SOIXANTE-DEUXIÈME ANNÉE
Prix ira Numéro : SS centimes
VENDREDI 1er SEPTEMBRE 1893
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
(les mandats télégrapuiques ne sont pas reçus)
Les abonnements parlent des 1” et te de cha^-'ie mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
Pllililili VÉIÎON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DE RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire 20
ABONNEMENTS
DÉFARTBMBNTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
L’abonnement d’un an donne droit à la prune gratuits
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
P1EIUUÏ Y È II ON
Rédacteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWtG, fermier db i.a pcblicit#
92, Ruo Richeliou
LE CHARIVARI
-_♦--
BOLLEÏII P0ÜTSQOE
Elle sera éternellement vraie en son symbo-
lisme, la vieille histoire du consul romain qui
consultait pieusement les poulets sacrés, mais
qui les flanquait à l’eau dès que leur réponse
n’était pas conforme à ses désirs.
Je demande pardon au suffrage universel de le
comparer à cette classique volaille, quoiqu’il lui
arrive de se montrer lui-même un peu dindon
parfois; mais le souvenir ci-dessus invoqué s’im-
pose, quand on voit de quelle façon ledit suffrage
universel est traité avant et après les élections.
Avant, c’est à qui le flagornera de toute part;
après, c’estàqui le vilipendera du côté des déçus.
Ce qu’il y a d’incroyable, c’est la prétention
que chaque parti manifeste d’apprécier les votes
selon qu’ils lui ont été favorables ou défavo-
rables.
Ceux qui n’ont pas réussi se mettent unanime-
ment à ricaner :
— Parbleu! c’était inévitable, avec la majorité
d’imbéciles qui règle les destinées de la France.
Et pourquoi avez-vous mendié les voix de ces
imbéciles-là, je vous prie? Qui vous forçait d’être
candidats?
Si vous aviez été élus, au contraire, il vous au-
rait entendu redire avec enthousiasme :
— C’est admirable, la volonté d’un pays se ma-
nifestant sur le nom d'un patriote dévoué! Quel
bon sens dans notre nation!
Pour le philosophe qui regarde sans passion et
avec une curiosité impartiale, rien de plus ré-
jouissant que le spectacle de ces contradictions
intéressées.
Ce pauvre suffrage universel, sublime pour les
uns, idiot pour les autres, selon les résultats du
scrutin, n’est pas un infaillible, certes; mais ce
n’est pas non plus l’abruti que veulent en faire
les mécontents.
La vérité est qu’il ne mérite ni ces excès d’hon-
neur ni ces indignités. Gomme toute institution
humaine, il a ses qualités et ses défauts.
Pauvre poulet sacré !
Les syndicats condamnés par la police correc-
tionnelle vont aller en appel.
Mais, en même temps, les journaux socialistes
déclarent qu’ils ne tiendront aucun compte du
jugement définitif, s’il leur est défavorable.
Encore la même façon de procéder qu’avec le
suffrage universel. Encore les poulets sacrés.
— Dis ce que je veux, ou zut!
Vraiment, ce n’est pourtant pas là un idéal de
civilisation.
Si l’on en juge par le langage des journaux an-
glais, cette chère Albion n’aurait pas absolument
renoncé à l’espoir de rallumer le feu au Siam.
On cherche toutes sortes de mauvaises raisons
pouvant fournir aux Siamois un prétexte de ne
pas exécuter le traité conclu.
Trop tard, la fourberie ! Vous avez raté l'occa-
sion, bons voisins, de nous jouer un mauvais tour
de plus. Ce sera pour une au ire fois, nous n'en
doutons pas; mais nous nous tenons sur nos gar-
des et ne nous laisserons iras plus faire qu’à
Bangkok.
On prépare, aux Etats-Unis, une loi tout à fait
opérettiforme.
En gens pratiques, les Yankees se sent émus de
l’exportation virginale, qui a pris là-bas des
développements alarmants.
Si cette exportation virginale se pratiquait seu-
lement sur les jeunes filles y g. ivres,on n’en pren-
drait pas souci, sans doute ; mais elle opère sur -
tout sur les demoiselles à millions, et c’est ce qui
chiffonne ce peuple calculateur.
Les filles des plus riches, propriétaires, des
Crésus les plus avérés ont pris l’habitude de ve-
nir en Europe chercher un mari orné d’une par-
ticule. Titre contre argent, comme disent les
changeurs.
On veut être duchesse ou princesse ; on s’a-
chète, par devant M. le maire, un duc ou un
prince.
Voyant que tant de fortes sommes sont en
traiD de leur échapper, les Américains du Nord
ont l’intention, de frapper un impôt formidable
sur la fortune des jeunes misses qui s’en iront
ainsi s’offrir un blason à L’étranger,
La discussion de ce projet fin de siècle promet
de donner lieu à de réjouissants épisodes et nous
aurons bien soin de vous tenir au courant.
Dès à présent, deux démonstrations sortent de
ce prologue.
La première, c’est que le républicanisme, au
moins en Amérique, n’exclut pas la vanité.
La seconde, c’est qu’il ne manque pas de no-
blesses à vendre.
Duo de constatations qui ne sont pas plus l’uue
que l’autre à l’honneur de notre triste huma-
nité.
Pierre Véron.
VALKTRIBDLADSS
Un écho théâtral, qu’on n’a pas assez remar-
qué, nous a appris qu’à l’une des dernières re-
présentations de la Valkyrie, à l’Opéra, on cons-
tatait, dans la salle, la présence d’un grand nombre
d’hommes politiques, parmi lesquels beaucoup
de nouveaux députés.
Il est probable que les transcendances musi-
cales de Wagner n’étaient pas le prétexte absolu
d'une telle affluence.
Bien plutôt devons-nous supposer que le désir
de se montrer dans toute la fraîche gloire des
triomphes électoraux, en plein temple d’élégance
parisienne et artistique, a provoqué tant d’em-
pressement.
La plupart des nouveaux élus, ivres de leur
victoire, ont hâte de conquérir Paris. Les réélus
ne sont pas moins pressés. Tout cet honorable
monde brûle des fièvres neuves ou rajeunies qui
suivent les heureuses luttes. Si on les écoutait,
on rouvrirait tout de suite le Palais-Bourbon,
pour y donner la première de cette pièce poli-
tique qu’on appelle la session ordinaire de la
Chambre.
En attendant, rien d’étonnant-à les voir se ra-
battre sur les autres théâtR^fÔpéra en tête.
Et puis, la Valkyrie a ne quoi les satisfaire,
en somme. II y a là un dieu dont le nom seul est
à la fois un souvenir et une promesse, le dieu
Votan, que l’orthographe parlementaire écrit
certainement Votant, pour complaire au suffrage
universel, qui semble en dériver directement.
Il y a aussi l’épée flamboyante, qu’un ténor, vi-
goureux comme un candidat, arrache de l’arbre
enchanté, comme on arrache une majorité de
l’urne mystérieuse.
Il y a, enfin, le leitmotif; que dis-je? beaucoup,
énormément de leitmotifs.
Et l’on sait si la gent politique abuse de ce pro-
cédé à répétition dans sa musique oratoire et
jacassine!
Le respect de la loi, leitmotif! Les immortels
principes, leitmotifs! Le douzième provisoire,
leitmotif! Le péril social, leitmotif! Gent autres
vocables sonores, autant de leitmotifs, c’est-à-
dire de ritournelles sempiternelles.
Car Wagner n’a rien inventé avec ses leitmo-
tifs, en France surtout, le pays par excellence
des ritournelles et des refrains. Avant lui et
après lui, avec plus ou moins de solennité dans
la façon de procéder, on a répété les mêmes airs
dans la même chanson, et accommodé le même
poisson à des sauces différentes.
Les parlementeux de tous les régimes ont leit-
motivé sans cesse, hélas! C’est même par l’abus
qu’ils ont fait des répétitions qu’ils en sont ar-
rivés à lasser le malheureux électeur jusqu’à
l’abrutir — ou l’indigner.
Physiologiquement, la musique wagnérienne
semble donc convenir aux honorables oreilles
des députés présents et futurs.
Artistiquement, c’est une autre affaire. Les
nouveaux cinq cent quatre-vingts du Palais du
quai d’Orsay auront, pour la plupart, beaucoup
de mal à comprendre la transcendance et le com-
pliqué du fameux compositeur qui accapare notre
Académie nationale de musique. Il y aura tou-
jours pour eux trop de brouillamini là-dedans,
comme dit Francisque Sarcey, qui n’aime pas les
symphonistes.
Le député n’apprend que les leitmotifs banals,
l’allocation mensuelle, par exemple, aimable ré-
pétition d’une même mélopée, toujours sembla-
ble, toujours intéressante.
Prix ira Numéro : SS centimes
VENDREDI 1er SEPTEMBRE 1893
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PARIS
Trois mois. 18 fr.
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Un an. 72 —
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DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
Pllililili VÉIÎON
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BUREAUX
DE RÉDACTION ET DE L’ADMINISTRATION
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ABONNEMENTS
DÉFARTBMBNTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
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92, Ruo Richeliou
LE CHARIVARI
-_♦--
BOLLEÏII P0ÜTSQOE
Elle sera éternellement vraie en son symbo-
lisme, la vieille histoire du consul romain qui
consultait pieusement les poulets sacrés, mais
qui les flanquait à l’eau dès que leur réponse
n’était pas conforme à ses désirs.
Je demande pardon au suffrage universel de le
comparer à cette classique volaille, quoiqu’il lui
arrive de se montrer lui-même un peu dindon
parfois; mais le souvenir ci-dessus invoqué s’im-
pose, quand on voit de quelle façon ledit suffrage
universel est traité avant et après les élections.
Avant, c’est à qui le flagornera de toute part;
après, c’estàqui le vilipendera du côté des déçus.
Ce qu’il y a d’incroyable, c’est la prétention
que chaque parti manifeste d’apprécier les votes
selon qu’ils lui ont été favorables ou défavo-
rables.
Ceux qui n’ont pas réussi se mettent unanime-
ment à ricaner :
— Parbleu! c’était inévitable, avec la majorité
d’imbéciles qui règle les destinées de la France.
Et pourquoi avez-vous mendié les voix de ces
imbéciles-là, je vous prie? Qui vous forçait d’être
candidats?
Si vous aviez été élus, au contraire, il vous au-
rait entendu redire avec enthousiasme :
— C’est admirable, la volonté d’un pays se ma-
nifestant sur le nom d'un patriote dévoué! Quel
bon sens dans notre nation!
Pour le philosophe qui regarde sans passion et
avec une curiosité impartiale, rien de plus ré-
jouissant que le spectacle de ces contradictions
intéressées.
Ce pauvre suffrage universel, sublime pour les
uns, idiot pour les autres, selon les résultats du
scrutin, n’est pas un infaillible, certes; mais ce
n’est pas non plus l’abruti que veulent en faire
les mécontents.
La vérité est qu’il ne mérite ni ces excès d’hon-
neur ni ces indignités. Gomme toute institution
humaine, il a ses qualités et ses défauts.
Pauvre poulet sacré !
Les syndicats condamnés par la police correc-
tionnelle vont aller en appel.
Mais, en même temps, les journaux socialistes
déclarent qu’ils ne tiendront aucun compte du
jugement définitif, s’il leur est défavorable.
Encore la même façon de procéder qu’avec le
suffrage universel. Encore les poulets sacrés.
— Dis ce que je veux, ou zut!
Vraiment, ce n’est pourtant pas là un idéal de
civilisation.
Si l’on en juge par le langage des journaux an-
glais, cette chère Albion n’aurait pas absolument
renoncé à l’espoir de rallumer le feu au Siam.
On cherche toutes sortes de mauvaises raisons
pouvant fournir aux Siamois un prétexte de ne
pas exécuter le traité conclu.
Trop tard, la fourberie ! Vous avez raté l'occa-
sion, bons voisins, de nous jouer un mauvais tour
de plus. Ce sera pour une au ire fois, nous n'en
doutons pas; mais nous nous tenons sur nos gar-
des et ne nous laisserons iras plus faire qu’à
Bangkok.
On prépare, aux Etats-Unis, une loi tout à fait
opérettiforme.
En gens pratiques, les Yankees se sent émus de
l’exportation virginale, qui a pris là-bas des
développements alarmants.
Si cette exportation virginale se pratiquait seu-
lement sur les jeunes filles y g. ivres,on n’en pren-
drait pas souci, sans doute ; mais elle opère sur -
tout sur les demoiselles à millions, et c’est ce qui
chiffonne ce peuple calculateur.
Les filles des plus riches, propriétaires, des
Crésus les plus avérés ont pris l’habitude de ve-
nir en Europe chercher un mari orné d’une par-
ticule. Titre contre argent, comme disent les
changeurs.
On veut être duchesse ou princesse ; on s’a-
chète, par devant M. le maire, un duc ou un
prince.
Voyant que tant de fortes sommes sont en
traiD de leur échapper, les Américains du Nord
ont l’intention, de frapper un impôt formidable
sur la fortune des jeunes misses qui s’en iront
ainsi s’offrir un blason à L’étranger,
La discussion de ce projet fin de siècle promet
de donner lieu à de réjouissants épisodes et nous
aurons bien soin de vous tenir au courant.
Dès à présent, deux démonstrations sortent de
ce prologue.
La première, c’est que le républicanisme, au
moins en Amérique, n’exclut pas la vanité.
La seconde, c’est qu’il ne manque pas de no-
blesses à vendre.
Duo de constatations qui ne sont pas plus l’uue
que l’autre à l’honneur de notre triste huma-
nité.
Pierre Véron.
VALKTRIBDLADSS
Un écho théâtral, qu’on n’a pas assez remar-
qué, nous a appris qu’à l’une des dernières re-
présentations de la Valkyrie, à l’Opéra, on cons-
tatait, dans la salle, la présence d’un grand nombre
d’hommes politiques, parmi lesquels beaucoup
de nouveaux députés.
Il est probable que les transcendances musi-
cales de Wagner n’étaient pas le prétexte absolu
d'une telle affluence.
Bien plutôt devons-nous supposer que le désir
de se montrer dans toute la fraîche gloire des
triomphes électoraux, en plein temple d’élégance
parisienne et artistique, a provoqué tant d’em-
pressement.
La plupart des nouveaux élus, ivres de leur
victoire, ont hâte de conquérir Paris. Les réélus
ne sont pas moins pressés. Tout cet honorable
monde brûle des fièvres neuves ou rajeunies qui
suivent les heureuses luttes. Si on les écoutait,
on rouvrirait tout de suite le Palais-Bourbon,
pour y donner la première de cette pièce poli-
tique qu’on appelle la session ordinaire de la
Chambre.
En attendant, rien d’étonnant-à les voir se ra-
battre sur les autres théâtR^fÔpéra en tête.
Et puis, la Valkyrie a ne quoi les satisfaire,
en somme. II y a là un dieu dont le nom seul est
à la fois un souvenir et une promesse, le dieu
Votan, que l’orthographe parlementaire écrit
certainement Votant, pour complaire au suffrage
universel, qui semble en dériver directement.
Il y a aussi l’épée flamboyante, qu’un ténor, vi-
goureux comme un candidat, arrache de l’arbre
enchanté, comme on arrache une majorité de
l’urne mystérieuse.
Il y a, enfin, le leitmotif; que dis-je? beaucoup,
énormément de leitmotifs.
Et l’on sait si la gent politique abuse de ce pro-
cédé à répétition dans sa musique oratoire et
jacassine!
Le respect de la loi, leitmotif! Les immortels
principes, leitmotifs! Le douzième provisoire,
leitmotif! Le péril social, leitmotif! Gent autres
vocables sonores, autant de leitmotifs, c’est-à-
dire de ritournelles sempiternelles.
Car Wagner n’a rien inventé avec ses leitmo-
tifs, en France surtout, le pays par excellence
des ritournelles et des refrains. Avant lui et
après lui, avec plus ou moins de solennité dans
la façon de procéder, on a répété les mêmes airs
dans la même chanson, et accommodé le même
poisson à des sauces différentes.
Les parlementeux de tous les régimes ont leit-
motivé sans cesse, hélas! C’est même par l’abus
qu’ils ont fait des répétitions qu’ils en sont ar-
rivés à lasser le malheureux électeur jusqu’à
l’abrutir — ou l’indigner.
Physiologiquement, la musique wagnérienne
semble donc convenir aux honorables oreilles
des députés présents et futurs.
Artistiquement, c’est une autre affaire. Les
nouveaux cinq cent quatre-vingts du Palais du
quai d’Orsay auront, pour la plupart, beaucoup
de mal à comprendre la transcendance et le com-
pliqué du fameux compositeur qui accapare notre
Académie nationale de musique. Il y aura tou-
jours pour eux trop de brouillamini là-dedans,
comme dit Francisque Sarcey, qui n’aime pas les
symphonistes.
Le député n’apprend que les leitmotifs banals,
l’allocation mensuelle, par exemple, aimable ré-
pétition d’une même mélopée, toujours sembla-
ble, toujours intéressante.