SOIXANTE-DEUXIÈME ANNÉE
Prit &n Mnméro î Si centimes
LUNDI 23 JANVIER 1893
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 fr.
Six mois. 36 —
Un an. 72 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
Les abonnements parlent des et <6 de chaque mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Rédacteur en Chef
BUREAUX
DE LA RÉDACTION ET DE L’àDMINISTRATIOI*
Rue de la Victoire, 20
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. 20 fr.
Six mois. 40 —
Un an. 80 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
L'abonnement d’un an donne droit à la prime gratuit*
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
PIERRE VÉRON
Réducteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, fermier de la püBLicrrâ
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
LA SEMAINE DE LA BOURSE
Paris, le 22 janvier 1803.
Monsieur le Directeur,
Si les choses doivent continuer à marchei
longtemps du train dont elles vont, j’ai grand’-
peur que l’impôt projeté par M. Tirard, et qui
vise les opérations à terme, no produise absolu-
ment rien. Il n’y a, en effet, pas d’affaires, ou si
peu que pas. Il n’y en avait déjà pas énormément
la semaine dernière, et on s’imaginait qu'iiétait
bien difficile de réduire encore le travail des
intermédiaires : on s’est trompé. Au prix de ce
qui se passe à l’heure où je grave ces lignes sur
l’airain, ce qui se passait il y a huit jours peut
être considéré comme une activité fiévreuse.
On était plus calme, pourtant, et aussi bien
disposé que le permettaient les circonstances.
Mais c’est le malencontreux projet dont il fut
question plus haut qui est venu tout gâter. On
remarquait, il y a quelques jours, le long des
corniches extérieures de la Bourse, des stalac-
tites du plus bel effet. Les gens mal informés
s’imaginaient que c’était le résultat d’une congé-
lation subite de la neige fondue. Pas du tout. Ces
stalactites, savez-vous d’où provenait le liquide
'qui les composait? De nos larmes, Messieurs et
Mesdames, — des larmes amères des
Pauvres malheureux boursiers,
des pleurs qui furent versés par tous les inter-
médiaires, depuis l’agent de change superbe
jusqu’à l’humble et louche individu qui, sur le
Marché des Pieds-Humides, achète et revend ces
valeurs déclassées dont sont garnis les cabas des
portières, garde-malades, femmes de ménage,
et autres représentantes du sexe joli qui, de
midi à trois heures et quelque temps qu’il fasse,
honorent de leur présence ce qu’on appelle le
Jardin de la Bourse.
O le triste jardin ! En ses jours les meilleurs il
ne voit jamais de fleurs, et il ignore la verdure.
Pas d’ombrages, mais des kiosques. De parfums
point, mais des chalets.
Ce peu souriant paysage avait pris, en plus,
des airs de deuil, ces délicats accessoires s’étaient
voilés d’un crêpe; car l’écho apportait le bruit
des lamentations auxquelles, dans l’intérieur de
la Bourse, se livraient les boursiers éplorés.
On vous a dit que le projet Tirard réjouissait
le cœur des agents de change, parce qu’il avait
pour première conséquence de supprimer vir-
tuellement la Coulisse. Oui, des gens vous ont dit
cela, et vous l’avez cru. Quelle erreur fut la leur
et la vôtre 1 Les agents sentent bien qu’une aug-
mentation de 20 0/0 sur les courtages — car le
■4-
taux de l’impôt projeté représente â peu près
cela — aura pour conséquence de diminuer le
nombre déjà restreint des clients. Quant aux cou-
lissiers, je n’essaierai même pas de vous peindre
leur navrement. Pour eux, le projet de loi de
M. Tirard équivaut tout simplement à
La guillotine sèche;
ils se préparent déjà à résilier leurs baux, et déjà
leurs deux mille commis cherchent deux mille
emplois pour nourrir leurs deux mille familles
Néanmoins, un simple coup d’œil jeté sur la
cote vous montrera qu’on est beaucoup plus ferme
que la semaine dernière. Vous verrez remonter
toutes les bonnes valeurs, le Crédit Lyonnais en
tête, qui a été un moment visé et qui repose sur
des bases inébranlables. Oh est plus ferme, et
cela tient à une série de causes que je vais
vous narrer le plus exactement et le plus
compendieusement que je pourrai. D’abord,
figurez-vous que les casseurs de cours sont
consternés. Le comptant, bien décidément,
ne veut pas entendre parler de panique. Surtout,
notre sympathique brochurier ne sait plus où se
fourrer. On dit couramment que l’infortuné a
vendu considérablement d’actions du Crédit
Foncier au cours de 875, dans l’espérance que le
public couperait dans ses ponts. Malheureuse-
ment pour lui, le public n’a pas coupé. Le prin-
cipal, — on peut dire l’unique raisonnement des
brochures était celui-ci : Dans le bilan social
du Crédit Foncier, il n’est pas parlé d’un passif
de 640 millions de primes à amortir, et que, si la
nécessité se présentait d’amortir ces primes sans
coup férir, l’établissement absorberait son capi-
tal et ses réserves, et, cela fait, resterait encore
débiteur d'une grosse somme.
Un moment, — ne dis pas le contraire, ô public !
— on s’est laissé prendre à ce raisonnement spé •
cieux; de là, la chute à 875 francs des actions,
qui ont entraîné les obligations avec elles. Mais,
maintenant, les actions vont droit sur le cours
de mille francs,
En attendant mieux,
et les obligations remontent régulièrement vers
les cours d’où elles n’auraient jamais dû des-
cendre. Pourquoi? C’est bien simple : le public
s’est ressaisi. Oui, il y a 640 millions de primes
à amortir; mais, depuis des années, ces primes
sont l’objet d’un décompte avec lequel les action-
naires sont familiarisés depuis longtemps. Ils
savent bien que les trois milliards d’obligations,
émises au-dessous du pair, seront remboursées
au pair; et que c’est la différence ontre ce pair
et le cours d’émission qui représente l’amortisse-
ment dont lo brochurier, peu varié dans ses
moyens, a tant abusé. Mais ils savent aussi que le
remboursement des obligations ne doit avoir lieu
que dans un nombre respectable d’années; ils
n’ignorent pas que, comme cela se fait pour les
i obligations des chemins de fer, de la Ville de
Paris, du Trésor et d’autres encore, —j’en passe,
et des meilleures! — ce remboursement est assuré
par un prélèvement sur les bénéfices de chaque
exercice. Et même, au Foncier, on a poussé les
choses plus loin : on a constitué, en regard de cet
amortissement qui se fait automatiquement, des
réserves et provisions aussi considérables que
spéciales, qui, le cas échéant, permettraient de
faire face à un mouvement anormal de rentrées
de fonds. On a 75 ans, en moyenne, pour amortir
les émissions; les hommes éminents qui adminis-
trent le Foncier — et qui sont tout aussi malins,
croyez-le bien, que le brochurier — ont pensé
qu’il était sage d’avoir un ensemble de provisions
suffisant pour, au besoin, amortir dans un délai
beaucoup plus court que trois quarts de siècle.
La défaite des baissiers n’est pas due seule-
ment à la meilleure attitude du comptant; elle
est en partie la conséquence de ce qui se passe à
la Chambre. Dans ces derniers temps, on s’ima-
ginait que ladite Chambre n’était plus qu’une
manière de boîte de Pandore, d’où s’échappaient
des scandales et des maux sans nombre, —
— Des gros maux, surtout.
On s’est aperçu que nos députés étaient parfai-
tement capables de donner un coup de collier sé-
rieux et de s’occuper des lois d’affaires. En une
seule huitaine, nous avons eu plusieurs exemples
de cette capacité de travail. D’abord, on a déposé
le projet de loi dont je vous parlais au début de
la présente chronique, et qui a fait si mauvais
effet sur les boursiers. Puis, M. Méline a fait
voter une loi sur les tarifs de la marine mar-
chande. Tertio, on a enlevé en deux temps trois
mouvements la loi portant extension de la faculté
d’émission des billets de la Banque de France,—
et cela ne souffrait pas de retard, comme l’a pé-
remptoirement démontré le dernier bilan, où l’on
voit que noire encaisse or s’est réduit de la baga-
telle de 117 millions. En quatrième lieu, on a re-
pris la discussion du budget, — de ce budget qui
devait être voté depuis le mois d’octobre, et que
les circonstances... Mais chut ! ne parlons pas de
ça : récriminer ne sert de rien.
Castorine.
RIMES POUR RIRE
balai de renfort
I
Pas l’sou ! Plus d’ravitaillement !
Gré coquin ! quel hiver! Ça pince,
Surtout quand on a pour vêt’ment
Un’ bious’ que l’usur’ rend plus mince
Prit &n Mnméro î Si centimes
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DE LA RÉDACTION ET DE L’àDMINISTRATIOI*
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PIERRE VÉRON
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ADOLPHE EWIG, fermier de la püBLicrrâ
92, Rue Richelieu
LE CHARIVARI
LA SEMAINE DE LA BOURSE
Paris, le 22 janvier 1803.
Monsieur le Directeur,
Si les choses doivent continuer à marchei
longtemps du train dont elles vont, j’ai grand’-
peur que l’impôt projeté par M. Tirard, et qui
vise les opérations à terme, no produise absolu-
ment rien. Il n’y a, en effet, pas d’affaires, ou si
peu que pas. Il n’y en avait déjà pas énormément
la semaine dernière, et on s’imaginait qu'iiétait
bien difficile de réduire encore le travail des
intermédiaires : on s’est trompé. Au prix de ce
qui se passe à l’heure où je grave ces lignes sur
l’airain, ce qui se passait il y a huit jours peut
être considéré comme une activité fiévreuse.
On était plus calme, pourtant, et aussi bien
disposé que le permettaient les circonstances.
Mais c’est le malencontreux projet dont il fut
question plus haut qui est venu tout gâter. On
remarquait, il y a quelques jours, le long des
corniches extérieures de la Bourse, des stalac-
tites du plus bel effet. Les gens mal informés
s’imaginaient que c’était le résultat d’une congé-
lation subite de la neige fondue. Pas du tout. Ces
stalactites, savez-vous d’où provenait le liquide
'qui les composait? De nos larmes, Messieurs et
Mesdames, — des larmes amères des
Pauvres malheureux boursiers,
des pleurs qui furent versés par tous les inter-
médiaires, depuis l’agent de change superbe
jusqu’à l’humble et louche individu qui, sur le
Marché des Pieds-Humides, achète et revend ces
valeurs déclassées dont sont garnis les cabas des
portières, garde-malades, femmes de ménage,
et autres représentantes du sexe joli qui, de
midi à trois heures et quelque temps qu’il fasse,
honorent de leur présence ce qu’on appelle le
Jardin de la Bourse.
O le triste jardin ! En ses jours les meilleurs il
ne voit jamais de fleurs, et il ignore la verdure.
Pas d’ombrages, mais des kiosques. De parfums
point, mais des chalets.
Ce peu souriant paysage avait pris, en plus,
des airs de deuil, ces délicats accessoires s’étaient
voilés d’un crêpe; car l’écho apportait le bruit
des lamentations auxquelles, dans l’intérieur de
la Bourse, se livraient les boursiers éplorés.
On vous a dit que le projet Tirard réjouissait
le cœur des agents de change, parce qu’il avait
pour première conséquence de supprimer vir-
tuellement la Coulisse. Oui, des gens vous ont dit
cela, et vous l’avez cru. Quelle erreur fut la leur
et la vôtre 1 Les agents sentent bien qu’une aug-
mentation de 20 0/0 sur les courtages — car le
■4-
taux de l’impôt projeté représente â peu près
cela — aura pour conséquence de diminuer le
nombre déjà restreint des clients. Quant aux cou-
lissiers, je n’essaierai même pas de vous peindre
leur navrement. Pour eux, le projet de loi de
M. Tirard équivaut tout simplement à
La guillotine sèche;
ils se préparent déjà à résilier leurs baux, et déjà
leurs deux mille commis cherchent deux mille
emplois pour nourrir leurs deux mille familles
Néanmoins, un simple coup d’œil jeté sur la
cote vous montrera qu’on est beaucoup plus ferme
que la semaine dernière. Vous verrez remonter
toutes les bonnes valeurs, le Crédit Lyonnais en
tête, qui a été un moment visé et qui repose sur
des bases inébranlables. Oh est plus ferme, et
cela tient à une série de causes que je vais
vous narrer le plus exactement et le plus
compendieusement que je pourrai. D’abord,
figurez-vous que les casseurs de cours sont
consternés. Le comptant, bien décidément,
ne veut pas entendre parler de panique. Surtout,
notre sympathique brochurier ne sait plus où se
fourrer. On dit couramment que l’infortuné a
vendu considérablement d’actions du Crédit
Foncier au cours de 875, dans l’espérance que le
public couperait dans ses ponts. Malheureuse-
ment pour lui, le public n’a pas coupé. Le prin-
cipal, — on peut dire l’unique raisonnement des
brochures était celui-ci : Dans le bilan social
du Crédit Foncier, il n’est pas parlé d’un passif
de 640 millions de primes à amortir, et que, si la
nécessité se présentait d’amortir ces primes sans
coup férir, l’établissement absorberait son capi-
tal et ses réserves, et, cela fait, resterait encore
débiteur d'une grosse somme.
