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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 9.1876

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https://doi.org/10.11588/diglit.6770#0103
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— A côté du Sénégal, ce soleil-là n'est encore que de la

Saint-Jean I

■Et sur les boulevards, néanmoins, on échangeait de gais
propos :

— Mon Dieu ! que je viens d'avoir peur, — disait une
dame à son amie — j'en ai encore une sueur froide.

— Vous avez bien de la chance, par le temps qui court,
répliquait l'autre.

Au milieu du va-et-vient bruyant de la foule, aspirant
l'air chargé de senteurs douces exhalées par les fleurs, ces
sourires charmants de la terre morose, et égayé par les
sourires, cette floraison joyeuse des visages, je marchais
lentement, heureux de constater que le culte des anniver-
saires, des pures et simples'joies do la famille, n'est pas
abandonné à Paris.

Non, si entraîné dans le tourbillon des affaires vitales
qu'on soit, il est des époques, des dates qu'où n'oublie
jamais.

Ces dates sont celles de la fête des vivants et de la fête
des morts.

Le souvenir en est amoindri, presque effacé, sans cesse
tenu au large par les occupations présentes; mais il revient
au cœur, tout à'coup, en temps utile, sans que l'on sache
trop comment cela se fait.

La veille, le matin ou le lendemain d'une fête quelconque,
le pressentiment de son retour vous est annoncé mysté-
rieusement, comme par une voix intérieure.

Ainsi que les oiseaux voyageurs élevés en captivité, on
dirait que les âmes éprouvent soudain l'impérieux désir, à
époque fixe, de retourner dans le passé, le pays de la mé-
moire.

Ce sont les migrations du cœur.

Et c'est toujours avec une satisfaction attendrie que, s'em-
pressant d'endosser le vieil et doux habit de l'habitude, qui
n'est jamais étroit aux entournures, bien que nous grandis-
sions en âge et en indifférence, on va acheter le bouquet de
fleurs éphémères ou la couronne d'immortelles, ces pauvres
choses qui font plaisir, ici-bas, comme, jVn suis sûr, là-
haut.

En discourant ainsi intérieurement, j'atteignis, en passant
sur le boulevard du Temple, les bords du canal Saint-Mar-
tin, sur lesquels la circulation pittoresque des ouvriers re-
venant des ateliers est toujours abondante.

Et je m'assis sur un banc, un cigare aux lèvres.

Un refrain d'opéra-comique assure qu'il est doux de ne
rien faire quand tout.s'agite autour de vous.

A part la honte grande dont on doit être couvert, le fait
est que le repos au milieu du mouvement est une fort
agréable chose.

Et comme j'avais fait ma journée tout comme un autre,
avec d'autres instruments, il est vrai, et que, par conséquent,
je n'avais rien à me reprocher, je savourais pleinement
cette joie innocente qui consiste à regarder filer devant soi
les gens pressés, en sueur, la face écarlate, tandis que soi-
même on se livre à une immobilité orientale pleine de
quiétude ou de fraîcheur.

C'est alors que je vis passer un sujet vivant de poésie
réelle.

Je sais bien le mépris dans lequel il tomberait, si je le
présentais à quelques poètes de ma connaissance : mais je
leur éviterai cet ennui.

Quant à mon sujet poétique — que je ne mets pas au
concours, le voici :

Un couple, [bras dessus, bras dessous, suivait la contre-
allée sablée du canal ; le soleil, comme un ouvrier qui ras-
semble ses outils, ramassait ses rayons pour partir.

L'homme, c'était un commissionnaire en habit de travail
trapu, solide, d'une figure franche, colorée par un bon sang;
il paraissait jeune.

La femme, c'était une brave bonne fille, ni belle ni laide
potelée, dont les habits ne mentaient pas en s'appuyant sur
les contours robustes du corps. Elle était mise avec soin.
Les cheveux avaient eu des rapports directs avec la pom-
made. Le bonnet blanc avait un petit air crâne qui me ravit.
Enfin on avait lâché le châle de baréges à fleurs.

Ils se pressaient amicalement le bras, se souriaient à bel-
les dents bien blanches, et de temps en temps jetaient un
coup d'œil joyeux sur un modeste bouquet donné par l'un
d'eux.

C'était évidemment une Saint-Jean qui me passait sous
les yeux, et cela me fit grand plaisir de la regarder.

Le poëme — vulgaire, ô jeune poëte épris des charmes
chlorotiques de la muse sans cœur des impassibles — le
poëme de la vie, de la famille, encore à son premier chant,
défilait devant moi.

Que ne disaient pas ce bouquet, cette toilette de la jeune
femme et l'air heureux du rude compagnon !

Après s'être soigneusement parée des pauvres riens de la
coquetterie féminine à bon marché, elle avait été acheter
ce bouquet, puis d'un air d'oiseau à l'aurore, comptantbien
faire une surprise à son mari, elle avait été le trouver sur
le lieu de son travail, au coin d'une rue.

