SOIXANTE-DEUXIÈME ANNÉE
JEUDI 2G JANVIER 1893
Prix du Muméro : 25 eô×
ABONNEMENTS
PARIS
Trois mois. 18 IV.
Six mois. 36 —
Un an. "2 —
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
Les abonnements parlent des V" et ifi de chat/ue mois
DIRECTION
Politique, Littéraire et Artistique
IMUÜItli VliltON
15 <- si acte is r en Chef
BUREAUX
DE I.A RÉDACTION ET DF. L’ADMINISTRATION
Rue de la Victoire 20
LE
Les souscripteurs dont l’abonnement ex-
pire le 31 Janvier sont priés de le renou-
veler immédiatement s’ils ne veulent pas
éprouver d’interruption dans l’envoi du
journal. Nous rappelons que les mandats
télégraphiques ne sont pas reçus.
BULLETIN POLITIQUE
Que voulez-vous! On a beau faire, quand onne
raisonne qu’avec le simple bon sens et la simple
équité, on n’arrive pas facilement à s’expliquer
les procédés et l’organisation de la justice en
notre cher pays.
Voici, par exemple, qu’à propos de l’affaire du
Panama les journaux annoncent deux choses. Il
est vrai qu’elles pourront être démenties l’une et
l’autre, car nous vivons dans un temps où la vé-
rité de la veille est rarement celle du lendemain.
Cependant, au moins sur un point, le commen-
taire s’impose.
On a dit et répété que le juge d’instruction et
le parquet étaient en désaccord sur la question
des non-lieu.
Nous n’avons pas à examiner au profit de qui
ces non-lieu doivent être rendus, contre qui ils
peuvent être refusés; mais ce qui nous frappe,
c’est la défectuosité d’un organisme judiciaire
avec lequel de semblables antagonismes ont le
droit de se produire.
Croyez-vous qu’il soit édifiant pour le public,
par qui les juges eux-mêmes sont jugés en der-
nier ressort, d’apprendre que les représentants
professionnels de la vérité ne sont pas d’accord
dans une question de probité et d’honneur?
Le seul fait qu’un état de choses établi permet
à l’instruction de dire blanc, tandis que le parquet
dit noir, est une énormité. Le Code qui la tolère
doit être révisé au plus vite.
Il est indispensable qu’en pareil cas le dernier
mot appartienne absolument à un seul pouvoir
jugeant en dernier ressort, et, par conséquent,
il ne doit pas y avoir place pour des discussions
accessoires.
Le juge d’instruction ne devrait que préparer
les pièces sur lesquelles il serait statué par
d’autres.
On n’a pas à venir nous dire que l’instruc-
tion tire à gauche et le parquet à droite. Par cela
même qu’on nous le dit, il est démontré que tout
n’est pas pour le mieux au Palais, qu’il faut donc
en élucider les réglementations actuelles ou tenir
plus rigoureusement la main à ce qu’elles soient
respectées.
Notre seconde observation viserait, si le lait
est confirmé, l’ordonnance de non lieu rendue a,u
profit de M. Blondin et sa mise en liberté immé-
diate.
fourni
ABONNEMENTS
DÉPARTEMENTS
Trois mois. r.
Six mois.40 —
Un an... gQ
(les mandats télégraphiques ne sont pas reçus)
L abonnement d'un an donne droit à la prime gratuite
DIRECTION
Politique* Littéraire et Artistique
Niiims VË1Ï0N
îi<-il acteur en Chef
ANNONCES
ADOLPHE EWIG, FERMIER DE I.A PUBLICITÉ
62, Rue Richelieu
CHARIVARI
Entendons-nous bien : nous n’avons nullement
l’intention de protester contre la mesura d’élar-
gissement qui proclamerait l’innocence de M
Bloodin. Mais ce que nous trouvons monstrueux,
c’est qu’en un temps où le mot Liberté est badi-
geonné sur tous les murs, la loi soit faite de telle
façon que la justice puisse, sans responsabilité
aucune, fourrer à Mazas un homme qu’on décla-
rera innocent quinze jours après, lui infliger
toute une gamme de souffrances physiques ou
morales, le soumettre à la terrible épreu ve du se-
cret qui semble vouloir lui enlever jusqu’aux
moyens de se disculper.
Ne vous semble-t-il pas que ces procédés rap-
pellent de trop près les anciennes fantaisies de
la torture et qu’il y aurait quelque chose à faire,
par conséquent, pour mettre d’accord les intérêts
de la société et les droits do la défense ?
Prenons le cas de M. Blondin.
On l’a arrêté en"pleine*'gelée féroce, on l’a
bouclé dans une cellule glaciale, on lui a infligé
des nourritures lamentables, alors qu’il était
dans un état de santé où de pareilles rigueurs
pouvaient amener quelque catastrophe. On l’a
empêché de communiquer même avec un avocat
qui aurait pu le sauvegarder.
Tout cela pourquoi, si aujourd’hui on reconnaît
qu’il n’a pas été un corrupteur, mais simplement
un intermédiaire irresponsable?
N’aurait-on pas pu et dû s’en apercevoir plus
tôt? Et du moins, si se tromper est le propre de
l’homme, la législation ne serait-elle pas tenue
de payer ses erreurs non seulement par des excu-
ses publiques et réhabilitantes, mais encore par
une indemnité légitimement due ?
N’y aurait-il pas lieu également de déclarer
qu’à tout prévenu on ne saurait refuser, dès son
arrestation, la faculté d’organiser sa défense?
Enfin, comme on l’a demandé si justement, les
avocats ne devraient-ils pas avoir le droit d’as-
sister à toutes les séances de l’instruction comme
ils assistent à celles du procès?
Laissons M. Blondin de côté, si vous voulez.
Supposons qu’il soit gardé en prison et compa-
raisse devant les tribunaux, il n’en restera pas
moins assez d’autres exemples, liélas ! des erreurs
judiciaires pour nous donner cent fois raison.
Pierre Véron
LE QUATRAIN D'HIER
A LA COMMISSION D’ENQUÊTE
Gare'.... Votre pouvoir vraiment trop exigeant
Semble vouloir s’en prendre à la presse elle-même;
Si l'appétit vient en mangeant,
L’indigestion vient de même.
\ SIFFLET.
LES MÉMOIRES DE PARIS
LIV
Savez-vous rien de plus navrant?
Les journaux ont annoncé que la Comédie-
i Française avait reçu avec empressement une
pièce en deux actes de Guy de Maupassant, qui va
entrer immédiatement en répétition.
Savez-vous, je le répète, rien de plus navrant?
Tandis qu’en eflet l’idée de l’écrivain va
vivre devant la rampe, le cerveau d’où elle est
sortie restera là-bas, dans la maison de fous,
inerte et mort.
Pendant que les orales salueront ce !131ïl celui
qui l’a illustré restera à l’état de cadavre vivant
dans ce cimetière préalable sur la porte duquel
est gravé un Lcisciate ogni speranza.
Il ne saura rien de sa victoire, il n’enten'dra
pas les applaudissements. Ci gît 1
C’est épouvantable, ce contraste.
<\IT>
l/PJ
Je me rappelais, en songeant à ces choses lu-
gubres, l’histoire poignante que me raconta jadis
ce cher Emile Àugier.
Il s’agissait de Ponsard.
Il n’était pas fou, lui; mais un affreux cancer le
rongeait tout vif.
C’est alors que le Lion amoureux, sa dernière
œuvre, fut mise en répétition à la Comédie-Fran-
çaise.
Ponsard était incapable de s’en occuper. Etendu
sur son lit de douleur qui ne devait pas tarder à
devenir un lit d’agonie, il souffrait le martyre.
Et déjà c’était pour lui un supplice épouvantable
que de ne pouvoir surveiller en quelque sorte
l’éclosion de sa pensée; mais, hélas I il devait
connaître des tourments plus affreux encore.
Cyl/'»
c/|A>
L’heure vint de la première représentation.
Ponsard était toujours et de plus en plus an-
goissé.