Un moment, — ne dis pas le contraire, ô public !
— on s’est laissé prendre à ce raisonnement spé •
cieux; de là, la chute à 875 francs des actions,
qui ont entraîné les obligations avec elles. Mais,
maintenant, les actions vont droit sur le cours
de mille francs,
En attendant mieux,
et les obligations remontent régulièrement vers
les cours d’où elles n’auraient jamais dû des-
cendre. Pourquoi? C’est bien simple : le public
s’est ressaisi. Oui, il y a 640 millions de primes
à amortir; mais, depuis des années, ces primes
sont l’objet d’un décompte avec lequel les action-
naires sont familiarisés depuis longtemps. Ils
savent bien que les trois milliards d’obligations,
émises au-dessous du pair, seront remboursées
au pair; et que c’est la différence ontre ce pair
et le cours d’émission qui représente l’amortisse-
ment dont lo brochurier, peu varié dans ses
moyens, a tant abusé. Mais ils savent aussi que le
remboursement des obligations ne doit avoir lieu
que dans un nombre respectable d’années; ils
n’ignorent pas que, comme cela se fait pour les
i obligations des chemins de fer, de la Ville de
Paris, du Trésor et d’autres encore, —j’en passe,
et des meilleures! — ce remboursement est assuré
par un prélèvement sur les bénéfices de chaque
exercice. Et même, au Foncier, on a poussé les
choses plus loin : on a constitué, en regard de cet
amortissement qui se fait automatiquement, des
réserves et provisions aussi considérables que
spéciales, qui, le cas échéant, permettraient de
faire face à un mouvement anormal de rentrées
de fonds. On a 75 ans, en moyenne, pour amortir
les émissions; les hommes éminents qui adminis-
trent le Foncier — et qui sont tout aussi malins,
croyez-le bien, que le brochurier — ont pensé
qu’il était sage d’avoir un ensemble de provisions
suffisant pour, au besoin, amortir dans un délai
beaucoup plus court que trois quarts de siècle.
La défaite des baissiers n’est pas due seule-
ment à la meilleure attitude du comptant; elle
est en partie la conséquence de ce qui se passe à
la Chambre. Dans ces derniers temps, on s’ima-
ginait que ladite Chambre n’était plus qu’une
manière de boîte de Pandore, d’où s’échappaient
des scandales et des maux sans nombre, —
— Des gros maux, surtout.
On s’est aperçu que nos députés étaient parfai-
tement capables de donner un coup de collier sé-
rieux et de s’occuper des lois d’affaires. En une
seule huitaine, nous avons eu plusieurs exemples
de cette capacité de travail. D’abord, on a déposé
le projet de loi dont je vous parlais au début de
la présente chronique, et qui a fait si mauvais
effet sur les boursiers. Puis, M. Méline a fait
voter une loi sur les tarifs de la marine mar-
chande. Tertio, on a enlevé en deux temps trois
mouvements la loi portant extension de la faculté
d’émission des billets de la Banque de France,—
et cela ne souffrait pas de retard, comme l’a pé-
remptoirement démontré le dernier bilan, où l’on
voit que noire encaisse or s’est réduit de la baga-
telle de 117 millions. En quatrième lieu, on a re-
pris la discussion du budget, — de ce budget qui
devait être voté depuis le mois d’octobre, et que
les circonstances... Mais chut ! ne parlons pas de
ça : récriminer ne sert de rien.
Castorine.
RIMES POUR RIRE
balai de renfort
I
Pas l’sou ! Plus d’ravitaillement !
Gré coquin ! quel hiver! Ça pince,
Surtout quand on a pour vêt’ment
Un’ bious’ que l’usur’ rend plus mince