ACTUALITÉS
16
A LA COMMISSION D’ENQUÊTE
— Vous avouez avoir reçu un mandat ?
— J’en avais bien déjà reçu un premier de mes électeurs...
Oui, elle s’éfait moquée; mais demain, je revien-
drai, et je serai moins bête.
Je pensais cela, sans être trop fâché. L'espérance
donne toujours de si douces illusions!
Et demain, il y a longtemps de cela, toute une
semaine, les jours et les nuits... les nuits surtout
pendant lesquelles je ne dormais pas. En descen-
dant de voiture, j’ai mis le pied a faux, et comme
Perrette, j’ai cassé mon pot au lait. . Seulement, en
plus, je me suis démis la jambe.
J’ai souffert, je ne souffre plus, je m’ennuie, je suis
fatigué de lire Le soleil me fait quelques visites,
mais elles sont rares et courtes. Mon petit domino
est venu plusieurs fois; il s’appelle Henriette, et
sous son chapeau en broderie d'or, grand tout au
plus comme le nid d’un oiseau avec deux plumes
qui se dressent comme celles de Méphisto, Henriette
est encore plus jolie que sous le mystère de son ca-
puchon. Nous sommes bons amis. Elle ne me trouve
nullement bête, car si elle est un pou follette, elle
est sage. Cela se rencontre encore, ce type de la Pa-
risienne se riant de la vertu, et qui, cependant, la
pratique dans les choses essentielles, comme la Pé-
richole.
Et quand elle est partie, que je n entends plus son
gazouillement seul capable de me faire oublier 1 en-
nui en ce moment, j’envie ceux qui sortent au c e-
hors, se promènent dans les rues, sautent en omni-
bus, montent en chemin de fer, tous ceux qui errent
et voyagent.
J’aime tant voyager I Pour un oui, un non, je boucle
ma valise et je pars. J’ai proposé à Henriette de faire
un voyage avec moi quand je serai guéri; elle ne
veut pas dépasser Versailles ou Fontainebleau, et
pose comme condition le retour à Paris avant mi-
nuit.
J'ai eu beau lui décrire de mon mieux les mirages
des pays ensoleillés d’Afrique, la promener en ima-
gination du Maroc à Tripoli, du Caire à Constanti-
nople, lui faire entrevoir l’éblouissante féerie des
villes du Nord ensevelies chaque année sous la
neige pendant les longs mois des hivers rigoureux.
J’ai proposé des excursions moins lointaines : Jer-
sey, Bruxelles, Londres, les côtes normandes, la
Grande-Chartreuse.
Elle a refusé ; nous ne pourrions pas revenir avant
minuitl
Et presque tous les Français en sont là. Ils ne
voyagent pas s'il faut découcher. A l'étranger, à
peine si l’on rencontre un Français sur cent voya-
geurs. Partout des Allemands, des Anglais et des
Américains...
— Racontez-moi vos voyages, m’a-t-ello dit en re-
gardant mes bibelots accrochés au mur, placés sur
la cheminée, les guéridons, les tables, les étagères
de mon salon, où je me suis installé pour être plus
gaîment pendant ces jours de captivité. J’aurai plus
de plaisir et moins de fatigue qu’à voyager.
C’est vrai, il y en a partout, et ces souvenirs me
' sont chers, car chacun me rappelle une heure de V
mon passé, heure joyeuse ou triste, des sourires ou
des larmes, une espérance, une déception, les amis
rencontrés au loin, au hasard des pays parcourus,
amis d’un jour, les meilleurs peut-être, puisqu’ils ne
vous imposent la charge d’aucune reconnaissance.
Dans un coin, on trouverait le pot de bière allemand
et la bonbonnière en argent de Moscou, un couteau
serbe, la vieille lampe d’une mosquée tunisienne à
laquelle j’ai laissé les épis de blé que les fidèles
musulmans apportent au moment de la moisson,
quand elle est bonne, pour remercier Mahomet de
sa protection.
Tout cela miroite et flamboie devant moi avec des
crépitements de fournaise, comme si les brûlants
rayons du soleil d’Orient inondaient mon salon, ou
me donne l’onglée au souvenir de mes courses en
troïka, sur la Néva glacée et les routes muettes,
couvertes d’une neige éblouissante, poussière d eau
cristallisée au sommet des Balkans.
Allons, c’est dit; je vais refaire mes voyages d hier,
pour les lui raconter mieux en détail chaque fois
qu'elle viendra me voir. Les heures se passeront
ainsi, rapides pour moi, peut-être plus courtes
aussi pour elle; et qui sait si, quand nous aurons
fini le passé, elle n aura pas le désir d’entamer
l'avenir en se décidant à ne rentrer qu’après mi-
nuit?
Théodore Cahu.
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A LA COMMISSION D’ENQUÊTE
— Vous avouez avoir reçu un mandat ?
