L' S0 LI PS S
LES MÉTAMORPHOSES DE L'ÉCLIPSÉ
Tout passe, tout casse, tout lasse, dit un vieux proverbe,
qui nous vient au moins des Grecs, car les Athéniens qui
ont pu se passer d'avoir du génie, après s'être lassés
d'appeler Aristide : le Juste, étaient seuls capables de réu-
nir ces trois mots, qui brillent surtout par leur asso-
nance.
Ce n'est cependant ni leur éclat, ni ieur conséquence qui
ont décidé l'Eclipsé à faire peau neuve; ce n'est pas non
plus le besoin de suivre ou de précéder la mode qui nous
fait adopter pour l'avenir un nouveau format agréable pour
le marchand des kiosques, facile pour le lecteur et indis-
pensable pour le collectionneur.
Eh tenez ! Voilà le grand mot lâché ! les collectionneurs,
et Dieu merci! ils sont nombreux, ne cessent de nous bom-
barder de réclamations fondées sur la double difficulté de
faire relier élégamment et de loger en bonne place, dans
des rayons de bibliothèque, les numéros de YEclipse sous
son format actuel.
Comment ! nous disent les plus pratiques, alors que le
Journal officiel, le Journal officiel lui-même, a compris la né-
cessité du petit format, vous allez continuer à creuser le
sillon de la routine, quand vous êtes certain de doubler le
nombre de vos collectionneurs en donnant à votre journal,
que tout le monde a plaisir à consulter comme l'histoire
comique de l'année, bien plus qu'il n'a besoin de feuilleter
le recueil des documents officiels, un format recommanda-
ble aux relieurs et aux bibliophiles?
Nos correspondants sont dans le vrai, nous le reconnais-
sons depuis trois mois; mais il s'agissait de terminer le se-
mestre pour ne pas jeter de perturbation dans le renouvel-
lement des abonnements ; car tout petit journal qu'il a la
prétention d'être, l'Eclipsé n'en est pas moins une affaire
commerciale, et nous bous reprocherions tout* notre vie
d'avoir forcé la main aux abonnés qui, par Impossible, tien-
draient encore au format actuel.
Et voilà pourquoi, à partir du prochain numéro qui com-
mence le deuxième semestre, l'Eclipsé paraîtra sous le for-
mat du Punch ou, si ion veut une comparaison française,
format de l'ancienne llevue comique qui, en 1848, sapa si
merveilleusement le bonapartisme, alors qu'il éclosait dans
son œuf.
En raison de ce modèle, qui sera, pour nous, comme une
paternité d'adoption, l'Eclipso prendra pour sous-titre ces
mots : Revue comique illustrée, qu'elle s'est toujours efforcée
de mériter.
Nous entrons dans cette voie de réformes dontnous ferons
bien certainement le tramway des améliorations, le cœur
d'autant plus léger (pour nous servir d'un mot qui ne vieil-
lit pas) que, d'abord, nous savons répondre à un besoin, et
qu'ensuite, en fait de transformations, l'Eclipsé n'en est pas
à son coup d'essai.
Ce fut d'abord la Lune, fondée par notre regretté François
Polo, en octobre 186;», alors que le Soleil, doit elle voulait
être la parodie, menaçait d'enflammer de ses rayons bien
vite éteints tous les kiosques des boulevards.
Ce journal, qui n'était en principe qu'une débauche d'es-
prit, une feuille volante que devait emporter l'aquilon de
la curiosité satisfaite, ouïes ciseaux delà censure, ne parais-
sait d'abord que toutes les Nouvelles Lunes; il allaitpeut-être
se proclamer l'organe officiel des Lunatiques ou desLunetti-
ques ; mais la verve endiablée de ses rédacteurs, l'origina-
lité des dessins de Gill qui s y fit comme caricaturiste une
célébrité dont il n'a pas démérité depuis onze ans, en firent
une affaire ; on dut paraître toutes les semaines : le tirage
monta rapidement, si rapidement que les vieilles Lunes 6ont
devenues d'un rare à faire tressaillir d'aise le marteau du
commissaire-priscur.
Mais la censure, comme un bon gendarme, sans compa-
raison toutefois, ne dormait que d'un œil ; elle n'aimait
pas le clair de Lune, ou plutôt elle trouvait que la Lune
était trop claire, elle trancha un dessin représentant
le Lutteur masqué, qu'elle prit judicieusement pour la pa-
pauté (c'était en I86K\ d'un coup de ciseaux si brutal que
le pauvre journal en fut coupé en deux.
Polo avait prévu l'orage, et il avait tout doucement pré-
paré l'Eclip.<e qui prit tout naturellement la succession de
la Lune, hérita de ses abonnés et de sa vogue.
Pendant trois ans, elle lutta contre les difficultés sans
cesse renaissantes qu'il y avait à traduire sa pensée par le
crayon. L'Kmpire finit, puis la guerre, et sitôt que tout fut
un peu calmé, YËclipse déposa un cautionnement pour
avoir le droit de parler et surtout de dessiner politique.
Il y eut alors de beaux jours pour la verve caricaturiste
de Gill, et malgré l'énorme quantité de dessins qu'il se vit
refuser par la censure de l'essai loyal, il en produisit un
certain nombre qui sont do3 chefs-d'œuvre et seront, à ce
titre, toujours recherchés des collectionneurs.
Cette lune de miel relative cessa bientôt. La censure de-
vint plus rébarbative que jamais, il fallut se contenter de
regains d'actualités, d'allusions par à peu près, et ce système,
se continuant toujours, menaçait de condamner l'Eclipsé,
pourtant toujours vivace, à un semblant de décadence qui
n'était pas de son fait... mais dont elle aurait pu subir un
jour ou l'autre la responsabilité.
Voilà pourquoi, changeant la forme et augmentant le
nombre des dessins, pour en renouveler l'esprit, l'Eclipsé
va continuer sa publication comme si le papier, le* dessins,
la gravure et le pliage ne lui coûtaient rien.
Donc, à partir du i" juillet, gaieté, esprit, humour et ca-
ricatures comme par le passé, et mieux q'ie par le passé,
puisque nous aurons près du double d'espace.
En somme, il n'y aura rien de changé dans le Journal, il
n'y aura que quatre pages de plus.
L'Administration de L'ECLIPSE.
LA REVANCHE DE CVSTEL-SARRAZIN
m. buffet, stupéfait. — Élu I Je crois qu'il a dit élu !
(Au messager.) C'est élu que tu as dit ?
LB messager. — Oui, monsieur.
— Tu te moques de moil
— Non, monsieur.
— Qui est-ce qui t'a soudoyé pour me mettre dedans ?
— Personne.
— Userait possible!... Mais non. Voyons, sois franc.
Combien as-tu reçu?
— Quarante sous.
— Et c'est pour ce prix-là que tu te joues de la bonne
foi d'un honnête homme?
— Je ne me joue de la bonne foi de quiconque. J'ai reçu
le prix, de ma course, voilà tout.
— Qui t'a mis ces quarante sous dans la main ?
— Un petit monsieur pincé, l'air content de lui, dont le
perpétuel sourire ressemble à une grimace.
— Ciel! c'est de Broglie ! Plus de de doute, cet homme a
dit vrai. Élu I je serais élu 1 Le vrai peut donc quelquefois
n'être pas vraisemblable? Elu I... C'est bête, mais j'ai de la
peine à croire, quand je répète ce mot-là, qu'il s'applique
à moi. Élu !... c'est le manque d'habitude... Et par com-
bien de voix?
— Par 144.
— Cont quarante-quatre, c'est inouï ! Je n'en reviens pas !
Celui qui m'aurait dit que je pouvais récolter en France
cent quarante-quatre suffrages... Ah çà, je suis donc plus
populaire que je ne pensais? Cent quarante quatre ! Mais
ce chiffre est considérable. Il n'est pas seulement considé-
rable, il est fatidique. (Comptant sur tes doigts.) Je suis
l'homme du 24 Mai ; or, étant ministre, j'ai remporté devant
les électeurs six vestes consécutives, deux pour le Sénat,
quatre pour la Chambre. Je multiplie le 24 mai par les six
vestes, et je trouve tout juste : 84 X 6 = 144. (Pendant ce
calcul, son visage t'est illuminé.) C'est merveilleux ! (Au mes-
sager .-) Oui, je le vols bien, le doigt de la Providence est là
dedans. Ta n'es pas un farceur. Dans mes bras, mon ami,
dans met bras. Tiens, voici encore quarante sous.
Monsieur est bien bon.
— Non, je ne suis pas bon. C'est pour une autre course.
Tu vas aller réclamer à M. Relier mon Péril social que je
lui avais prêté. Tu me le rapporteras tout de suite. Va. Ne
crains pas de le friper : c'est fait pour être piétiné en
public.
m. buffet, seul, se frottant les mains. — Inamovible !
Enfin, ça y est. Ce n'est pas sans peine, mais ça y est tout
do même. Mon père avait bien raison quaad il me disait :
« Ne te décourage jamais, mon garçon. Sois collant. La
persévérance mène à tout. Pour avoir sollicité une chose
vingt-cinq fois, ne t'arrête pas, c'est peut-être la vingt-
sixième qui sera la bonne. En tout cas, à défaut de la
vingt-sixième, rien ne prouve que ce ne sera pas la vingt-
septième... Si on te tourne le dos, emboîte le pas ; si on te
renverse, relève-toi, mais sans lâcher pied ; si on te chasse
par la porte, rentre par la fenêtre ; si on te flanque par la
fenêtre, rentre par la cheminée. Quand on n'arriverait
ainsi qu'à se rendre insupportable, on serait arrivé déjà à
quelquo chose... » (Il (coûts.) Qui va là? Personne... Ouf !
ce bruit de pas m'a donné une secousse. J'ai cru qu'on
venait m'annoncer qu'un nouveau pointage... Non, nous
restons à 144. Ce n'est pas la moitié des sénateurs, mais
pourvu que ce soit assez...
Il y aura eu heureusement do» absents, des malades...
merci, mon Dieu I A quoi une élection sénatoriale est-elle
subordonnée 1 Une bronchite, une entorse, et crac! suivant
que le hasard a frappé un poumon de la gauche ou un pied
de la droite, voilà les résultats changés. Faut-il que les des-
tinées politiques d'un peuple tiennent à si peu de chose!...
(Après réflexion.) Ma foi, il est très-heureux pour moi qu'elles
ne tiennent qu'à cela, sans quoi... (Il sourit.) Heureuse inven-
tion que cette nomination des sénateurs inamovibles par
eux-mêmes ! Comme cela, pas de situation tendue vis-à-vis,
des électeurs. Plus de camouflets à recevoir de leur part.
J'en ai fini avec eux, bien fini. 0 chance! Aucun suffrage ni
universel, ni restreint, n'aura plusàm'imposerses fourches
caudines. Je puis faire la nique aux urnes; je la leur fais.
Hein, qu'en dis-tu, Castel-Sarrazin? Tu restes coi, tu es
ébaubi, tu es aplati, tu es consterné. Regarde un triom-
phateur. (// monte sur une chaise.) Dis, le vois-tu? (Il se cogne
la ttte.) Aïe, il faudra que je change d'appartement. loi le
plafond est trop bas... (En arpentant la chambre.) Enfin je
tiens mon fauteuil : j'y suis, j'y reste. Que dls-je! j'y reste,
je m'y colle, je m'y incruste. 11 n'y a plus à y revenir ; c'est
pour la vie que je suis nommé... Pour la Vie! (Sa figure se
rembrunit.) Iluml mes deux prédécesseurs aussi étaient
nommés pour la vie; et en moins de quatre mois... Brrr...
si j'étais superstitieux pourtant. Mais je ne le suis pas.
D'ailleurs j'aurai soin de me pendro sur la poitrine l'image
du Sacré-Cœur, avec l'inscription < Arrête I le Sacré-Cœur
de Jésus est là! » Si avec cela Je ne suis pas préservé!...
(Use secoue.) Allons, allons, réjoulssons-housI La politique
va bientôt changer de face. A mol les gants de la politique
de combat, à moi le fouet délaissé de Baragnon.Grâce à ma
nomination le Sénat entre dans une phase nouvelle ; il s'est
aujourd'hui reconstitué.
M. Buffet avait appuyé sur cette dernière phrase avec son
âpreté ordinaire. Par un effet d'acoustique qui le fit tres-
saillir, un éoho s'éleva d'un des coins de la pièce, et cet
écho moqueur renvoya le mot :
— Tué.
PAUL PARFAIT
ÏM FÊTE A PARIS
Hier, 2:t juin, au coin des rues, le long des quais, sur les
places, il y avait comme des émeutes de fleurs.
Ces rassemblements parfumés ne sont pas défendus.
Les bouquets, entourés de leur papier, comme les coco-
dès de leur faux-col, mais infiniment plus jolis, se suivaient
sur les trottoirs et ne se ressemblaient pas.
Des rosiers de toutes tailles se croisaient, dans les bras
des passants, et secoués dans tous les sens avaient l'air de
se saluer à coups de corolle.
Les fuchsias, semblables à des chapeaux chinois, vibraient
à pleines clochettes; enfin, malgré la chaleur, les plantes
grasses no se portaient pas trop mal.
D'autre part, les pâtissiers, plus nombreux que les sables
la la mer, entassaient des Pélions de gâteaux de Savoie sur
des Ossas de sainls-lionoré, de babas, etc.
Une foule, que je pourrais qualifier de compacte, emplis-
sait les magasins de ces dignes industriels et dévalisait les
plateaux en fil de fer et les assiettes.
Tout le monde, hier, voulait mettre la main a la pâte...
cuite.
Les demoiselles de comptoir, les mains pleines de roses
artificielles et de petits saints en sucre rose, vêtus d'une toi-
son blanche, perdaient la tête, ne sachant à qui se vouer.
Bref, c'était hier Saint-Jean, et dame, chacun prêchait
pour son saint.
Comme on l'a pu remarquer, le soleil, continuant la tradi-'
tlon, s'était empressé de remplacer les feux de joie du temps
passé, ces fameux bûchers où de malheureux chats pas-
saient un vilain quart d'heure.
La température assez ôpicée dont on jouissait av< mis
de la mélancolie dans l'âme des ours blancs du Jardin des
plantes. • : /
Ces braves animaux branlaient la tête avec tristease et
dans leur cœur se glissait la nostalgie du pôle.
On avait envie de leur offrir des glaces... à l'Esquimau,
Les singes cependant se frottaient les pattes et murmu-
raient :
LES MÉTAMORPHOSES DE L'ÉCLIPSÉ
Tout passe, tout casse, tout lasse, dit un vieux proverbe,
qui nous vient au moins des Grecs, car les Athéniens qui
ont pu se passer d'avoir du génie, après s'être lassés
d'appeler Aristide : le Juste, étaient seuls capables de réu-
nir ces trois mots, qui brillent surtout par leur asso-
nance.
Ce n'est cependant ni leur éclat, ni ieur conséquence qui
ont décidé l'Eclipsé à faire peau neuve; ce n'est pas non
plus le besoin de suivre ou de précéder la mode qui nous
fait adopter pour l'avenir un nouveau format agréable pour
le marchand des kiosques, facile pour le lecteur et indis-
pensable pour le collectionneur.
Eh tenez ! Voilà le grand mot lâché ! les collectionneurs,
et Dieu merci! ils sont nombreux, ne cessent de nous bom-
barder de réclamations fondées sur la double difficulté de
faire relier élégamment et de loger en bonne place, dans
des rayons de bibliothèque, les numéros de YEclipse sous
son format actuel.
Comment ! nous disent les plus pratiques, alors que le
Journal officiel, le Journal officiel lui-même, a compris la né-
cessité du petit format, vous allez continuer à creuser le
sillon de la routine, quand vous êtes certain de doubler le
nombre de vos collectionneurs en donnant à votre journal,
que tout le monde a plaisir à consulter comme l'histoire
comique de l'année, bien plus qu'il n'a besoin de feuilleter
le recueil des documents officiels, un format recommanda-
ble aux relieurs et aux bibliophiles?
Nos correspondants sont dans le vrai, nous le reconnais-
sons depuis trois mois; mais il s'agissait de terminer le se-
mestre pour ne pas jeter de perturbation dans le renouvel-
lement des abonnements ; car tout petit journal qu'il a la
prétention d'être, l'Eclipsé n'en est pas moins une affaire
commerciale, et nous bous reprocherions tout* notre vie
d'avoir forcé la main aux abonnés qui, par Impossible, tien-
draient encore au format actuel.
Et voilà pourquoi, à partir du prochain numéro qui com-
mence le deuxième semestre, l'Eclipsé paraîtra sous le for-
mat du Punch ou, si ion veut une comparaison française,
format de l'ancienne llevue comique qui, en 1848, sapa si
merveilleusement le bonapartisme, alors qu'il éclosait dans
son œuf.
En raison de ce modèle, qui sera, pour nous, comme une
paternité d'adoption, l'Eclipso prendra pour sous-titre ces
mots : Revue comique illustrée, qu'elle s'est toujours efforcée
de mériter.
Nous entrons dans cette voie de réformes dontnous ferons
bien certainement le tramway des améliorations, le cœur
d'autant plus léger (pour nous servir d'un mot qui ne vieil-
lit pas) que, d'abord, nous savons répondre à un besoin, et
qu'ensuite, en fait de transformations, l'Eclipsé n'en est pas
à son coup d'essai.
Ce fut d'abord la Lune, fondée par notre regretté François
Polo, en octobre 186;», alors que le Soleil, doit elle voulait
être la parodie, menaçait d'enflammer de ses rayons bien
vite éteints tous les kiosques des boulevards.
Ce journal, qui n'était en principe qu'une débauche d'es-
prit, une feuille volante que devait emporter l'aquilon de
la curiosité satisfaite, ouïes ciseaux delà censure, ne parais-
sait d'abord que toutes les Nouvelles Lunes; il allaitpeut-être
se proclamer l'organe officiel des Lunatiques ou desLunetti-
ques ; mais la verve endiablée de ses rédacteurs, l'origina-
lité des dessins de Gill qui s y fit comme caricaturiste une
célébrité dont il n'a pas démérité depuis onze ans, en firent
une affaire ; on dut paraître toutes les semaines : le tirage
monta rapidement, si rapidement que les vieilles Lunes 6ont
devenues d'un rare à faire tressaillir d'aise le marteau du
commissaire-priscur.
Mais la censure, comme un bon gendarme, sans compa-
raison toutefois, ne dormait que d'un œil ; elle n'aimait
pas le clair de Lune, ou plutôt elle trouvait que la Lune
était trop claire, elle trancha un dessin représentant
le Lutteur masqué, qu'elle prit judicieusement pour la pa-
pauté (c'était en I86K\ d'un coup de ciseaux si brutal que
le pauvre journal en fut coupé en deux.
Polo avait prévu l'orage, et il avait tout doucement pré-
paré l'Eclip.<e qui prit tout naturellement la succession de
la Lune, hérita de ses abonnés et de sa vogue.
Pendant trois ans, elle lutta contre les difficultés sans
cesse renaissantes qu'il y avait à traduire sa pensée par le
crayon. L'Kmpire finit, puis la guerre, et sitôt que tout fut
un peu calmé, YËclipse déposa un cautionnement pour
avoir le droit de parler et surtout de dessiner politique.
Il y eut alors de beaux jours pour la verve caricaturiste
de Gill, et malgré l'énorme quantité de dessins qu'il se vit
refuser par la censure de l'essai loyal, il en produisit un
certain nombre qui sont do3 chefs-d'œuvre et seront, à ce
titre, toujours recherchés des collectionneurs.
Cette lune de miel relative cessa bientôt. La censure de-
vint plus rébarbative que jamais, il fallut se contenter de
regains d'actualités, d'allusions par à peu près, et ce système,
se continuant toujours, menaçait de condamner l'Eclipsé,
pourtant toujours vivace, à un semblant de décadence qui
n'était pas de son fait... mais dont elle aurait pu subir un
jour ou l'autre la responsabilité.
Voilà pourquoi, changeant la forme et augmentant le
nombre des dessins, pour en renouveler l'esprit, l'Eclipsé
va continuer sa publication comme si le papier, le* dessins,
la gravure et le pliage ne lui coûtaient rien.
Donc, à partir du i" juillet, gaieté, esprit, humour et ca-
ricatures comme par le passé, et mieux q'ie par le passé,
puisque nous aurons près du double d'espace.
En somme, il n'y aura rien de changé dans le Journal, il
n'y aura que quatre pages de plus.
L'Administration de L'ECLIPSE.
