L'ECLIPSE
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LES 50 LETTRES RÉPUBLICAINES
DE GERVAIS MARTIAL
Formant un beau et fort volume grand in-80
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lement pour un an, aura le droit de retirer gratuitement dans
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RÉPUBLICAINES DE GERVAIS MARTIAL. — Les abon-
nés des départements qui désireront recevoir le volume à
domicile d- vront envoyer 8 fr. 8n c, représentant le prix de
l'abonnement et les frais de port de la prime.
LES CRÉANCIERS DE D0\ CARLOS
Les créanciers de don Carlos manifestent une prétention
singulièrement plaisante ; ils manifestent laprétention d'être
payés.
On se demande si ces gens-là savent à qui ils s'adressent.
Je crois en vérité qu'ils s'imaginent avoir affaire à un cro-
quant et non à un descendant de nos rois. Où allons-nous!
La simili-couronne qui ceignait le front de Charles VII étant
tombée, ils ne voient plus en lui que « Monsieur Charles »
e. ils lui réclament leur dû. A quoi tient le respect d'un
bailleur de fond»!
Quand je dis que les créanciers de don Carlos lui récla-
maient leur dû, ils le réclament doucement, avec la mo-
destie de gens qui seraient encore heureux de tirer vingt-
cinq sous d'une obligation ottomane.
Dans une assemblée générale qu'ils ont tenuela semaine
dernière à Iîayonne, ils ont décidé, parait-il, qu'une invita-
tion serait adressée à l'intéressant ami de Santa-Cruz, pour
le solliciter de donner au moins la moitié de ce qu'il oublie
de leur payer.
La moitié. On n'est pas plus accommodant. C'est une pre-
mière concession pleine de promesses. On sent que le mon-
sieur qui vous dit :
— Si vous ne pouvez pas me payer tout ce que vous me
devez, donnez-m'en au moins la moitié;
N'attend qu'un mot de vous pour ajouter :
— Si vous ne pouvez pas me donner la moitié, accordez-
moi le quart ;
Et que pour peu que vous lui teniez rigueur, il conti-
nuera :
— Eh bien, si c'est encore trop du quart, je me conten-
terai du huitième.
Et aiusi de suite jusqu'au moment où il linirapar implorer :
— Vous m'induisez constamment en frais de déplacement.
Payez-moi au moins mon omnibus.
Ici les frais de déplacement pourraient bien se solder par
un chiffre beaucoup plus élevé que celui d'un intérieur
d'omnibus, la réunion des créanciers tenue à Bayonne
ayant pris le parti d'envoyer trois délégués au prétendant.
Or, on sait que ledit prétendant se trouve actuellement en
Ecosse, à Dublin.
Il peut en résulter par tète une petite note de :
Voyage...... 280 fr.
Buffets. '..... 60
Hôtels (pourvu que le
séjour à Dublin ne
se prolonge pas). 150
Pourboires..... 15
Voitures..... 10
Indicateur..... » 50
Total.
515 fr. 50
Soit, multiplié par trois, L546 fr. 50, ou, si l'on veut,
L545 fr. 50, attendu que le même indicateur peut servir
pour les trois délégués.
Encore ne. faudrait-il pas qu'au moment où les délégués
mettraient le pied à Dublin ils apprissent que le prétendant
vient d'appareiller pour le Danemark, ni qu'au moment où
^s toucheraient Copenhague, on leur donnât la nouvelle
qu'il est immédiatement parti pour la Grèce.
Je crois que l'assemblée des créanciers de don Carlos a
manqué une belle occasion de rentrer dans une partie de
ses fonds en ne rendant pas publique la séance qu'elle a
tenue à Bayonne.
Qui ne se serait fait un plaisir de payer sa place très-cher
pour entendre le rapport du président :
« Messieurs,
« Nous avons été cruellement déçus. Les diligences ont
rendu beaucoup moins qu'on n'en attendait, d'abord à cause
du manque de régularité qui a été signalé dans les percep-
tions, et aussi, il faut bien l'avouer, par suite delà mauvaise
volonté bien constatée des voyageurs.
« D'autre part, le sceptre et la couronne dans lesquels
nous croyions tenir un gage précieux n'avaient malheu-
reusement aucune valeur. Il a été reconnu trop tard que les
prétendus diamants qui ornaient _le sceptre n'étaient que de
vulgaires bouchons de carafe et que la couronne était en
carton peint. »
.Yauriez-vous pas vous-mêmes, ô lecteurs, fait le voyage
avec empressement afin d'entendre un rapport qui; pour
être sérieux, ne pouvait être rédigé que dans ce style.
L'assemblée des créanciers a manqué, je le répète, une
belle occasion de rentrer dans une, partie de ses déboursés.
Elle a préféré lancer trois délégués à la poursuite de son
royal débiteur. Grand bien lui fasse !
Quant à moi je ne m'en plains pas, persuadé que l'odyssée
des trois délégués vaudra*bien pour la galerie une soirée
passée au Palais-Royal avec Lassouche, Hyacinthe et Numa
dans les rôles des trois délégués.
Comme si ce sujet devait faire naturellement éclore l'idée
de spectacle, un imprésario de Dublin est en train de
monter, à ce qu'on nous assure, une représentatiou très-
curieuse du Don Juan de Molière.
Latrrande originalité de cette représentation consisterait
en ce qu'au quatrième acte, le rôle de don Juan serait tenu
par don Carlos et celui de M. Dimanche par les trois délé-
gués, s
Le début de la scèue III serait à cet effet ainsi modifié :
Don Carlos. — Ah! chers amis, entrez donc. Que je
suis ravi de vous voir et que je veux de mal à mes gens de
ne pas vous avoir introduits tout de suite ! J'avais donné
ordre d'écarter les gêneurs, mais cette consigne ne pouvait
vous atteindre.
Premier délégué. — Vous êtes bien bon.
Don C»rlos. — Asseyez-vous donc.
Deuxième délégué. — Nous n'en ferons rien.
Don Carlos. — Vous allez déjeuner avec moi.
Troisième délégué. — Avant de parler de déjeuner...
Don Carlos. — Est-ce gentil à vous d'avoir fait ce
voyage pour venir me serrer la main dans mon triste exil.
J'en suis touché, touché.
Premier délégué. — Nous venons...
Don Carlos. — Vous venez m'assurer de votre dévoue-
ment. Je le connais. Je n'en ai jamais douté. La libéralité
avec laquelle...
Deuxième délégué. — Pardon...
Don Carlos. —N'essayez pas de diminuer,par modestie,
la valeur de vos bienfaits. Ils ont été larges, et tels qu'on
pouvait les attendre des serviteurs enthousiastes d'une
grande cause.
Troisième délégué. — Il ne s'agissait pas pournous...
Don Carlos. — D'une vulgaire question d'intérêt, je le
sais bien. Vous avez l'esprit plus haut que cela.
Premier délégué. — Je crains qu'une méprise...
Don Carlos. — Pour le public il ne saurait yen avoir.
Dkuxième héi.égué. —Ah! si c'était à recommencer!...
Don Carlos. —Vous ne craindriez pas de renouveler
vos touchants sacrifices. Merci pour cette bonne parole, je
sais qu'elle part du cœur. Mais je ne puis consentir...
Troisième délégué. — Permettez...
Don Carlos. — Non, je yous en prie, n'insistez pas. Je
ne dis pas absolument que plus tard... Mais en ce mo-
ment...
Pkemirr délégué. — Il ne s'agit pas...
Don Carlos. — Parbleu l Monsieur X..., vous vous
portez bien.
Premier délégué. — En effet. Je vous disais donc...
Don Carlos. — Vous avez un fond de santé admirable,
des lèvres fraîches, un teint vermeil et les yeux vifs.
Premier délégué. — Nous voudrions...
Don Carlos.—Et comment se porte madame votre
épouse ? etc.
La suite comme dans Molière.
Quand les trois délégués sont seuls :
Premier délégué, regardant les autres— Eh bien?
Deuxième délégué, même jeu. — Qu'en pensez-vous ?
Premier délégué. — Nous aurions peut-être mieux
fait de ne pas quitter Bayonne.
Troisième délégué. —Oui, cela nous aurait toujours
économisé les frais de voyage.
moralité
Quand tu voudras, mortel prudent,
J)c ta bourse arrondir la panse,
Ce n'est pas sur un prétendant
Qu'il en faudra pincer la chance.
PAUL PARLAIT
VOYAGE AUTOUR
de nos
DEUX CHAMBRES
{Une soirée chez les Chanoison, rentiers, rue des Batignollaises.
Invités peu nombreux, mais choisis.)
M""- La MiSaudiére. — J'envie le bonheur que vous
avez eu, chère madame Chanoison, d'assister à une séance
de la Chambre des Députés.
M""1 Chanoison. — Il n'est pas donné à tout le monde
d'y entrer. Mais nous avons des protections. Chanoison a
pour client le mari de la petite cousine du neveu de la sœur
d'un huissier du Sénat qui est intime avec un de ses collè-
gues de la Chambre.
Mmi La Minaudière. — Vous m'en direz tant!
M. Pincebourde. — Vous avez dû bien vous amuser?
Mmc Chanoison. — Enormément.
M1" Pivert. — Voudriez-vous nous raconter, chère ma-
dame, ce que vous avez vu?
M-° Chanoison. — Volontiers. J'ai vu beaucoup de gens
aller, venir, s'asseoir, causer, écrire, gesticuler. J'en ai vu
d'autres monter à une petite estrade, boire un verre d'eau,
parler et être interrompus. J'ai vu aussi un monsieur, en
redingote noire, haut perché, agiter fréquemment une
sonnette.
M. Pincebourde. — Et puis?...
Mmc Chanoison, avec candeur. — Mais c'est tout. Il n'y a
rien d'autre à voir.
M"c Pivert. — Mais qui a parlé? qu'a-t-on dit?
M. Chanoison. — Ahi.pour cela, belle demoiselle, il fau-
drait être plus au courant des habitudes et du langage de
ces messieurs que nous ne le sommes, nuus bons bourgeois
qui ne nous mêlons point de politique.
Mme La Minaudière. — Certes. 11 n'en est pas moins
vrai qu'il serait curieux et intéressant de connaître à fond
les mœurs, les usages, les coutumes des sénateurs et des
députés.
M. Pincebourde. — En effet, ces gens-là doivent avoir
un genre de vie absolument ditiérent du nôtre.
Mm° Chanoison. — Oui, mais où apprendre, où trouver
tout cela?
I-'uret. (Jeune Parisien plein d'avenir et sur qui sa tante
Mm° Chanoison déverse ses nombreuses bontés.) — Si ma tante
veut bien me le permettre, je suis peut-être à même de sa-
tisfaire votre curiosité.
Mm" Chanoison. — Comment, petit! toi si jeune tu en
saurais plus que nous?
M. Chanoison, tirant l'oreille à Furet. — Jeune présomp-
tueux !
M"e Pivert, arec intérêt. — On peut l'interroger.
Tous. — C'est cela.
Furet. — Ah! permettez. Mon expérience, je l'ai achetée.
(Il présente un joli petit volume à couverture bleue.) La voici. Il
est juste qu'elle me rapporte. Vous me donnerez deux sous
par chaque renseignement.
M. Chanoison, avec orgueil. — Enfant précoce. Tu es
bien de mon sang. Tu es bien le fils de mon frère. Tu iras
loin.
Mme Chanoison. — Accordé.
M"c Pivert. — Quel est ce livre?
Furet. — Il vient de paraître. C'est le Voyage autour'de
nos deux Chambres. Mœurs, usages, coutumes des Sénateurs et
des Déptités, par un journaliste. Paris, Librairie républicaine,
16, rue du Croissant; pi-ix : un franc.
Mmo La Minaudière.— Parfait! nous allons en savoir
plus qu'en allant à Versailles.
M. Pincebourde. — Et cela nous reviendra moins cher.
Eu re t. — Interrogez?
M"" Chanoison. - Qu'est-ce que la salle des Pas-Perdus
dont on nous a refusé l'entrée ?
. Furet, Usant. — « Les députés sont là chez eux, loin des
yeux des importuns, des curieux. Là se nouent les intrigues,
les petites conspirations cousues de fil blanc. On cherche à
gagner les voix, on décide les hésitants, on trompe les décidés
et tous ces imbroglios vont se dénouer en séance publique.
Les députés se savent là en famille. Ils laissent voir leurs
craintes, leurs joies, leurs soucis. Ils se déboutonnent entre
eux, — au moral, bien entendu.
M. Chanoison. — Le ton est léger.
Furet, lisant. — « Voici, dans la salle des Pas-Perdus de
la Chambre, M. Janvier de la Motte, l'aîné, le père des pom-
piers. Il se hâte vers le bureau télégraphique. Il a l'air
pressé, mais... souriant. Est-ce une nouvelle langouste qu'il
va demander par dépêche? Cependant Versailles est plus
près qu'Evreux de Paris, et en trois quarts d'heure on peut
être facilement sur le boulevard Montmartre. »
M"0 Pivert, avec ingénuité. — Je ne comprends pas.
M. Pincebourde. — C'est un sujet délicat qui...
Mmc La Minaudière, l'ougissante. — N'insistons pas!
M. Chanoison. — Passe, Furet. Parle nous de la buvette*
Qu'est-ce que cela?
Furet, lisant. — « C'est le lieu le plus fréquenté, le plus
animé, le plus bruyant. C'est le lieu sacré par excellence.
C'est le sanctuaire. Nul profane n'en franchit le seuil. Les
mystères de la buvette sont aussi impénétrables que ceux
d'Eleusis... Sénateurs et députés laissent à la porte de la bu-
vette l'air guindé et rèche qu'ils affectent en public. Devant
les vins et les liqueurs ils reprennent leur véritable aspect
et ne cherchent point à dissimuler leur caractère... Au
temps où les vins Ans s'épanouissaient sur le comptoir,
M. Léon V..., gros, court, trapu, à la face rubiconde, venait
dès dix heures du matin à la buvette. Garçon, un verre de
malaga! — Boum! Cinq minutes après, — Garçon, encore un
verre! — Boum! Et ainsi de suite de cinq minutes en cinq
minutes. A onze heures, M. Léon V... avait bu sa bouteille
de malaga. A midi il recommençait j mais avec du madère.
M. Pincebourde. — Quel gaillard !
Furet, continuant. — « Au temps de l'empire, M. X...
avait une singulière habitude. Il demandait un verre de
rhum. Il le dégustait longuement, en connaisseur. — Il est
assez bon, votre rhum, disait-il au garçon. Puis, mettant la
main à la poche do son paletot, il en tirait une petite fiole.
Ah! tenez, disait-il négligemment, emplissez-la-moi donc. »
Mmo Chanoison. — C'est joli!
M"' La Minaudière. — En voilà du nouveau! Qui
aurait jamais cru que cela fût?
M. Pincebourde. — Ce n'est pas un fût, c'est une fiole.
Tous.— Ah! ah! ah!
Furkt, lisant. « En employé, M. Thomy G..., est délégué
aux fonctions d'inspecteur de la buvette. Singularité :
M. Thomy G..., qui est en rapport constant avec les vins,
ne boit jamais que de l'eau. On dit que l'eau rend méchant.
C'est un vieux proverbe auquel nous serions heureux que
M. Thomy G... donnât un démenti. »
Mm0 Chanoison. — Ce Voyage autour de nos deux
Chambres est plein de renseignements curieux et in-
connus.
M. Chanoison. — Mais, à côté de ces détails humoristi-
ques, indique-t-on les travaux sérieux, la manière dont se
font les lois?
Furkt. — Parfaitement. Tout un chapitre intitulé: La
vraie cuisine parlern- ntnire, est consacré aux travaux inté-
rieurs des bureaux et des commissions de la Chambre et
du Sénat. 11 renlcrmo des détails très-minutieux et qui
semblent très-complets. Il indique comment on procède au
choix des commissaires, comment ceux-ci choisissent leur
président, leur secrétaire, leur rapporteur ; comment ont
lieu les discussions. 11 énumère et décrit les commissions
spéciales des pétitions, des congés, du budget, etc..
M. Pinciibourde. — Ce sont là choses dont nous ne
nous faisons pas la moindre idée.
Furet. — Le Voyage autour de nos deux Cham-
bres lait également entrer le public dans l'administration
intérieure du Sénat et de la Chambre. Il décrit ce que l'on
fait à la présidence, à la questure, aux archives, au maté-
riel, à la bibliothèque, aux procès-verbaux, à la sténogra-
phie, à la trésorerie.
M. Chanoison. — Voilà un chapitre important. Donne-
t-il des détails sur la caisse, l'indemnité, le budget?
Furet.— Tout cela s'y trouve. Il y a également la ma-
nière dont on peut entrer aux séances. On y voit aussi
l'aspect des tribunes, de la salle, du bureau de l'Assemblée;
comment s'ouvrent les séances ; comment on monte à la tri-
bune; comment on s'y tient ; comment on parle ; comment
on est écouté ; comment on est puni; comment on vote;
comment on sort des séances.