— J’en avais bien déjà reçu un premier de mes électeurs...
Oui, elle s’éfait moquée; mais demain, je revien-
drai, et je serai moins bête.
Je pensais cela, sans être trop fâché. L'espérance
donne toujours de si douces illusions!
Et demain, il y a longtemps de cela, toute une
semaine, les jours et les nuits... les nuits surtout
pendant lesquelles je ne dormais pas. En descen-
dant de voiture, j’ai mis le pied a faux, et comme
Perrette, j’ai cassé mon pot au lait. . Seulement, en
plus, je me suis démis la jambe.
J’ai souffert, je ne souffre plus, je m’ennuie, je suis
fatigué de lire Le soleil me fait quelques visites,
mais elles sont rares et courtes. Mon petit domino
est venu plusieurs fois; il s’appelle Henriette, et
sous son chapeau en broderie d'or, grand tout au
plus comme le nid d’un oiseau avec deux plumes
qui se dressent comme celles de Méphisto, Henriette
est encore plus jolie que sous le mystère de son ca-
puchon. Nous sommes bons amis. Elle ne me trouve
nullement bête, car si elle est un pou follette, elle
est sage. Cela se rencontre encore, ce type de la Pa-
risienne se riant de la vertu, et qui, cependant, la
pratique dans les choses essentielles, comme la Pé-
richole.
Et quand elle est partie, que je n entends plus son
gazouillement seul capable de me faire oublier 1 en-
nui en ce moment, j’envie ceux qui sortent au c e-
hors, se promènent dans les rues, sautent en omni-
bus, montent en chemin de fer, tous ceux qui errent
et voyagent.
J’aime tant voyager I Pour un oui, un non, je boucle
ma valise et je pars. J’ai proposé à Henriette de faire
un voyage avec moi quand je serai guéri; elle ne
veut pas dépasser Versailles ou Fontainebleau, et
pose comme condition le retour à Paris avant mi-
nuit.
J'ai eu beau lui décrire de mon mieux les mirages
des pays ensoleillés d’Afrique, la promener en ima-
gination du Maroc à Tripoli, du Caire à Constanti-
nople, lui faire entrevoir l’éblouissante féerie des
villes du Nord ensevelies chaque année sous la
neige pendant les longs mois des hivers rigoureux.
J’ai proposé des excursions moins lointaines : Jer-
sey, Bruxelles, Londres, les côtes normandes, la
Grande-Chartreuse.
Elle a refusé ; nous ne pourrions pas revenir avant
minuitl
Et presque tous les Français en sont là. Ils ne
voyagent pas s'il faut découcher. A l'étranger, à
peine si l’on rencontre un Français sur cent voya-
geurs. Partout des Allemands, des Anglais et des
Américains...
— Racontez-moi vos voyages, m’a-t-ello dit en re-
gardant mes bibelots accrochés au mur, placés sur
la cheminée, les guéridons, les tables, les étagères
de mon salon, où je me suis installé pour être plus
gaîment pendant ces jours de captivité. J’aurai plus
de plaisir et moins de fatigue qu’à voyager.
C’est vrai, il y en a partout, et ces souvenirs me
' sont chers, car chacun me rappelle une heure de V
mon passé, heure joyeuse ou triste, des sourires ou
des larmes, une espérance, une déception, les amis
rencontrés au loin, au hasard des pays parcourus,
amis d’un jour, les meilleurs peut-être, puisqu’ils ne
vous imposent la charge d’aucune reconnaissance.
Dans un coin, on trouverait le pot de bière allemand
et la bonbonnière en argent de Moscou, un couteau
serbe, la vieille lampe d’une mosquée tunisienne à
laquelle j’ai laissé les épis de blé que les fidèles
musulmans apportent au moment de la moisson,
quand elle est bonne, pour remercier Mahomet de
sa protection.
Tout cela miroite et flamboie devant moi avec des
crépitements de fournaise, comme si les brûlants
rayons du soleil d’Orient inondaient mon salon, ou
me donne l’onglée au souvenir de mes courses en
troïka, sur la Néva glacée et les routes muettes,
couvertes d’une neige éblouissante, poussière d eau
cristallisée au sommet des Balkans.
Allons, c’est dit; je vais refaire mes voyages d hier,
pour les lui raconter mieux en détail chaque fois
qu'elle viendra me voir. Les heures se passeront
ainsi, rapides pour moi, peut-être plus courtes
aussi pour elle; et qui sait si, quand nous aurons
fini le passé, elle n aura pas le désir d’entamer
l'avenir en se décidant à ne rentrer qu’après mi-
nuit?
Théodore Cahu.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Actualités
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le charivari
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
ZST 207 D RES
Objektbeschreibung
Objektbeschreibung
Bildunterschrift: A la commission d'enquête
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1893
Entstehungsdatum (normiert)
1888 - 1898
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
Le charivari, 62.1893, Janvier, S. 87
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg