:
UNE BIEN GROSSE CHARGE POUR UNE SEULE PERSONNE
110 Plus beau, do plus estimable, de meilleur, de plus
rai’e, de plus précieux!...
~~ Oui, oncle André !
~~ Embrasse-lc !
Elle colla avec précaution ses lèvres roses sur le
lus d'or.
Avec ceci, tu l’apprendras et surtout le recon-
naîtras plus tard, on est fort, on est puissant, on est
Maître de tout 1
— Oui, oncle André 1
Avec ceci, tu peux te passer de tout!
— Oui, oncle André!
— Avec ceci, tu peux même te passer de ton père
et de ta mère!...
La fillette, qui souriait en regardant alternative-
ment son père, sa mère, son oncle et sa main pleine
d'or, devint tout à coup sérieuse, inquiète, effarée.
— Oui, oui, reprit l’oncle André d’une voix vi-
brante, ceci vaut mille fois mieux que ton père et
ffue ta mère, parce que, si tu as beaucoup d’or, tu
Peux très bien te passer d’eux, tandis que si tu n’en
as pas...
— Oh! mais c’est épouvantable! cria la grand-
'ttère indignée. Eh bien, Marthe, est-ce que tu vas,
Pur hasard, supporter plus longtemps que ce...
malheureux empoisonne l’âme de ta fil'e!...
Elle s’avança brusquement, saisit reniant, 1 enleva
vlolemment des bras de son gendre et, l’embrassant
bmdrement :
dette ceci bien vite... C’est malpropre 1... Cela te
salirait!... Viens avec grand’mère, ma pauvre petite
Margot; elle te donnera les beaux jouets que le petit
Jésus, ami des enfants bien sages, vient de m'en-
voyer pour toi.
La petite avait ouvert la main, et les pièces d'or
étaient tombées sur le parquet en jetant leurs fauves
reflets et en faisant entendre leurs diaboliques tin-
tements.
— Je constate une fois de plus avec douleur, bonne
maman, que vous n’êtes pas dans le train, dit en
riant cyniquement l'oncle André... Voilà peut être
la centième fois que vous vous déchaînez avec une
antique, noble et sainte fureur, contre les bons et
solides principes que je m’efforce d’inculquer à nos
enfants !...
— C’est indigne ! C’est une infamie, clama la belle-
mère en emportant la fillette, qui, ahurie, regardait
par dessus son épaule.
— Education pratique, forte et fin de siècle... 11 n’y
a que ça, chère belle-maman!.,.
Et, tout en cheminant, je laissais ma pensée s’éga-
rer en de folles rêveries, provoquées par la ren-
contre des doux mendiantes et par le souvenir de la
petite scène du riche salon de Paris.
Et comme, à ce moment-là, je me trouvais ionger
les vieux murs, flanqués de tours recouvertes de
lierre, qui entouraient autrefois l’ancien couvent des
Barnabites et défendaient ce côté de la ville, par un
jeu singulier, un bizarre caprice de mon imagina-
tion, je me suis, en une évocation soudaine, reporté
au moyen âge. Je me disais que, si j'avais vécu en
ces temps sévères, impitoyables, et si j’avais été
grand -prévôt, Chief de justice, j'aurais fait condam-
ner a mort, comme le plus dangereux des malfai-
teurs, l’homme qui aurait commis le crime dont
s'était rendu coupable l’oncle André... Je l’aurais
fait conduire au supplice en chemise, la tète et les
pieds nus. Il aurait eu au cou une cordelière d’or,
dans la main un cierge noir incrusté de pièces d’or,
dans le dos une pancarte avec ces mots, écrits en
lettres d’or : Corrupteur de l’enfance.
Le rebord du billot aurait ôté garni de pièces d’or,
le manche de la hache incrusté de pièces d’or, le
tranchant damasquiné en or. Au moment de procé-
der à l’exécution do ce monstre, on lui aurait fait
confesser son crime à genoux et demander humble-
ment pardon au peuple. Avant de poser son cou sur
le billot, on l’aurait obligé à cracher sur une pièce
d’or. Après l’exécution, on lui aurait mis une pièce
d'or entre les dents, et sa tète aurait ôté exposée
au-dessus de l’écriteau.
UNE BIEN GROSSE CHARGE POUR UNE SEULE PERSONNE
110 Plus beau, do plus estimable, de meilleur, de plus
rai’e, de plus précieux!...
~~ Oui, oncle André !
~~ Embrasse-lc !
Elle colla avec précaution ses lèvres roses sur le
lus d'or.
Avec ceci, tu l’apprendras et surtout le recon-
naîtras plus tard, on est fort, on est puissant, on est
Maître de tout 1
— Oui, oncle André 1
Avec ceci, tu peux te passer de tout!
— Oui, oncle André!
— Avec ceci, tu peux même te passer de ton père
et de ta mère!...
La fillette, qui souriait en regardant alternative-
ment son père, sa mère, son oncle et sa main pleine
d'or, devint tout à coup sérieuse, inquiète, effarée.
— Oui, oui, reprit l’oncle André d’une voix vi-
brante, ceci vaut mille fois mieux que ton père et
ffue ta mère, parce que, si tu as beaucoup d’or, tu
Peux très bien te passer d’eux, tandis que si tu n’en
as pas...
— Oh! mais c’est épouvantable! cria la grand-
'ttère indignée. Eh bien, Marthe, est-ce que tu vas,
Pur hasard, supporter plus longtemps que ce...
malheureux empoisonne l’âme de ta fil'e!...
Elle s’avança brusquement, saisit reniant, 1 enleva
vlolemment des bras de son gendre et, l’embrassant
bmdrement :
dette ceci bien vite... C’est malpropre 1... Cela te
salirait!... Viens avec grand’mère, ma pauvre petite
Margot; elle te donnera les beaux jouets que le petit
Jésus, ami des enfants bien sages, vient de m'en-
voyer pour toi.
La petite avait ouvert la main, et les pièces d'or
étaient tombées sur le parquet en jetant leurs fauves
reflets et en faisant entendre leurs diaboliques tin-
tements.
— Je constate une fois de plus avec douleur, bonne
maman, que vous n’êtes pas dans le train, dit en
riant cyniquement l'oncle André... Voilà peut être
la centième fois que vous vous déchaînez avec une
antique, noble et sainte fureur, contre les bons et
solides principes que je m’efforce d’inculquer à nos
enfants !...
— C’est indigne ! C’est une infamie, clama la belle-
mère en emportant la fillette, qui, ahurie, regardait
par dessus son épaule.
— Education pratique, forte et fin de siècle... 11 n’y
a que ça, chère belle-maman!.,.
Et, tout en cheminant, je laissais ma pensée s’éga-
rer en de folles rêveries, provoquées par la ren-
contre des doux mendiantes et par le souvenir de la
petite scène du riche salon de Paris.
Et comme, à ce moment-là, je me trouvais ionger
les vieux murs, flanqués de tours recouvertes de
lierre, qui entouraient autrefois l’ancien couvent des
Barnabites et défendaient ce côté de la ville, par un
jeu singulier, un bizarre caprice de mon imagina-
tion, je me suis, en une évocation soudaine, reporté
au moyen âge. Je me disais que, si j'avais vécu en
ces temps sévères, impitoyables, et si j’avais été
grand -prévôt, Chief de justice, j'aurais fait condam-
ner a mort, comme le plus dangereux des malfai-
teurs, l’homme qui aurait commis le crime dont
s'était rendu coupable l’oncle André... Je l’aurais
fait conduire au supplice en chemise, la tète et les
pieds nus. Il aurait eu au cou une cordelière d’or,
dans la main un cierge noir incrusté de pièces d’or,
dans le dos une pancarte avec ces mots, écrits en
lettres d’or : Corrupteur de l’enfance.
Le rebord du billot aurait ôté garni de pièces d’or,
le manche de la hache incrusté de pièces d’or, le
tranchant damasquiné en or. Au moment de procé-
der à l’exécution do ce monstre, on lui aurait fait
confesser son crime à genoux et demander humble-
ment pardon au peuple. Avant de poser son cou sur
le billot, on l’aurait obligé à cracher sur une pièce
d’or. Après l’exécution, on lui aurait mis une pièce
d'or entre les dents, et sa tète aurait ôté exposée
au-dessus de l’écriteau.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Actualités
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le charivari
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
ZST 207 D RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: Une bien grosse charge pour une seule personne
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1893
Entstehungsdatum (normiert)
1888 - 1898
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le charivari, 62.1893, Janvier, S. 75
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg