il sera tenu de se faire sauter la cer-
velle. Le gouvernemeut, toujours prévoyant, lui
fournira un revolver gratis.
Art. 6. —Les gens qui auront détroussé habi-
lement les autres seront renvoyés devant une
commission spéciale qui, après les avoir félicités,
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Sauvés, mon Dieu !
Les pessimistes en seront pour leurs frais de
sinistres prophéties, et l’édifice social ne s’écrou-
lera pas cette fois encore.
Voici qu’en effet un groupe de sénateurs et de
députés a trouvé le moyen de le consolider.
Oii ne peut pas donner à ce groupe le nom
d’Armée du Salut, qui serait excessif, puisqu’il
ne s’agit que d’une quinzaine de coalisés. Mettons
donc que ce sera le Peloton du Salut.
Vous vous demandez sans doute quelle loi tuté-
laire ces législateurs ont bien pu imaginer pour
les besoins du moment.
Une loi! Vous n’y pensez pas. Le Peloton du
Salut a des visées plus hautes, et voici la circu-
laire qu’il vient de confectionner :
« M.
» La France traverse une épreuve terrible,
elle ne peut en sortir sans le secours de Dieu.
» Si tous les catholiques doivent solliciter par
leurs prières l’intervention divine, les sénateurs
çt députés soussignés ont pensé qu’ils avaient le
devoir de faire davantage fils ont résolu, d’accord
avec beaucoup de leurs collègues, de provoquer,
au nom de la France et dans la mesure où ils la
représentent, un effort plus général sur le cœui
de Dieu.
» C’est pourquoi ils viennent vous demander,
M..., une neuvaine de prières pour la France à la i
date qu’il vous plaira de fixer, et avec le concours
de toutes les personnes qui sont placées sous
votre direction.
» Bien convaincus que vous ne nous refuserez
pas votre précieux concours, nous vous prions,
M. ., d’agréer toute notre reconnaissance avec
nos sentiments distingués. »
Vous voyez comme c’est simple. Gomment n y
a-t-on pas songé plus tôt?
Des chicaniers pourraient demander comment
il se fait que la neuvaine de Sainte-Geneviève,
qui a justement lieu en ce moment, ne suffit pas
à la tâche de régénération et pourquoi il faut en
instituer une autre. j
Les memes chicaniers seraient en droit de faire
observer que lus dévots rédacteurs du document
ci-dessus ont un pou l’air de prendre le bon Dieu
pour une girouette.
Ils déclarent, en effet, qu’on ne peut pas sortir
de l’épreuve terrible traversée en ce moment,
sans le secours de Dieu. Or, si rien n’arrive con-
tre sa volonté, c’est lui-même qui nous a jetés
dans la mélasse, et la neuvaine projetée viendra
tout simplement le mettre en demeure de s’infli-
ger un démenti.
Nous ajouterons que l’appel des Salutistes par-
lementaires manque de clarté et néglige absolu-
ment de dire quel genre de collaboration on
compte exiger de la Providence.
S’agit-il seulement de lessiver les âmes? N’est-
ce pas plutôt le rétablissement d’un trône que la
neuvaine aura pour objectif?
Pourquoi alors n'a-t-on pas la franchise de le
dire? On sent donc que cet objectif-là est bien
impopulaire!
Par exemple, ce qui nous plonge dans un ahu-
rissement admiratif, c’est de voir la candide
persistance de ces bons monarchistes, qui conti-
nuent à espérer quand ils ont sujet de désespérer
depuis si longtemps.
Des prières publiques! La majorité versaillaise
de 1871 en fit débiter et réciter je ne sais com-
bien sans que cela tirât à conséquence.
Tant que vécut le comte de Chambord, les
champions du droit divin ne cessèrent pas de
marmotter des orémus en son honneur. Il en fut
bien avancé, le pauvre homme!
Dame! aussi, il faut avouer que le Père Eternel
ne doit plus pouvoir s’y reconnaître au milieu
de toutes ces implorations contradictoires. Tou-
jours les braillements officiels des chantres lui
demandent autre chose que les litanies particu-
lières.
Sous le premier Empire, les chantres en ques-
tion tonnaient le Domine, salvum fac impera-
torem. Sous Louis-Philippe, ils criaient au béné-
fice du roi des barricades; après le Coup d’Etat,
au bénéfice de Louis-Bonaparte. Et aujourd’hui
encore, à la messe, c’est la République qu’on re-
commande au Très-Haut.
Et voici que maintenant les neuvainistes vont
le supplier de flanquer par terre cette même
République, comme jadis les légitimistes le sup-
pliaient de mettre à la porte les Bonaparte ou la
royauté de Juillet.
Pau vre bon Dieu ! R y aurait de quoi devenir
fou, s’il n’avait le cerveau solide. Mais cotte soli-
dité n’exclut pas l’agacement, et tout porte à
croire qu’aux premiers murmures de la neuvaine
ü ripostera par un « Fichez-moi donc la paix ! »
énergique.
Nous ferons, en outre, une dernière observa-
tion à VUnivers qui enregistre pieusement la
manifestation et qui prétend que la France ne
trouvera jamais de stabilité en dehors de la loi
catholique. Elle fiorissait, cette foi catholique,
lorsque Louis XVI fut détrôné ; elle reflorissait
quand Charles X fut expédié en exil.
Allons, décidément, il faudrait trouver contre
les révolutions un autre remède que les neu-
vaines.
VIEILLE RENGAINE
Pierre Véron
LE QUATRAIN D’HIER
La Chambre va, réintégrant son antre,
Dans le gâchis faire ses derniers pas.
Et chacun dit, en la voyant qui rentre :
« Elle revient, — mais ne nous revient pas. »
SIFFLET.
Un journal conslate avec amertume que le jeu
semble indestructible, et qu’on n’est pas près
d’arracher l’humanité à cette funeste passion. En
effet, on n’a pas plus tôt interdit un jeu de hasard
qu un autre surgit plus dangereux encore pour
les pontes que le précédent.
On a commencé par défendre la roulette, —
celle-ci a été remplacée par la « baraque ».
La « baraque » a été proscrite à son tour, — on
lui a immédiatement substitué une foule d’imita-
tions, qui, du reste, ne valaient pas mieux.
Enfin, d interdiction en interdiction, on en est
arrivé au jeu du « cardinal », contre lequel pro-
testent aujourd’hui les moralistes.
Ilélas! s écrient ces indignés, comment arri-
verons-nous à faire comprendre aux hommes que
le jeu est la pire des passions?
Un d’eux s est avisé d’un remède qui, de prime
abord, paraît assez séduisant.
Il s’est dit :
— Le jeu est interdit en France; c’est pour ça
que tout le monde joue. S’il était autorisé, il per-
drait immédiatement tout son charme.
Evidemment, ce philosophe conuaït l’humanité;
il sait combien les gens attachent de prix à ce
qui est défendu, et il compte sur la liberté pour
tuer l’abus.
C’est un beau rêve philanthropique, mais ce
n’est là qu’un rêve-.
Voici un moyen radical que nous proposerions;
mais les philanthropes en voudront-ils?
Il suffirait de voter une loi ainsi conçue :
Article premier. — Le jeu est obligatoire sur
toute l’étendue du terrritoire français.
Art. 2. — Tout citoyen, après avoir dîné som-
mairement, est obligé d’aller s’asseoir à une table
de jeu, de neuf heures du soir à six heures du
matin.
Art. 3. — Pendant ce laps de temps, il ne
pourra proférer d’autres paroles que «j’en de-
mande », « j’abats », « bac », « un louis qui
tombe ». Si on s’informe de sa famille et du nom-
bre de ses enfants, il s’écriera: «Trois bûches! »,
frappant désespérément du poing sur la
Art. 4. — Tout citoyen qui aura attrapé la forte
culotte devra s’arracher plusieurs poignées de
cheveux, et, en rentrant chez lui, lancer tous les
jurons qu’il sait, repousser sa femme, bourrer
ses enfants et briser quelques potiches.
Art. 5. — Quand le citoyen aura définitivement
tout perdu, il sera tenu de se faire sauter la cer-
velle. Le gouvernemeut, toujours prévoyant, lui
fournira un revolver gratis.
Art. 6. —Les gens qui auront détroussé habi-
lement les autres seront renvoyés devant une
commission spéciale qui, après les avoir félicités,