Le matin, Augier était venu le voir.
— Tu m’enverras, lui dit-il, des dépêches acte
par acte pour me renseigner sur le sort de ma
pièce.
— Je n’y manquerai pas.
Et en effet Augier, heure par heure, tint son
ami au courant du succès grandissant.
Quand le rideau lut tombé au milieu des ova-
tions, Augier sauta dans une voiture, escalada les
hauteurs de Passy. C’est là que son ami s’était
réfugié, pour voir un peu de verdure encore.
Augier, en arrivant, s’attendait à ce que, dans
une trêve de douleur amenée par la joie, Pon-
sard l’accueillît le sourire aux lèvres.
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éprouver d’interruption dans l’envoi du
journal. Nous rappelons que les mandats
télégraphiques ne sont pas reçus.
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Que voulez-vous! On a beau faire, quand onne
raisonne qu’avec le simple bon sens et la simple
équité, on n’arrive pas facilement à s’expliquer
les procédés et l’organisation de la justice en
notre cher pays.
Voici, par exemple, qu’à propos de l’affaire du
Panama les journaux annoncent deux choses. Il
est vrai qu’elles pourront être démenties l’une et
l’autre, car nous vivons dans un temps où la vé-
rité de la veille est rarement celle du lendemain.
Cependant, au moins sur un point, le commen-
taire s’impose.
On a dit et répété que le juge d’instruction et
le parquet étaient en désaccord sur la question
des non-lieu.
Nous n’avons pas à examiner au profit de qui
ces non-lieu doivent être rendus, contre qui ils
peuvent être refusés; mais ce qui nous frappe,
c’est la défectuosité d’un organisme judiciaire
avec lequel de semblables antagonismes ont le
droit de se produire.
Croyez-vous qu’il soit édifiant pour le public,
par qui les juges eux-mêmes sont jugés en der-
nier ressort, d’apprendre que les représentants
professionnels de la vérité ne sont pas d’accord
dans une question de probité et d’honneur?
Le seul fait qu’un état de choses établi permet
à l’instruction de dire blanc, tandis que le parquet
dit noir, est une énormité. Le Code qui la tolère
doit être révisé au plus vite.
Il est indispensable qu’en pareil cas le dernier
mot appartienne absolument à un seul pouvoir
jugeant en dernier ressort, et, par conséquent,
il ne doit pas y avoir place pour des discussions
accessoires.
Le juge d’instruction ne devrait que préparer
les pièces sur lesquelles il serait statué par
d’autres.
On n’a pas à venir nous dire que l’instruc-
tion tire à gauche et le parquet à droite. Par cela
même qu’on nous le dit, il est démontré que tout
n’est pas pour le mieux au Palais, qu’il faut donc
en élucider les réglementations actuelles ou tenir
plus rigoureusement la main à ce qu’elles soient
respectées.
Notre seconde observation viserait, si le lait
est confirmé, l’ordonnance de non lieu rendue a,u
profit de M. Blondin et sa mise en liberté immé-
diate.
fourni
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CHARIVARI
Entendons-nous bien : nous n’avons nullement
l’intention de protester contre la mesura d’élar-
gissement qui proclamerait l’innocence de M
Bloodin. Mais ce que nous trouvons monstrueux,
c’est qu’en un temps où le mot Liberté est badi-
geonné sur tous les murs, la loi soit faite de telle
façon que la justice puisse, sans responsabilité
aucune, fourrer à Mazas un homme qu’on décla-
rera innocent quinze jours après, lui infliger
toute une gamme de souffrances physiques ou
morales, le soumettre à la terrible épreu ve du se-
cret qui semble vouloir lui enlever jusqu’aux
moyens de se disculper.
Ne vous semble-t-il pas que ces procédés rap-
pellent de trop près les anciennes fantaisies de
la torture et qu’il y aurait quelque chose à faire,
par conséquent, pour mettre d’accord les intérêts
de la société et les droits do la défense ?
Prenons le cas de M. Blondin.
On l’a arrêté en"pleine*'gelée féroce, on l’a
bouclé dans une cellule glaciale, on lui a infligé
des nourritures lamentables, alors qu’il était
dans un état de santé où de pareilles rigueurs
pouvaient amener quelque catastrophe. On l’a
empêché de communiquer même avec un avocat
qui aurait pu le sauvegarder.
Tout cela pourquoi, si aujourd’hui on reconnaît
qu’il n’a pas été un corrupteur, mais simplement
un intermédiaire irresponsable?
N’aurait-on pas pu et dû s’en apercevoir plus
tôt? Et du moins, si se tromper est le propre de
l’homme, la législation ne serait-elle pas tenue
de payer ses erreurs non seulement par des excu-
ses publiques et réhabilitantes, mais encore par
une indemnité légitimement due ?
N’y aurait-il pas lieu également de déclarer
qu’à tout prévenu on ne saurait refuser, dès son
arrestation, la faculté d’organiser sa défense?
Enfin, comme on l’a demandé si justement, les
avocats ne devraient-ils pas avoir le droit d’as-
sister à toutes les séances de l’instruction comme
ils assistent à celles du procès?
Laissons M. Blondin de côté, si vous voulez.
Supposons qu’il soit gardé en prison et compa-
raisse devant les tribunaux, il n’en restera pas
moins assez d’autres exemples, liélas ! des erreurs
judiciaires pour nous donner cent fois raison.
Pierre Véron
LE QUATRAIN D'HIER
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Gare'.... Votre pouvoir vraiment trop exigeant
Semble vouloir s’en prendre à la presse elle-même;
Si l'appétit vient en mangeant,
L’indigestion vient de même.
\ SIFFLET.
LES MÉMOIRES DE PARIS
LIV
Savez-vous rien de plus navrant?
Les journaux ont annoncé que la Comédie-
i Française avait reçu avec empressement une
pièce en deux actes de Guy de Maupassant, qui va
entrer immédiatement en répétition.
Savez-vous, je le répète, rien de plus navrant?
Tandis qu’en eflet l’idée de l’écrivain va
vivre devant la rampe, le cerveau d’où elle est
sortie restera là-bas, dans la maison de fous,
inerte et mort.
Pendant que les orales salueront ce !131ïl celui
qui l’a illustré restera à l’état de cadavre vivant
dans ce cimetière préalable sur la porte duquel
est gravé un Lcisciate ogni speranza.
Il ne saura rien de sa victoire, il n’enten'dra
pas les applaudissements. Ci gît 1
C’est épouvantable, ce contraste.
<\IT>
l/PJ
Je me rappelais, en songeant à ces choses lu-
gubres, l’histoire poignante que me raconta jadis
ce cher Emile Àugier.
Il s’agissait de Ponsard.
Il n’était pas fou, lui; mais un affreux cancer le
rongeait tout vif.
C’est alors que le Lion amoureux, sa dernière
œuvre, fut mise en répétition à la Comédie-Fran-
çaise.
Ponsard était incapable de s’en occuper. Etendu
sur son lit de douleur qui ne devait pas tarder à
devenir un lit d’agonie, il souffrait le martyre.
Et déjà c’était pour lui un supplice épouvantable
que de ne pouvoir surveiller en quelque sorte
l’éclosion de sa pensée; mais, hélas I il devait
connaître des tourments plus affreux encore.
Cyl/'»
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L’heure vint de la première représentation.
Ponsard était toujours et de plus en plus an-
goissé.
Le matin, Augier était venu le voir.
— Tu m’enverras, lui dit-il, des dépêches acte
par acte pour me renseigner sur le sort de ma
pièce.
— Je n’y manquerai pas.
Et en effet Augier, heure par heure, tint son
ami au courant du succès grandissant.
Quand le rideau lut tombé au milieu des ova-
tions, Augier sauta dans une voiture, escalada les
hauteurs de Passy. C’est là que son ami s’était
réfugié, pour voir un peu de verdure encore.
Augier, en arrivant, s’attendait à ce que, dans
une trêve de douleur amenée par la joie, Pon-
sard l’accueillît le sourire aux lèvres.