16 Juillet 1870,
L'ECLIPSE, REVUE COMIQUE ILLUSTREE
17
^ LE CORRESPONDANT TURC ^
«otre correspondance de Turquie était déjà entre
les mains des compositeurs. C'était bien la corres-
pondance la plus nourrie qu'il nous eût été donné
de lire depuis longtemps. On y apprenait enfin,
d'après les confidences de Muftpn-Pacha, la vérité
vraie sur les affaires d'Orient; on y assistait à un
conseil des ministres avec explosion de torpilles
sous la table; on y recevait les confidences de plu-
sieurs médecins sur la santé de Mourad V ; la Ser-
bie y était décrite avec un grand luxe d'adjectifs et
le plan du prince Milan s'y trouvait révélé tout au
long. Je ne serais même pas étonné qu'on y eût dé-
couvert le résultat détaillé des premiers engage-
ments.
Donc ceci était tout près de paraître, et nous
nous réjouissions de devancer ainsi nos confrères de
la presse, et même un tantinet les événements, lors-
qu'en relisant cette lettre un détail nous frappa.
D'une part, notre correspondant narrait : « Le
prince Milan me disait hier soir »; et quelques pages
plus loin : « En voyant, ce matin, le soleil se lever
sur la Corne d'Or. » Comment celui qui nous écri-
vait avait-il pu se trouver presque en même temps
à Belgrade et à Constantinople? Il y avait là un
mystère à éclaircir. Nous ne tardâmes pas à être
éclairé d'une lueur surprenante. « Corne d'or » rem-
plaçait précisément un mot biffé. Sous la rature qui
le recouvrait nous n'eûmes pas de peine à débrouil-
ler ce lapsus révélateur « butte Montmartre », de
sorte que notre correspondant avait écrit d'abord :
« Envoyant le soleil se lever sur la butte Montmar-
tre », aveu trop sincère échappé à sa plume.
Nous étions sur la voie ; il n'y avait plus qu'à sui-
vre.JEn explorant les hauteurs de la rue Lepic, nous
ue tardâmes pas à y découvrir dans une aimable re-
traite, le correspondant entre les mains duquel
nous avions versé, quinze jours auparavant, le prix
de son voyage à Constantinople. Il en avait profité
pour acheter une carte de Turquie, un fez, des ba-
bouches et plusieurs narghilés.
Il nous reçut sans embarras aucun, et nous ten-
dant un narghilé :
— Vous voyez, je tâche de faire de la couleur lo-
cale.
En ce moment plusieurs éclats de voix féminines
percèrent la cloison de la pièce voisine et nous pû-
mes ainsi apprécier tout le zèle que notre corres-
pondant déployait à la recherche de la couleur lo-
cale.
— Ah çà, nous écriâmes-nous, vous êtes un far-
ceur?
Il parut stupéfait, et demanda :
— Pourquoi ça?
Puis, par réflexion :
— Ah! parce que je ne suis pas parti. Seriez-vou.s
de ces naïfs qui croient que pour parler d'im fait, il
faut l'avoir vu. Mais, d'abord, comment un corres-
pondant aurait-il la prétention de voir une bataille
quand, le plus souvent, ceux-là même qui y assis-
tent ne la voient pas! Interrogez quinze témoins d'un
événement, ils vous le raconteront de quinze façons
différentes. Etant seul à l'imaginer, d'après mes
prévisions, j'ai déjà quatorze chances de moins d'ê-
tre trompé. Et puis, sur place on subit des influen-
ces dont il est plus facile de se dégager à distance...
N'est-il pas vrai? Autre raisou qui vous touchera.