LA REVANCHE DE CVSTEL-SARRAZIN
m. buffet, stupéfait. — Élu I Je crois qu'il a dit élu !
(Au messager.) C'est élu que tu as dit ?
LB messager. — Oui, monsieur.
— Tu te moques de moil
— Non, monsieur.
— Qui est-ce qui t'a soudoyé pour me mettre dedans ?
— Personne.
— Userait possible!... Mais non. Voyons, sois franc.
Combien as-tu reçu?
— Quarante sous.
— Et c'est pour ce prix-là que tu te joues de la bonne
foi d'un honnête homme?
— Je ne me joue de la bonne foi de quiconque. J'ai reçu
le prix, de ma course, voilà tout.
— Qui t'a mis ces quarante sous dans la main ?
— Un petit monsieur pincé, l'air content de lui, dont le
perpétuel sourire ressemble à une grimace.
— Ciel! c'est de Broglie ! Plus de de doute, cet homme a
dit vrai. Élu I je serais élu 1 Le vrai peut donc quelquefois
n'être pas vraisemblable? Elu I... C'est bête, mais j'ai de la
peine à croire, quand je répète ce mot-là, qu'il s'applique
à moi. Élu !... c'est le manque d'habitude... Et par com-
bien de voix?
— Par 144.
— Cont quarante-quatre, c'est inouï ! Je n'en reviens pas !
Celui qui m'aurait dit que je pouvais récolter en France
cent quarante-quatre suffrages... Ah çà, je suis donc plus
populaire que je ne pensais? Cent quarante quatre ! Mais
ce chiffre est considérable. Il n'est pas seulement considé-
rable, il est fatidique. (Comptant sur tes doigts.) Je suis
l'homme du 24 Mai ; or, étant ministre, j'ai remporté devant
les électeurs six vestes consécutives, deux pour le Sénat,
quatre pour la Chambre. Je multiplie le 24 mai par les six
vestes, et je trouve tout juste : 84 X 6 = 144. (Pendant ce
calcul, son visage t'est illuminé.) C'est merveilleux ! (Au mes-
sager .-) Oui, je le vols bien, le doigt de la Providence est là
dedans. Ta n'es pas un farceur. Dans mes bras, mon ami,
dans met bras. Tiens, voici encore quarante sous.
Monsieur est bien bon.
— Non, je ne suis pas bon. C'est pour une autre course.
Tu vas aller réclamer à M. Relier mon Péril social que je
lui avais prêté. Tu me le rapporteras tout de suite. Va. Ne
crains pas de le friper : c'est fait pour être piétiné en
public.
m. buffet, seul, se frottant les mains. — Inamovible !
Enfin, ça y est. Ce n'est pas sans peine, mais ça y est tout
do même. Mon père avait bien raison quaad il me disait :
« Ne te décourage jamais, mon garçon. Sois collant. La
persévérance mène à tout. Pour avoir sollicité une chose
vingt-cinq fois, ne t'arrête pas, c'est peut-être la vingt-
sixième qui sera la bonne. En tout cas, à défaut de la
vingt-sixième, rien ne prouve que ce ne sera pas la vingt-
septième... Si on te tourne le dos, emboîte le pas ; si on te
renverse, relève-toi, mais sans lâcher pied ; si on te chasse
par la porte, rentre par la fenêtre ; si on te flanque par la
fenêtre, rentre par la cheminée. Quand on n'arriverait
ainsi qu'à se rendre insupportable, on serait arrivé déjà à
quelquo chose... » (Il (coûts.) Qui va là? Personne... Ouf !
ce bruit de pas m'a donné une secousse. J'ai cru qu'on
venait m'annoncer qu'un nouveau pointage... Non, nous
restons à 144. Ce n'est pas la moitié des sénateurs, mais
pourvu que ce soit assez...
Il y aura eu heureusement do» absents, des malades...
merci, mon Dieu I A quoi une élection sénatoriale est-elle
subordonnée 1 Une bronchite, une entorse, et crac! suivant
que le hasard a frappé un poumon de la gauche ou un pied
de la droite, voilà les résultats changés. Faut-il que les des-
tinées politiques d'un peuple tiennent à si peu de chose!...
