LE CHARIVARI
Faut-il me la'sser crever d’faim
Et de froid dans ma peau qui s’troue?
Ya pas d’sot métier... M’faut du pain !
Je vas m’fair’ ramasseur de boue.
II
IF SAHT DE L’EAU CUIRE
La Préfectur’ lance un appel
Pour des renforts supplémentaires.
Sous laneig’, qu’on asperg’ do sel,
Les trottoirs extraordinaires
Ont des aspects marécageux.
A sept sous par heure on vous loue
Pour travailler dans le fangeux;
Et me v’ià ramasseur do boue.
III
Ah! sacré bon Dieu, ça n’est pas
L’travail qui manqu’ pour le quart d’heure!
A droite, à gauche, en haut, en bas,
Partout, devant chaque demeure,
On ne trouve que saleté.
Pauv’ Paris, à l’ordure on t’vouc.
Si l’on aim’ l’opportunité,
Faut se fair’ ramasseur de boue.
IV
Au théâtr’, la malpropreté,
EU’ triomphe sur tout’ la ligne.
En art, viv’ l’incongruité!
Tant pis pour l’fadard qui s’indigne!
En politiqu’, c’est dégoûtant,
On n’voit qu’députés qu’on écroue.
Jusqu’au ministr’ qu’en gobe autant!
Ah! oui, c’est l’triomph’ de la boue.
V
Certains même, pour leur plaisir,
Ont l’air de préférer c’te branche.
Comm' si ça charmait leur loisir,
Quoiqu’ la purée ell’ soit pas blanche.
Ils tripotent avec amour,
Tandis que l’Europ’ nous bafoue,
Un nouveau scandai’ chaque jour...
foi, j’demande à choisir ma boue.
VI
Faut espérer qu’à bonne fin
EU’ mènera le nettoyage,
La République, et qu’un lend’main
Rapproprié s’ra son ouvrage.
Dans la rue, aussi bien qu’ailleurs,
Un bon coup d’balai, ça secoue
Les hommes, que ça rend meilleurs ..
On fait dTengrais avec la boue!
PIERRE VÉRON.
APRÈS UN BAL A L’OPÉRA
J'étais allé au bal de l'Opéra chercher un peu de
bruit, de gaieté, me griser un instant avec les éclats
de rire, la musique des lèvres roses, le frôlement
des épaules, l’attirance des yeux brillants sous les
trous du masque noir, et quand j'allais partir, un
peu monté, en secouant les épaules, pour ne pas
garder sur mon dos la légère pression si troublante
des dominos aux nuances tendres que j’avais quel-
que peu chiffonnés au passage, je m’étais dévoué
afin de prouver à la femme d'un de mes amis la
complète innocence de son mari. Je les avais lais-
sés retourner chez eux en tète-à-tête, sous l’abri de
leur contrat de mariage, et j’avais invité à souper
une mignonne créature, toute fine, très blanche sous
ses cheveux bien noués avec des reflets aile de
corbeau, à laquelle mon ami avait offert son bras
pendant quelques instants dans le grand foyer.
Durant le souper, nous causâmes du bal et je vou-
lus confesser mon joli petit domino. Je croyais
qu’avec un peu de foie gras et beaucoup de cham-
pagne, je découvrirais la vérité.
— Voyons, nous voilà bons amis, avouez-moi
tout. Je vous ai sauvée, ça sera ma récompense.
Elle me regarda avec une moquerie charmante, en
m
C’est ainsi que miss Frances Willard, prési-
dente de l’Union américaine de tempérance, appe-
lait, l’autre jour, le docteur Severin Wiclobycki,
auquel un grand banquet était offert à Londres.
Et pourquoi? Parce que c’est un des plus enra-
gés buveurs d’eau que l’on ait jamais connus...
et qu’il a cent ans.
Le « saint de l’eau claire »! Alors, si, pour être
saint, il suffit de ne boire que de l’eau, c’est ex-
cessivement commode, et je me demande pour-
quoi tous ceux qui aspirent à la béatification —à
commencer par le pape — ne se mettent pas à ce
régime? LCe serait si commode, et surtout si
économique !
Donc, on a fêté, et fortement fêté, ce M. Wic-
lobycki, lequel n’est pas un Anglais, mais un Po-
lonais, tout ce qu’il y a de plus Polonais.
De cette déconvenue tout à fait piquante, la
vertueuse Angleterre s’est trouvée quelque peu
froissée. Notez, déplus, que le centenaire en ques-
tion, qui ne buvait que de l’eau, ne fumait pas,
ne...(il est encore célibataire),n’est point ce qu’on
pourrait appeler un phénix.
Il est célibataire, ce qui constitue peut-être un
avantage; mais il est également sourd et complè-
tement gaga, ce qui, j’imagine, constitue... le
contraire.
Eh bien, vous savez, vivons moins longtemps,
mais vivons mieux. Nous en serons quittes pour
n’avoir pas pour nous les félicitations des misses
anglaises et américaines.
Une idée à ce propos.
Gomment nos bons dévots n’ont-ils pas encore
essayé de voir combien de temps vivrait un
homme qui ne boirait que de l’eau... de Lourdes !
Achille Bris sac
APÉRITIF MUGNIER
au Vin de Bourgogne. FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon•
MÉDAILLE D’OR.EXPOSITION UNIVERSELLE PARIS 1889.
PLUME HUMBOLDT'ïiïï1
CHRONIQUE DU JOUR
C’est de Béziers que nous arrive une plaisante
histoire.
Un baryton de Nissan a été, dans l'Africaine,
victime d’une mésaventure peu commune.
découvrant des dents si gentiment taillées, qu’avant
sa réponse je lui dis :
— Restez un peu comme ça... Si nous étions seuls,
j’aurais presque envie d’ètre mordu par vous.
Elle acheva son éclat de rire sans scandaliser les
autres soupeurs, car nous étions nombreux, et la
gaîté traînait partout dans cette salle où l’on faisait
une halte agréable entre les excitations trop vives
de la foule de l’Opéra et les séductions plus dange-
reuses d'une conduite en voiture, à quatre heures du
matin, quand il fait froid et que, pour se réchauffer,
il faut se mettre très près l’un de l’autre.
— Vous avouer tout ! répondit-elle quand son rire
fut terminé; je n’ai absolument rien à avouer. Je
viens au bal de l’Opéra pour la première fois, j’ai
voulu m’amuser. Je suis un p eu folle, mais .. pas ce
que vous croyez.
— Je ne crois rien.
— Allons donc ! Vous me croyez la maîtresse de
votre ami. Vous vous trompez, je vous assure.
—■ Alors, je n’ai rien sauvé du tout
— Absolument rien.
— C’est moi qui me suis perdu, car maintenant je
vous trouve si gentille...
— Vous allez dire une bêtise. N'achevez pas, cela
vaudra mieux. Vous savez nos conventions ?
— Oui; nous soupons ensemble, je vous mets en
voiture et, pendant que vous retournez chez vous, je
rentre chez moi.
> — C’est promis.
Chuté par le public, il croit avoir été victime d’un
complot cocasse.
Qui est le coupable? On ne sait. Mais l’épisode a
fait beaucoup jaser.
Donnons, du reste, la lettre écrite à ce sujet par
le baryton à son directeur.
La voici ;
« Monsieur Chavanon, d’après la grossièreté qu’on
m’a faite vendredi dernier dans l'Africaine en me
supprima it presque totalement la voix, je ne sais
par quel moyen, soit qu’on ouvrait les portes au
moment où je chantais, soit qu'on pouvait enlever
les acoustiques de chaque côté d'avant-scène.
» Je vous prie, Monsieur, pour relever cette ca-
naillerie qui m’a été faite au cours de la représen-
tation de Y Africaine, do vouloir bien me laisser
rejouer l’Africaine sur la scène de Narbonne, un
jour de la semaine prochaine. Vous pouvez compter
que vous aurez salle comble.
» Vous voudrez bien me dire le jour de l’exécu-
tion.
» Je compte, monsieur Chavanon, sur votre bonne
foi.
» Agréez, etc., etc. — Léon Lamur. »
Ajoutons que, malgré les plus actives et les plus
minutieuses recherches, les « acoustiques d'avant-
scènc » n’ont pas encore ôté retrouvées.
Pourquoi diable s’obstine-t-on à défendre aux pau-
vres somnambules d’opérer dans les l’êtes foraines
de Paris et des environs?
L’une d’elles nous adresse, à ce sujet, une lamen-
tation ornée de fautes d’orthographe, mais venant
du cœur.
Appuyons la plainte de la victime.
La somnambule foraine est infiniment prélérable
à la somnambule en chambre dont on tolère les
exercices.
Elle était bonne fille, et, pour dix sous de supplé-
ment, prête à confesser qu’elle n’avait jamais dormi
de sa vie.
Mais elle profitait de cet aveu pour vous offrir
séance tenante, et moyennant dix autres sols, une
tournée au marc de café ou le grand jeu.
Brave et complaisante dame!
Je vous garantis, d'ailleurs, qu’on rencontrait
parmi ces virtuoses du fluide ambulant des perspi-
cacités rares.
Au premier coup d’œil, certaines devinaient que
la demoiselle qui entrait avait des peines de cœur.
Et avec quel art elles vous cultivaient la formule
à double entente, en vous garantissant toujours,
finalement, que vous triompheriez de vos ennemis!
Ça fait toujours plaisir, ces choses-là.
Puis j’aimais l’intérieur bizarre de la roulante à
coucher, avec son invariable lit couvert d’une gui-
pure, son fauteuil imposant où siégeait la nomade
pythie, son pot de basilic à la petite fenêtre, sa pen-
dule sous globe dont le tic-tac ponctuait les pro-
phéties.
Voyons, rendez-nous tout ça.
Un bon mouvement!...
La place de chef de musique de la garde républi-
caine est au concours.
Qu’on se le dise !
C’est égal, je ne crois pas qu’aucun arrive à la cé-
— Vous tenez beaucoup à cette promesse?
J’eus sans doute le regard très suppliant. Je chan-
geais de race; de terre-neuve je devenais caniche,
et comme je ne ressemble pas au chien d’Alcibiade,
il s’en faut de beaucoup, ma prière fut si expressive
que mon joli domino consentit à transiger. Je la
reconduisis en voiture jusqu'à sa porte. Là, je bai-
sai sa main un peu au-dessus du gant. Elle descen-
dit do voiture, referma la portière, en me disant
avec un ton où je crus découvrir un peu d’ironie ;
— Merci, vous êtes bien gentil.
Quand une femme vous dit cela, c'est comme lors-
qu’un homme murmure à l’oreille de sa maîtresse :
« Je t’aime bien! » Il ne faut rien en croire.
Le mot « bien » est une négation complète. Vous
êtes bien gentil, cela signifie, dit par une femme :
« Dieu! que vous êtes'bête! » Et : « Je t’aime bien! »
dit par un homme, est la preuve que son amour
n’existe plus.
L'amour me venait. Pendant que ma voiture rou-
lait pour me ramener chez moi, j'ébauchais tout un
rêve, je retrouvais des restes de parfum laissés par
ma compagne, je voyais toujours l’éclat de ses yeux
rieurs, j’avais plein la tête des sensations troublan-
tes, une ivresse douce, quelque chose comme des
bouffées de printemps quand les premiers lilas, les
muguets et les jacinthes embaument les jardins,
que la sève nouvelle monte aux arbres pour faire
craquer les bourgeons à l’extrémité des branches.
—• Merci, vous êtes bien gentil I
Faut-il me la'sser crever d’faim
Et de froid dans ma peau qui s’troue?
Ya pas d’sot métier... M’faut du pain !
Je vas m’fair’ ramasseur de boue.
II
IF SAHT DE L’EAU CUIRE
La Préfectur’ lance un appel
Pour des renforts supplémentaires.
Sous laneig’, qu’on asperg’ do sel,
Les trottoirs extraordinaires
Ont des aspects marécageux.
A sept sous par heure on vous loue
Pour travailler dans le fangeux;
Et me v’ià ramasseur do boue.
III
Ah! sacré bon Dieu, ça n’est pas
L’travail qui manqu’ pour le quart d’heure!
A droite, à gauche, en haut, en bas,
Partout, devant chaque demeure,
On ne trouve que saleté.
Pauv’ Paris, à l’ordure on t’vouc.
Si l’on aim’ l’opportunité,
Faut se fair’ ramasseur de boue.
IV
Au théâtr’, la malpropreté,
EU’ triomphe sur tout’ la ligne.
En art, viv’ l’incongruité!
Tant pis pour l’fadard qui s’indigne!
En politiqu’, c’est dégoûtant,
On n’voit qu’députés qu’on écroue.
Jusqu’au ministr’ qu’en gobe autant!
Ah! oui, c’est l’triomph’ de la boue.
V
Certains même, pour leur plaisir,
Ont l’air de préférer c’te branche.
Comm' si ça charmait leur loisir,
Quoiqu’ la purée ell’ soit pas blanche.
Ils tripotent avec amour,
Tandis que l’Europ’ nous bafoue,
Un nouveau scandai’ chaque jour...
foi, j’demande à choisir ma boue.
VI
Faut espérer qu’à bonne fin
EU’ mènera le nettoyage,
La République, et qu’un lend’main
Rapproprié s’ra son ouvrage.
Dans la rue, aussi bien qu’ailleurs,
Un bon coup d’balai, ça secoue
Les hommes, que ça rend meilleurs ..
On fait dTengrais avec la boue!
PIERRE VÉRON.
APRÈS UN BAL A L’OPÉRA
J'étais allé au bal de l'Opéra chercher un peu de
bruit, de gaieté, me griser un instant avec les éclats
de rire, la musique des lèvres roses, le frôlement
des épaules, l’attirance des yeux brillants sous les
trous du masque noir, et quand j'allais partir, un
peu monté, en secouant les épaules, pour ne pas
garder sur mon dos la légère pression si troublante
des dominos aux nuances tendres que j’avais quel-
que peu chiffonnés au passage, je m’étais dévoué
afin de prouver à la femme d'un de mes amis la
complète innocence de son mari. Je les avais lais-
sés retourner chez eux en tète-à-tête, sous l’abri de
leur contrat de mariage, et j’avais invité à souper
une mignonne créature, toute fine, très blanche sous
ses cheveux bien noués avec des reflets aile de
corbeau, à laquelle mon ami avait offert son bras
pendant quelques instants dans le grand foyer.
Durant le souper, nous causâmes du bal et je vou-
lus confesser mon joli petit domino. Je croyais
qu’avec un peu de foie gras et beaucoup de cham-
pagne, je découvrirais la vérité.
— Voyons, nous voilà bons amis, avouez-moi
tout. Je vous ai sauvée, ça sera ma récompense.
Elle me regarda avec une moquerie charmante, en
m
C’est ainsi que miss Frances Willard, prési-
dente de l’Union américaine de tempérance, appe-
lait, l’autre jour, le docteur Severin Wiclobycki,
auquel un grand banquet était offert à Londres.
Et pourquoi? Parce que c’est un des plus enra-
gés buveurs d’eau que l’on ait jamais connus...
et qu’il a cent ans.
Le « saint de l’eau claire »! Alors, si, pour être
saint, il suffit de ne boire que de l’eau, c’est ex-
cessivement commode, et je me demande pour-
quoi tous ceux qui aspirent à la béatification —à
commencer par le pape — ne se mettent pas à ce
régime? LCe serait si commode, et surtout si
économique !
Donc, on a fêté, et fortement fêté, ce M. Wic-
lobycki, lequel n’est pas un Anglais, mais un Po-
lonais, tout ce qu’il y a de plus Polonais.
De cette déconvenue tout à fait piquante, la
vertueuse Angleterre s’est trouvée quelque peu
froissée. Notez, déplus, que le centenaire en ques-
tion, qui ne buvait que de l’eau, ne fumait pas,
ne...(il est encore célibataire),n’est point ce qu’on
pourrait appeler un phénix.
Il est célibataire, ce qui constitue peut-être un
avantage; mais il est également sourd et complè-
tement gaga, ce qui, j’imagine, constitue... le
contraire.
Eh bien, vous savez, vivons moins longtemps,
mais vivons mieux. Nous en serons quittes pour
n’avoir pas pour nous les félicitations des misses
anglaises et américaines.
Une idée à ce propos.
Gomment nos bons dévots n’ont-ils pas encore
essayé de voir combien de temps vivrait un
homme qui ne boirait que de l’eau... de Lourdes !
Achille Bris sac
APÉRITIF MUGNIER
au Vin de Bourgogne. FRÉDÉRIC MUGNIER, à Dijon•
MÉDAILLE D’OR.EXPOSITION UNIVERSELLE PARIS 1889.
PLUME HUMBOLDT'ïiïï1
CHRONIQUE DU JOUR
C’est de Béziers que nous arrive une plaisante
histoire.
Un baryton de Nissan a été, dans l'Africaine,
victime d’une mésaventure peu commune.
découvrant des dents si gentiment taillées, qu’avant
sa réponse je lui dis :
— Restez un peu comme ça... Si nous étions seuls,
j’aurais presque envie d’ètre mordu par vous.
Elle acheva son éclat de rire sans scandaliser les
autres soupeurs, car nous étions nombreux, et la
gaîté traînait partout dans cette salle où l’on faisait
une halte agréable entre les excitations trop vives
de la foule de l’Opéra et les séductions plus dange-
reuses d'une conduite en voiture, à quatre heures du
matin, quand il fait froid et que, pour se réchauffer,
il faut se mettre très près l’un de l’autre.
— Vous avouer tout ! répondit-elle quand son rire
fut terminé; je n’ai absolument rien à avouer. Je
viens au bal de l’Opéra pour la première fois, j’ai
voulu m’amuser. Je suis un p eu folle, mais .. pas ce
que vous croyez.
— Je ne crois rien.
— Allons donc ! Vous me croyez la maîtresse de
votre ami. Vous vous trompez, je vous assure.
—■ Alors, je n’ai rien sauvé du tout
— Absolument rien.
— C’est moi qui me suis perdu, car maintenant je
vous trouve si gentille...
— Vous allez dire une bêtise. N'achevez pas, cela
vaudra mieux. Vous savez nos conventions ?
— Oui; nous soupons ensemble, je vous mets en
voiture et, pendant que vous retournez chez vous, je
rentre chez moi.
> — C’est promis.
Chuté par le public, il croit avoir été victime d’un
complot cocasse.
Qui est le coupable? On ne sait. Mais l’épisode a
fait beaucoup jaser.
Donnons, du reste, la lettre écrite à ce sujet par
le baryton à son directeur.
La voici ;
« Monsieur Chavanon, d’après la grossièreté qu’on
m’a faite vendredi dernier dans l'Africaine en me
supprima it presque totalement la voix, je ne sais
par quel moyen, soit qu’on ouvrait les portes au
moment où je chantais, soit qu'on pouvait enlever
les acoustiques de chaque côté d'avant-scène.
» Je vous prie, Monsieur, pour relever cette ca-
naillerie qui m’a été faite au cours de la représen-
tation de Y Africaine, do vouloir bien me laisser
rejouer l’Africaine sur la scène de Narbonne, un
jour de la semaine prochaine. Vous pouvez compter
que vous aurez salle comble.
» Vous voudrez bien me dire le jour de l’exécu-
tion.
» Je compte, monsieur Chavanon, sur votre bonne
foi.
» Agréez, etc., etc. — Léon Lamur. »
Ajoutons que, malgré les plus actives et les plus
minutieuses recherches, les « acoustiques d'avant-
scènc » n’ont pas encore ôté retrouvées.
Pourquoi diable s’obstine-t-on à défendre aux pau-
vres somnambules d’opérer dans les l’êtes foraines
de Paris et des environs?
L’une d’elles nous adresse, à ce sujet, une lamen-
tation ornée de fautes d’orthographe, mais venant
du cœur.
Appuyons la plainte de la victime.
La somnambule foraine est infiniment prélérable
à la somnambule en chambre dont on tolère les
exercices.
Elle était bonne fille, et, pour dix sous de supplé-
ment, prête à confesser qu’elle n’avait jamais dormi
de sa vie.
Mais elle profitait de cet aveu pour vous offrir
séance tenante, et moyennant dix autres sols, une
tournée au marc de café ou le grand jeu.
Brave et complaisante dame!
Je vous garantis, d'ailleurs, qu’on rencontrait
parmi ces virtuoses du fluide ambulant des perspi-
cacités rares.
Au premier coup d’œil, certaines devinaient que
la demoiselle qui entrait avait des peines de cœur.
Et avec quel art elles vous cultivaient la formule
à double entente, en vous garantissant toujours,
finalement, que vous triompheriez de vos ennemis!
Ça fait toujours plaisir, ces choses-là.
Puis j’aimais l’intérieur bizarre de la roulante à
coucher, avec son invariable lit couvert d’une gui-
pure, son fauteuil imposant où siégeait la nomade
pythie, son pot de basilic à la petite fenêtre, sa pen-
dule sous globe dont le tic-tac ponctuait les pro-
phéties.
Voyons, rendez-nous tout ça.
Un bon mouvement!...
La place de chef de musique de la garde républi-
caine est au concours.
Qu’on se le dise !
C’est égal, je ne crois pas qu’aucun arrive à la cé-
— Vous tenez beaucoup à cette promesse?
J’eus sans doute le regard très suppliant. Je chan-
geais de race; de terre-neuve je devenais caniche,
et comme je ne ressemble pas au chien d’Alcibiade,
il s’en faut de beaucoup, ma prière fut si expressive
que mon joli domino consentit à transiger. Je la
reconduisis en voiture jusqu'à sa porte. Là, je bai-
sai sa main un peu au-dessus du gant. Elle descen-
dit do voiture, referma la portière, en me disant
avec un ton où je crus découvrir un peu d’ironie ;
— Merci, vous êtes bien gentil.
Quand une femme vous dit cela, c'est comme lors-
qu’un homme murmure à l’oreille de sa maîtresse :
« Je t’aime bien! » Il ne faut rien en croire.
Le mot « bien » est une négation complète. Vous
êtes bien gentil, cela signifie, dit par une femme :
« Dieu! que vous êtes'bête! » Et : « Je t’aime bien! »
dit par un homme, est la preuve que son amour
n’existe plus.
L'amour me venait. Pendant que ma voiture rou-
lait pour me ramener chez moi, j'ébauchais tout un
rêve, je retrouvais des restes de parfum laissés par
ma compagne, je voyais toujours l’éclat de ses yeux
rieurs, j’avais plein la tête des sensations troublan-
tes, une ivresse douce, quelque chose comme des
bouffées de printemps quand les premiers lilas, les
muguets et les jacinthes embaument les jardins,
que la sève nouvelle monte aux arbres pour faire
craquer les bourgeons à l’extrémité des branches.
—• Merci, vous êtes bien gentil I