Comment, diable, voudriez-vous, si je courais après
des corps d'armée, que mes correspondances vous
arrivent à heure fixe ! Le plus souvent mes lettres
se perdraient en route. Ce ne serait pas le compte
de vos abonnés qui veulent une pâture réglée. Il
leur faut tous les jours, à ces bons abonnés, une
L'ECLIPSE, REVUE COMIQUE ILLUSTREE
17
^ LE CORRESPONDANT TURC ^
«otre correspondance de Turquie était déjà entre
les mains des compositeurs. C'était bien la corres-
pondance la plus nourrie qu'il nous eût été donné
de lire depuis longtemps. On y apprenait enfin,
d'après les confidences de Muftpn-Pacha, la vérité
vraie sur les affaires d'Orient; on y assistait à un
conseil des ministres avec explosion de torpilles
sous la table; on y recevait les confidences de plu-
sieurs médecins sur la santé de Mourad V ; la Ser-
bie y était décrite avec un grand luxe d'adjectifs et
le plan du prince Milan s'y trouvait révélé tout au
long. Je ne serais même pas étonné qu'on y eût dé-
couvert le résultat détaillé des premiers engage-
ments.
Donc ceci était tout près de paraître, et nous
nous réjouissions de devancer ainsi nos confrères de
la presse, et même un tantinet les événements, lors-
qu'en relisant cette lettre un détail nous frappa.
D'une part, notre correspondant narrait : « Le
prince Milan me disait hier soir »; et quelques pages
plus loin : « En voyant, ce matin, le soleil se lever
sur la Corne d'Or. » Comment celui qui nous écri-
vait avait-il pu se trouver presque en même temps
à Belgrade et à Constantinople? Il y avait là un
mystère à éclaircir. Nous ne tardâmes pas à être
éclairé d'une lueur surprenante. « Corne d'or » rem-
plaçait précisément un mot biffé. Sous la rature qui
le recouvrait nous n'eûmes pas de peine à débrouil-
ler ce lapsus révélateur « butte Montmartre », de
sorte que notre correspondant avait écrit d'abord :
« Envoyant le soleil se lever sur la butte Montmar-
tre », aveu trop sincère échappé à sa plume.
Nous étions sur la voie ; il n'y avait plus qu'à sui-
vre.JEn explorant les hauteurs de la rue Lepic, nous
ue tardâmes pas à y découvrir dans une aimable re-
traite, le correspondant entre les mains duquel
nous avions versé, quinze jours auparavant, le prix
de son voyage à Constantinople. Il en avait profité
pour acheter une carte de Turquie, un fez, des ba-
bouches et plusieurs narghilés.
Il nous reçut sans embarras aucun, et nous ten-
dant un narghilé :
— Vous voyez, je tâche de faire de la couleur lo-
cale.
En ce moment plusieurs éclats de voix féminines
percèrent la cloison de la pièce voisine et nous pû-
mes ainsi apprécier tout le zèle que notre corres-
pondant déployait à la recherche de la couleur lo-
cale.
— Ah çà, nous écriâmes-nous, vous êtes un far-
ceur?
Il parut stupéfait, et demanda :
— Pourquoi ça?
Puis, par réflexion :
— Ah! parce que je ne suis pas parti. Seriez-vou.s
de ces naïfs qui croient que pour parler d'im fait, il
faut l'avoir vu. Mais, d'abord, comment un corres-
pondant aurait-il la prétention de voir une bataille
quand, le plus souvent, ceux-là même qui y assis-
tent ne la voient pas! Interrogez quinze témoins d'un
événement, ils vous le raconteront de quinze façons
différentes. Etant seul à l'imaginer, d'après mes
prévisions, j'ai déjà quatorze chances de moins d'ê-
tre trompé. Et puis, sur place on subit des influen-
ces dont il est plus facile de se dégager à distance...
N'est-il pas vrai? Autre raisou qui vous touchera.
Comment, diable, voudriez-vous, si je courais après
des corps d'armée, que mes correspondances vous
arrivent à heure fixe ! Le plus souvent mes lettres
se perdraient en route. Ce ne serait pas le compte
de vos abonnés qui veulent une pâture réglée. Il
leur faut tous les jours, à ces bons abonnés, une
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Vie et aventures de Césarin Joli-Coco (suite)
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)