L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

IS

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

16 Juillet 1876.

nouvelle à mettre sous la dent. Cette nouvelle ils la
veulent coûte que coûte; il n'y a pas à dire « non ».
Or, vous comprenez bien, que je l'invente là-bas ou

que je l'invente ici.....

Nous ne saurions dire à quel point nous étions
révolté d'un pareil cynisme.

— Ma lettre ne vous va pas, reprit tranquillement
notre correspondant turc en tirant une bouffée de
son narghilé. Peste ! vous êtes difficile. J'avais dé-
pensé pour vous une imagination !... Donnez-la
vite. Je sais un grand journal qui en fera ses choux
gras.

— Un grand journal ?

— Cela vous étonne ? Mais, mon cher monsieur,
c'est moi qui fournis tous les grands journaux. Vous
avez peut-être lu les détails de l'exécution d'Hassan
deux jours avant que cette exécution ait lieu.
C'était mon œuvre. Un vrai succès pour le journal
que j'ai favorisé de ce récit. A propos, j'avais oublié
de coller Hassan à la glace.

Il prit un petit bonhomme en papier découpé,
écrivit dessus « Hassan » et le colla à la glace la tête
en bas au moyen d'un pain à cacheter.

— Que faites-vous là?

— Je me mets en garde contre les erreurs. A me-
sure qu'il y a un exécuté par la justice ou autre-
ment, je le pends la tête en bas, pour me rappeler
qu'il n'a plus de rôle politique à jouer. Sans cela, au
milieu de ce fouillis d'hécatombes, je risquerais
constamment de faire tenir le dé de la conversation
par un individu mort depuis trois semaines.

Nous n'avions pu nous empêcher de sourire ; notre
correspondant turc crut nous avoir désarmé.

— Voyons, je veux être gentil pour vous, conti-
nua-t-il en riant. Voilà une entrevue secrète du prince
Milan avec Mourad V qui fera sensation à la Bourse.
La voulez-vous ?

Nous repoussâmes avec horreur la copie qui nous
était offerte.

— Préférez-vous le dernier mot du ministre des
finances en regardant la caisse?

— Non, non ! fimes-nous indigné.

Et, tandis que nous poussions la porte, cet odieux
reporter nous criait encore :

— Vous verrez que vous viendrez me revoir.
Le revoir, allons donc !

Nous sommes trop pénétré de l'amour de la vérité,
du respect de nos abonnés, pour jamais... Et cepen-
dant!...

Il est bien entendu que si nous recourions par
hasard aux services du fournisseur turco-serbe de la
grande presse, ce jour-là nous ne le dirions pas.

CASTAGNETTE.

CARNET DE LA SEMAINE

LES IMPASSIBLES

Les télégrammes pleuvent dru. Il en vient de tous
les côtés. Les uns, formidables ; les autres, grotes-
ques. Cette nuée de petits papiers bleus vient se
jeter d'elle-même dans la corbeille des agents de
change. Sous cette avalanche la cote oscille perpé-
tuellement. On dirait que le petit timbre télégra-
phique, dont la sonnerie ne s'arrête jamais, lui com-
munique son tremblement continu.

Grâce à ces variations, des fortunes subites s'élè-
vent ici, tandis que des millions s'évaporent à côté.
On pourrait rééditer aujourd'hui ce que l'on disait
déjà du temps de Law :

Lundi, j'achète une action;
Mardi, je gagne un million;
Mercredi, je perds ma fortune ;
Jeudi, ma chance est peu commune ;
Vendredi, je double mon capital;
Samedi... j'entre à l'hôpital!