M"c Pivert. — Parle-t-on des toilettes des dames qui
assistent aux séances ?
Furet. — Tout y est, vous dis-je. Voici : « Les femmes
orment la catégorie la plus nombreuse des assistants. Elles
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l'abonnement et les frais de port de la prime.
LES CRÉANCIERS DE D0\ CARLOS
Les créanciers de don Carlos manifestent une prétention
singulièrement plaisante ; ils manifestent laprétention d'être
payés.
On se demande si ces gens-là savent à qui ils s'adressent.
Je crois en vérité qu'ils s'imaginent avoir affaire à un cro-
quant et non à un descendant de nos rois. Où allons-nous!
La simili-couronne qui ceignait le front de Charles VII étant
tombée, ils ne voient plus en lui que « Monsieur Charles »
e. ils lui réclament leur dû. A quoi tient le respect d'un
bailleur de fond»!
Quand je dis que les créanciers de don Carlos lui récla-
maient leur dû, ils le réclament doucement, avec la mo-
destie de gens qui seraient encore heureux de tirer vingt-
cinq sous d'une obligation ottomane.
Dans une assemblée générale qu'ils ont tenuela semaine
dernière à Iîayonne, ils ont décidé, parait-il, qu'une invita-
tion serait adressée à l'intéressant ami de Santa-Cruz, pour
le solliciter de donner au moins la moitié de ce qu'il oublie
de leur payer.
La moitié. On n'est pas plus accommodant. C'est une pre-
mière concession pleine de promesses. On sent que le mon-
sieur qui vous dit :
— Si vous ne pouvez pas me payer tout ce que vous me
devez, donnez-m'en au moins la moitié;
N'attend qu'un mot de vous pour ajouter :
— Si vous ne pouvez pas me donner la moitié, accordez-
moi le quart ;
Et que pour peu que vous lui teniez rigueur, il conti-
nuera :
— Eh bien, si c'est encore trop du quart, je me conten-
terai du huitième.
Et aiusi de suite jusqu'au moment où il linirapar implorer :
— Vous m'induisez constamment en frais de déplacement.
Payez-moi au moins mon omnibus.
Ici les frais de déplacement pourraient bien se solder par
un chiffre beaucoup plus élevé que celui d'un intérieur
d'omnibus, la réunion des créanciers tenue à Bayonne
ayant pris le parti d'envoyer trois délégués au prétendant.
Or, on sait que ledit prétendant se trouve actuellement en
Ecosse, à Dublin.
Il peut en résulter par tète une petite note de :
Voyage...... 280 fr.
Buffets. '..... 60
Hôtels (pourvu que le
séjour à Dublin ne
se prolonge pas). 150
Pourboires..... 15
Voitures..... 10
Indicateur..... » 50
Total.
515 fr. 50
Soit, multiplié par trois, L546 fr. 50, ou, si l'on veut,
L545 fr. 50, attendu que le même indicateur peut servir
pour les trois délégués.
Encore ne. faudrait-il pas qu'au moment où les délégués
mettraient le pied à Dublin ils apprissent que le prétendant
vient d'appareiller pour le Danemark, ni qu'au moment où
^s toucheraient Copenhague, on leur donnât la nouvelle
qu'il est immédiatement parti pour la Grèce.
Je crois que l'assemblée des créanciers de don Carlos a
manqué une belle occasion de rentrer dans une partie de
ses fonds en ne rendant pas publique la séance qu'elle a
tenue à Bayonne.
Qui ne se serait fait un plaisir de payer sa place très-cher
pour entendre le rapport du président :
« Messieurs,
« Nous avons été cruellement déçus. Les diligences ont
rendu beaucoup moins qu'on n'en attendait, d'abord à cause
du manque de régularité qui a été signalé dans les percep-
tions, et aussi, il faut bien l'avouer, par suite delà mauvaise
volonté bien constatée des voyageurs.
« D'autre part, le sceptre et la couronne dans lesquels
nous croyions tenir un gage précieux n'avaient malheu-
reusement aucune valeur. Il a été reconnu trop tard que les
prétendus diamants qui ornaient _le sceptre n'étaient que de
vulgaires bouchons de carafe et que la couronne était en
carton peint. »
.Yauriez-vous pas vous-mêmes, ô lecteurs, fait le voyage
avec empressement afin d'entendre un rapport qui; pour
être sérieux, ne pouvait être rédigé que dans ce style.