(Après réflexion.) Ma foi, il est très-heureux pour moi qu'elles
ne tiennent qu'à cela, sans quoi... (Il sourit.) Heureuse inven-
tion que cette nomination des sénateurs inamovibles par
eux-mêmes ! Comme cela, pas de situation tendue vis-à-vis,
des électeurs. Plus de camouflets à recevoir de leur part.
J'en ai fini avec eux, bien fini. 0 chance! Aucun suffrage ni
universel, ni restreint, n'aura plusàm'imposerses fourches
caudines. Je puis faire la nique aux urnes; je la leur fais.
Hein, qu'en dis-tu, Castel-Sarrazin? Tu restes coi, tu es
ébaubi, tu es aplati, tu es consterné. Regarde un triom-
phateur. (// monte sur une chaise.) Dis, le vois-tu? (Il se cogne
la ttte.) Aïe, il faudra que je change d'appartement. loi le
plafond est trop bas... (En arpentant la chambre.) Enfin je
tiens mon fauteuil : j'y suis, j'y reste. Que dls-je! j'y reste,
je m'y colle, je m'y incruste. 11 n'y a plus à y revenir ; c'est
pour la vie que je suis nommé... Pour la Vie! (Sa figure se
rembrunit.) Iluml mes deux prédécesseurs aussi étaient
nommés pour la vie; et en moins de quatre mois... Brrr...
si j'étais superstitieux pourtant. Mais je ne le suis pas.
D'ailleurs j'aurai soin de me pendro sur la poitrine l'image
du Sacré-Cœur, avec l'inscription < Arrête I le Sacré-Cœur
de Jésus est là! » Si avec cela Je ne suis pas préservé!...
(Use secoue.) Allons, allons, réjoulssons-housI La politique
va bientôt changer de face. A mol les gants de la politique
de combat, à moi le fouet délaissé de Baragnon.Grâce à ma
nomination le Sénat entre dans une phase nouvelle ; il s'est
aujourd'hui reconstitué.
M. Buffet avait appuyé sur cette dernière phrase avec son
âpreté ordinaire. Par un effet d'acoustique qui le fit tres-
saillir, un éoho s'éleva d'un des coins de la pièce, et cet
écho moqueur renvoya le mot :
— Tué.
PAUL PARFAIT
ÏM FÊTE A PARIS
Hier, 2:t juin, au coin des rues, le long des quais, sur les
places, il y avait comme des émeutes de fleurs.
Ces rassemblements parfumés ne sont pas défendus.
Les bouquets, entourés de leur papier, comme les coco-
dès de leur faux-col, mais infiniment plus jolis, se suivaient
sur les trottoirs et ne se ressemblaient pas.
Des rosiers de toutes tailles se croisaient, dans les bras
des passants, et secoués dans tous les sens avaient l'air de
se saluer à coups de corolle.
Les fuchsias, semblables à des chapeaux chinois, vibraient
à pleines clochettes; enfin, malgré la chaleur, les plantes
grasses no se portaient pas trop mal.
D'autre part, les pâtissiers, plus nombreux que les sables
la la mer, entassaient des Pélions de gâteaux de Savoie sur
des Ossas de sainls-lionoré, de babas, etc.
Une foule, que je pourrais qualifier de compacte, emplis-
sait les magasins de ces dignes industriels et dévalisait les
plateaux en fil de fer et les assiettes.
Tout le monde, hier, voulait mettre la main a la pâte...
cuite.
Les demoiselles de comptoir, les mains pleines de roses
artificielles et de petits saints en sucre rose, vêtus d'une toi-
son blanche, perdaient la tête, ne sachant à qui se vouer.
Bref, c'était hier Saint-Jean, et dame, chacun prêchait
pour son saint.
Comme on l'a pu remarquer, le soleil, continuant la tradi-'
tlon, s'était empressé de remplacer les feux de joie du temps
passé, ces fameux bûchers où de malheureux chats pas-
saient un vilain quart d'heure.
La température assez ôpicée dont on jouissait av< mis
de la mélancolie dans l'âme des ours blancs du Jardin des
plantes. • : /
Ces braves animaux branlaient la tête avec tristease et
dans leur cœur se glissait la nostalgie du pôle.
On avait envie de leur offrir des glaces... à l'Esquimau,
Les singes cependant se frottaient les pattes et murmu-
raient :