Et lui, fièrement debout, sa médaille sur le cœur et non
couché comme un lazarone sur son crochet, étonné de l'ar-
rivée subite de sa femme, il avait ri largement en prenant
le bouquet ;

Ce bouquet, qui veut dire oubli annuel et sincère de tou-
tes les tracasseries, de toutes les querelles ; fleurs de récon-
ciliation et de paix qu'accompagne un baiser sonore.

Un soir de Saint-Jean, on doit se donner du bon temps,
vous le comprenez bien ; aussi le commissionnaire, après
avoir fermé boutique, et ce n'est pas long, avait offert le
bras à sa compagne de joie et de douleurs, et tous deux,
vers quelque restaurant à trente-deux sous — des folies,
quoi ! — se dirigeaient en se lorgnant du coin de l'œil.

Dame, le soir d'une fête, le visage d'une amio est bien
séduisant, et à ces dîners-là il y a toujours « du dessert. »

ERN- D'HERVILLY

Oazet'te à. la main

Regain.

Nous sommes en 18S35, — en plein faubourg Saint-Ger-
main.

M. de X... marie sa fille et donne un grand repas.

M- de X., jadis un des plus fidèles de Charles X, s'est
lancé dans les broussailles de la branche cadette.
, D'abord on l'a mis au ban du parti. Puis, son immense
fortune aidant, on s'est réconcilié peu à peu avec lui. Au
festin dont il s'agit ont pris place nombre do ducs, de
comtes, de marquis et de barons. Plusieurs personnages
considérables de la famille de Louis-Philippe brochent sur
le tout. Pour complaire à ces derniers, le Vatel de l'amphi-
tryon a affublé les plats des noms les plus orléanistes du
monde.

La vieille douairière do T... est parmi les convives.
Un valet s'approche d'elle :

— Poulet à la d'Aumale.

— Tiens ! s'exclame la noble dame, de mon temps cela
s'appelait poulet au blanc, La sauce a donc tourné?

Un garçon d'esprit de nos amis est sur le point de con-
voler avec une jeune personne fore riche. Hier, sa belle-
mère lui a dit gracieusement :

— Vous avez un joli petit cabriolet, mon gendre ; seule-
ment il vous faudra une voiture plus grande pour conduire
votre femme au Bois.

Nous en faisons notre affaire, votre beau-père et moi. Ce
sera l'un de nos cadeaux de noces, si vous le permettez...

— Belle-maman, je le permets avec bonheur; cepen-
dant...

— Cependant quoi?...

— Je ne vous cacherai pas que je me connais parfaite
ment en voitures...

— Eh bien?...

— Eh bien, si vous y consentez, je choisirai la mienne
moi-même.

— Comme il vous plaira.

On se rend chez le carrossier. Le gendre se choisit une
superbe calèche, que les parents payent rubis sur l'ongle.
Puis, au moment de partir, il prend l'industriel à part :

— Dites-moi, ce vieux monsieur et cette vieille dame sont
des gens de la province que je vous ai amenés... J'ai ma
petite remise, j'espère?

— Comment donc! fait le carrossier.

Et notre garçon d'esprit, outre le cadeau de la voiture,
empoche encore cinq cents francs de remise.

J'ai entendu un pauvre diable faire, sans s'en douter, une
pointe de vaudeville.

C'était un savetier en plein vent qui se plaignait tout
haut de la cherté du cuir.

— Oui, disait-il en s'adressanc à un voisin, oui, les temps
sont si durs, que j'aimerais mieux, sauf votre respect, être
huissier de mon état.

Au bal Favié, à la Courtille.

Une blouse blanche et une casquette de soie noire se
rencontrent entre deux quadrilles :

— Me fais-tu vis-à-vis, Polyte ?

— J'ai pas d'veau.

— Prends ma sœur !

Entre demoiselles :

— Et qu'est-ce qu'il fait, ton petit brun?

— Il est tailleur, à ce qu'il assure.

— Un tailleur! Comment I tu donnes dans ces états-là?
Passe encore s'il t'avait promis une amazone en elbeuf ou
en velours !...

— Eh! non, tune comprends pas : il taille... des cartes
— pour le jeu — à Monaco.

— Mais, alors, ma chère, c'est bien pis: mettons que la
banque saute ; au lieu d'une robe, tu ne remporteras qu'une
veste avec ce tailleur-là.

Alexandre Dumas fils dînait chez un ami.
On vient à causer de la Bible.

— J'avoue, déclare l'écrivain que je n'ai jamais lu qu'as-
sez imparf aitement le Livre de Job dont chacun m'a vanté les
sublimes beautés.

— J'ai une Bible complète, dit la maîtresse de la maison ;
je vous la prêterai, si vous voulez.

— Très-volontiers : je l'emporterai en m'en allant.

— Vous n'y songez pas : elle est grosse.

— Grosse ! fait Dumas en souriant, alors j'attendrai jus-
qu'au terme.

La chanson des Gueux.

Déranger a chanté les Gueux : Jean Richepin les fait
chanter. Leurs joies faites de vin et de larmes sont fami-
lières à ce poëte qui procède de François Villon. Il connaît
leur argot, pétri de tropes et d'images, qui donne parfois
à la prosodie et à la syntaxe le croc-en-jambo ou le ren-
foncement de Gavroche. « Je voudrais pouvoir accrocher
« ici quelques grappes de ces vers étranges qui laisseront
« le bourgeois pantois à l'instar d'un pétard tiré sous son
« fauteuil. » Mais la place m'est limitée : je me borne donc
à souhaiter à la Chanson des Gueux un succès que lui fe-
ront sans doute la majorité du public et le talent original
do l'auteur.

Bernard Latte

Une célébrité de la rue "qui vient de s'éteindre incognito.

Tout le monde a rencontré ce vieil homme, qui trottait à
travers Paris, par le soleil, la pluie, le vent, la neige, la
grêle, la crotte,— avec ses gros yeux arrondis, papillotants,
hallucinés, son nez guillochô de rubis, sa barbe et sa che-
velure incultes, son chapeau posé sur la nuque, son rijlard
sous un bras, ses paperasses sous l'autre, et les poches de
son vaste paletot-sac bourrées de billets de bal, de billets
de concerts, de billets de loteries, de morceaux de musique,
de prospectus, de menues bimbeloteries et de boîtes de
poudre de toute espèce, — depuis la veloutine Fay jusqu'à
l'insecticide Burnichon !...

On m'assure qu'avant de ressembler à Chodruc-Duclos,
Bernard Latte avait ressemblé à Drummel!...

Ce qu'il y a de certain, c'est que, jeune, riche, actif,
alerte, intelligent, hardi, généreux, élégant, dilettante, im-
pressario, journaliste, il avait tenu, autrefois, — sur le
boulevard des Italiens, — un magasin de librairie musicale
où étaient venus flâner toutes les illustrations lyriques de
l'époque : Lablache, Bubini, Bellini, Grisar, Masini, Mario,
Bérat, Berlioz, Donizetti, Listz, Roncôni, Poullier, Rossini,
Duprez...

C'est qu'il avait publié les Petits Mystères de l'Opéra, d'Al-
béric Second, deviné les frères Ricci, popularisé en France
la Lucia et fait engager à la Renaissance, — dans l'ancienne
salle Ventadour, — la ravissante Anna Thillon...

C'est que, plus tard, il avait organisé les fameuses réu-
nions de la Salle de la Fraternité, où, moyennant cinquante
centimes, on entendait, — en outre des orateurs et des tri-
buns du jour, — Poachard, Audran, Darcier, Junca; fondé
le Casino de la Chaussée-d'Antin, où gambadèrent Frisette
et Brididi; inauguré le Chdteau-des-Fleurs, aux Champs-
Elysées, où M"10" Ugalde et Cabel obtinrent leurs premiers
succès.

Hélas! plus tard encore, harcelé par la malechance, le
pauvre et honnête garçon se vit réduit à lancer des danseu-
ses du Tivoli-Vaux-Hall et des chanteuses de l'Alcazar...

Sa bonne humeur n'en fut point altérée...

C'est égal : après avoir baisé les belles mains de la Grisi
et chuchoté un madrigal à l'oreille de la Malibran, finir par
découvrir Rigolboche et par inventer Thérésa!...

Quelle déche, mon éditeur!...

La représentation de retraite d'Alexandre Michel.

Avez-vous parfois rencontré, dans le train qui, vers six
heures du matin, descend du Vésinet sur Paris, un gros
bonhomme court et trapu, le cou dans les épaules, le dos
rond, le ventre bombé, l'œil fin, la joue allumée d'une
étincelle de carmin, la lèvre souriante sous une moustache
en brosse, dont la mise cossue, soignée, tirée à quatre épin-
gles, dénonce le vieux garçon à l'aise, le petit propriétaire
ou le petit rentier... ?

Si ce quidam bien conservé sort de la poche de son gilet,
— moins pour la consulter que pour la faire voir, — une
superbe montre sur la boîte de laquelle le portrait du czar
Nicolas s'enchâsse dans un cercle de brillants, tenez pour
assuré que vous avez devant vous le doux, le brave, l'ai-
mable Alexandre Michel...

Rentier et propriétaire, celui-ci l'est en effet...

Ne jouit-il pas, en outre de ses économies, de la pension
que le Théâtre-Français de Saint-Pétersbourg sert à ceux
de ses anciens artistes qui se sont particulièrement distin-
gués pendant leur séjour en Russie?

Et ne possède-t-il pas quelque part par là, au Vésinet où
au Pecq, un cottage qu'il appelle son fromage de Hollande?

Est-ce parce qu'il y vit comme un rat1!
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