L'assemblée des créanciers a manqué, je le répète, une
belle occasion de rentrer dans une, partie de ses déboursés.
Elle a préféré lancer trois délégués à la poursuite de son
royal débiteur. Grand bien lui fasse !
Quant à moi je ne m'en plains pas, persuadé que l'odyssée
des trois délégués vaudra*bien pour la galerie une soirée
passée au Palais-Royal avec Lassouche, Hyacinthe et Numa
dans les rôles des trois délégués.
Comme si ce sujet devait faire naturellement éclore l'idée
de spectacle, un imprésario de Dublin est en train de
monter, à ce qu'on nous assure, une représentatiou très-
curieuse du Don Juan de Molière.
Latrrande originalité de cette représentation consisterait
en ce qu'au quatrième acte, le rôle de don Juan serait tenu
par don Carlos et celui de M. Dimanche par les trois délé-
gués, s
Le début de la scèue III serait à cet effet ainsi modifié :
Don Carlos. — Ah! chers amis, entrez donc. Que je
suis ravi de vous voir et que je veux de mal à mes gens de
ne pas vous avoir introduits tout de suite ! J'avais donné
ordre d'écarter les gêneurs, mais cette consigne ne pouvait
vous atteindre.
Premier délégué. — Vous êtes bien bon.
Don C»rlos. — Asseyez-vous donc.
Deuxième délégué. — Nous n'en ferons rien.
Don Carlos. — Vous allez déjeuner avec moi.
Troisième délégué. — Avant de parler de déjeuner...
Don Carlos. — Est-ce gentil à vous d'avoir fait ce
voyage pour venir me serrer la main dans mon triste exil.
J'en suis touché, touché.
Premier délégué. — Nous venons...
Don Carlos. — Vous venez m'assurer de votre dévoue-
ment. Je le connais. Je n'en ai jamais douté. La libéralité
avec laquelle...
Deuxième délégué. — Pardon...
Don Carlos. —N'essayez pas de diminuer,par modestie,
la valeur de vos bienfaits. Ils ont été larges, et tels qu'on
pouvait les attendre des serviteurs enthousiastes d'une
grande cause.
Troisième délégué. — Il ne s'agissait pas pournous...
Don Carlos. — D'une vulgaire question d'intérêt, je le
sais bien. Vous avez l'esprit plus haut que cela.
Premier délégué. — Je crains qu'une méprise...
Don Carlos. — Pour le public il ne saurait yen avoir.
Dkuxième héi.égué. —Ah! si c'était à recommencer!...
Don Carlos. —Vous ne craindriez pas de renouveler
vos touchants sacrifices. Merci pour cette bonne parole, je
sais qu'elle part du cœur. Mais je ne puis consentir...
Troisième délégué. — Permettez...
Don Carlos. — Non, je yous en prie, n'insistez pas. Je
ne dis pas absolument que plus tard... Mais en ce mo-
ment...
Pkemirr délégué. — Il ne s'agit pas...
Don Carlos. — Parbleu l Monsieur X..., vous vous
portez bien.
Premier délégué. — En effet. Je vous disais donc...
Don Carlos. — Vous avez un fond de santé admirable,
des lèvres fraîches, un teint vermeil et les yeux vifs.
Premier délégué. — Nous voudrions...
Don Carlos.—Et comment se porte madame votre
épouse ? etc.
La suite comme dans Molière.
Quand les trois délégués sont seuls :
Premier délégué, regardant les autres— Eh bien?
Deuxième délégué, même jeu. — Qu'en pensez-vous ?
Premier délégué. — Nous aurions peut-être mieux
fait de ne pas quitter Bayonne.
Troisième délégué. —Oui, cela nous aurait toujours
économisé les frais de voyage.
moralité
Quand tu voudras, mortel prudent,
J)c ta bourse arrondir la panse,
Ce n'est pas sur un prétendant
Qu'il en faudra pincer la chance.
PAUL PARLAIT
VOYAGE AUTOUR
de nos
DEUX CHAMBRES
{Une soirée chez les Chanoison, rentiers, rue des Batignollaises.
Invités peu nombreux, mais choisis.)
M""- La MiSaudiére. — J'envie le bonheur que vous
avez eu, chère madame Chanoison, d'assister à une séance
de la Chambre des Députés.
M""1 Chanoison. — Il n'est pas donné à tout le monde
d'y entrer. Mais nous avons des protections. Chanoison a
pour client le mari de la petite cousine du neveu de la sœur
d'un huissier du Sénat qui est intime avec un de ses collè-
gues de la Chambre.
Mmi La Minaudière. — Vous m'en direz tant!
M. Pincebourde. — Vous avez dû bien vous amuser?
Mmc Chanoison. — Enormément.
M1" Pivert. — Voudriez-vous nous raconter, chère ma-
dame, ce que vous avez vu?
M-° Chanoison. — Volontiers. J'ai vu beaucoup de gens
aller, venir, s'asseoir, causer, écrire, gesticuler. J'en ai vu
d'autres monter à une petite estrade, boire un verre d'eau,
parler et être interrompus. J'ai vu aussi un monsieur, en
redingote noire, haut perché, agiter fréquemment une
sonnette.
M. Pincebourde. — Et puis?...
Mmc Chanoison, avec candeur. — Mais c'est tout. Il n'y a
rien d'autre à voir.
M"c Pivert. — Mais qui a parlé? qu'a-t-on dit?
M. Chanoison. — Ahi.pour cela, belle demoiselle, il fau-
drait être plus au courant des habitudes et du langage de
ces messieurs que nous ne le sommes, nuus bons bourgeois
qui ne nous mêlons point de politique.
Mme La Minaudière. — Certes. 11 n'en est pas moins
vrai qu'il serait curieux et intéressant de connaître à fond
les mœurs, les usages, les coutumes des sénateurs et des
députés.
M. Pincebourde. — En effet, ces gens-là doivent avoir
un genre de vie absolument ditiérent du nôtre.
Mm° Chanoison. — Oui, mais où apprendre, où trouver
tout cela?
I-'uret. (Jeune Parisien plein d'avenir et sur qui sa tante
Mm° Chanoison déverse ses nombreuses bontés.) — Si ma tante
veut bien me le permettre, je suis peut-être à même de sa-
tisfaire votre curiosité.
Mm" Chanoison. — Comment, petit! toi si jeune tu en
saurais plus que nous?
M. Chanoison, tirant l'oreille à Furet. — Jeune présomp-
tueux !
M"e Pivert, arec intérêt. — On peut l'interroger.
Tous. — C'est cela.
Furet. — Ah! permettez. Mon expérience, je l'ai achetée.
(Il présente un joli petit volume à couverture bleue.) La voici. Il
est juste qu'elle me rapporte. Vous me donnerez deux sous
par chaque renseignement.
M. Chanoison, avec orgueil. — Enfant précoce. Tu es
bien de mon sang. Tu es bien le fils de mon frère. Tu iras
loin.
Mme Chanoison. — Accordé.
M"c Pivert. — Quel est ce livre?
Furet. — Il vient de paraître. C'est le Voyage autour'de
nos deux Chambres. Mœurs, usages, coutumes des Sénateurs et
des Déptités, par un journaliste. Paris, Librairie républicaine,
16, rue du Croissant; pi-ix : un franc.
Mmo La Minaudière.— Parfait! nous allons en savoir
plus qu'en allant à Versailles.
M. Pincebourde. — Et cela nous reviendra moins cher.
Eu re t. — Interrogez?
M"" Chanoison. - Qu'est-ce que la salle des Pas-Perdus
dont on nous a refusé l'entrée ?
. Furet, Usant. — « Les députés sont là chez eux, loin des
yeux des importuns, des curieux. Là se nouent les intrigues,
les petites conspirations cousues de fil blanc. On cherche à
gagner les voix, on décide les hésitants, on trompe les décidés
et tous ces imbroglios vont se dénouer en séance publique.
Les députés se savent là en famille. Ils laissent voir leurs
craintes, leurs joies, leurs soucis. Ils se déboutonnent entre
eux, — au moral, bien entendu.
M. Chanoison. — Le ton est léger.
Furet, lisant. — « Voici, dans la salle des Pas-Perdus de
la Chambre, M. Janvier de la Motte, l'aîné, le père des pom-
piers. Il se hâte vers le bureau télégraphique. Il a l'air
pressé, mais... souriant. Est-ce une nouvelle langouste qu'il
va demander par dépêche? Cependant Versailles est plus
près qu'Evreux de Paris, et en trois quarts d'heure on peut
être facilement sur le boulevard Montmartre. »
M"0 Pivert, avec ingénuité. — Je ne comprends pas.
M. Pincebourde. — C'est un sujet délicat qui...
Mmc La Minaudière, l'ougissante. — N'insistons pas!
M. Chanoison. — Passe, Furet. Parle nous de la buvette*
Qu'est-ce que cela?
Furet, lisant. — « C'est le lieu le plus fréquenté, le plus
animé, le plus bruyant. C'est le lieu sacré par excellence.
C'est le sanctuaire. Nul profane n'en franchit le seuil. Les
mystères de la buvette sont aussi impénétrables que ceux
d'Eleusis... Sénateurs et députés laissent à la porte de la bu-
vette l'air guindé et rèche qu'ils affectent en public. Devant
les vins et les liqueurs ils reprennent leur véritable aspect
et ne cherchent point à dissimuler leur caractère... Au
temps où les vins Ans s'épanouissaient sur le comptoir,
M. Léon V..., gros, court, trapu, à la face rubiconde, venait
dès dix heures du matin à la buvette. Garçon, un verre de
malaga! — Boum! Cinq minutes après, — Garçon, encore un
verre! — Boum! Et ainsi de suite de cinq minutes en cinq
minutes. A onze heures, M. Léon V... avait bu sa bouteille
de malaga. A midi il recommençait j mais avec du madère.
M. Pincebourde. — Quel gaillard !
Furet, continuant. — « Au temps de l'empire, M. X...
avait une singulière habitude. Il demandait un verre de
rhum. Il le dégustait longuement, en connaisseur. — Il est
assez bon, votre rhum, disait-il au garçon. Puis, mettant la
main à la poche do son paletot, il en tirait une petite fiole.
Ah! tenez, disait-il négligemment, emplissez-la-moi donc. »
Mmo Chanoison. — C'est joli!
M"' La Minaudière. — En voilà du nouveau! Qui
aurait jamais cru que cela fût?
M. Pincebourde. — Ce n'est pas un fût, c'est une fiole.
Tous.— Ah! ah! ah!
Furkt, lisant. « En employé, M. Thomy G..., est délégué
aux fonctions d'inspecteur de la buvette. Singularité :
M. Thomy G..., qui est en rapport constant avec les vins,
ne boit jamais que de l'eau. On dit que l'eau rend méchant.
C'est un vieux proverbe auquel nous serions heureux que
M. Thomy G... donnât un démenti. »
Mm0 Chanoison. — Ce Voyage autour de nos deux
Chambres est plein de renseignements curieux et in-
connus.
M. Chanoison. — Mais, à côté de ces détails humoristi-
ques, indique-t-on les travaux sérieux, la manière dont se
font les lois?
Furkt. — Parfaitement. Tout un chapitre intitulé: La
vraie cuisine parlern- ntnire, est consacré aux travaux inté-
rieurs des bureaux et des commissions de la Chambre et
du Sénat. 11 renlcrmo des détails très-minutieux et qui
semblent très-complets. Il indique comment on procède au
choix des commissaires, comment ceux-ci choisissent leur
président, leur secrétaire, leur rapporteur ; comment ont
lieu les discussions. 11 énumère et décrit les commissions
spéciales des pétitions, des congés, du budget, etc..
M. Pinciibourde. — Ce sont là choses dont nous ne
nous faisons pas la moindre idée.
Furet. — Le Voyage autour de nos deux Cham-
bres lait également entrer le public dans l'administration
intérieure du Sénat et de la Chambre. Il décrit ce que l'on
fait à la présidence, à la questure, aux archives, au maté-
riel, à la bibliothèque, aux procès-verbaux, à la sténogra-
phie, à la trésorerie.
M. Chanoison. — Voilà un chapitre important. Donne-
t-il des détails sur la caisse, l'indemnité, le budget?
Furet.— Tout cela s'y trouve. Il y a également la ma-
nière dont on peut entrer aux séances. On y voit aussi
l'aspect des tribunes, de la salle, du bureau de l'Assemblée;
comment s'ouvrent les séances ; comment on monte à la tri-
bune; comment on s'y tient ; comment on parle ; comment
on est écouté ; comment on est puni; comment on vote;
comment on sort des séances.
M"c Pivert. — Parle-t-on des toilettes des dames qui
assistent aux séances ?
Furet. — Tout y est, vous dis-je. Voici : « Les femmes
orment la catégorie la plus nombreuse des assistants. Elles