L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

28

L'ÉCLIPSÉ,. REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

23 juillet 1876.

Pendant un mois, sur sa table de travail, que le
poète appelait autrefois rétabli aux rimes, on ne vit
que des manuels spéciaux : le Guide du parfait méca-
nicien, le Traité de chaudronnerie maritime, les ateliers
d'Indret, par Turgan.

Ce n'est pas tout, il alla trouver un grand usinier
de ses amis :

— Mon cher, lui dit-il, j'ai un service à vous de-
mander?

— Tout ce que vous voudrez.

— J'aurais besoin d'une recommandation puis-
sante...

— Auprès d'un ministre? auprès du maréchal ?

— Non. Auprès d'un contre-maitre.

On lui prêta un contre-maitre qui le mit au cou-
rant de certains détails pratiques, qui l'initia aux
secrets de la bielle et de l'excentrique, et qui, sans
s'en douter, lui fit savoir ce que c'était la vie d'ate-
lier.

Suffisamment préparé par ces lectures et ces répé-
titions, Alphonse Daudet alla enfin visiter la grande
usine d'Indret et le port de Saint-Nazaire ou Jack
passe une partie de son existence.

En procédant avec ce soin, cette scrupuleuse re-
cherche de l'exactitude, il faut deux ans pour faire
un volume par an, mais le volume une fois fait reste
toujours.

Il y a quelque temps, un train express, parti de la
gare du Nord, emmena deux mécaniciens sur sa
machine. Le premier était depuis longtemps titula-
risé par la compagnie. Le second débutait. Pendant
toute la journée, le nouveau étudia avec une atten-
tion soutenue la manœuvre et la machine, et écouta
les instructions de son ancien, dont il conquit tout
à fait les bonnes grâces.

Arrivé au terme du voyage, le vieux mécanicien
dit à son acolyte :

— Mon garçon, tu es très-intelligent. Quand tu es
arrivé ce matin avec tes mains blanches, je me suis
méfié; mais je t'ai vu à l'œuvre et je suis sur main-
tenant que tu feras un excellent mécanicien.

— Je ne crois pas, répondit en riant l'apprenti, qui

n'était autre que JulesGlaretie, auteurdu Train n° 17,
publié en ce moment dans le Siècle.

Il est inutile de dire combien le procédé des ro-
manciers contemporains, qui consiste à tout faire
d'après nature, est supérieur à celui de leurs devan-
ciers qui traitaient tout de chic. Les deux siècles
qui ont passé sur le vers de Boileau n'ont fait que
lui donner plus de force :

Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.

Aussi maintenant tous les écrivains sérieux imi-
tent les peintres et vont du côté où leurs travaux
les entraînent : les uns, vers les boulevards exté-
rieurs ; les autres, vers l'usine ; d'autres encore dans
le monde élégant.

Heureux ceux à qui la fantaisie impose un sujet
qui se passe dans des milieux sains, agréables ou
pittoresques.

Jules Verne est de ces privilégiés. L'auteur du
Voyage autour de la lune n'a pas exploré le ciel que je
sache,-si ce n'est à travers un télescope; mais pour
faire son beau livre de Vingt mille lieues sous les mers,
il s'est acheté un magnifique yacht, le Saint-Michel,
qui était l'autre semaine dans les eaux du Crotoy.
(J'est en fréquentant la mer, en courant des bordées
sur l'Océan et dans la Manche, en commandant son
bâtiment que l'écrivain a appris tous les termes
techniques, et s'est renseigné vu la plupart des
merveilles maritimes qui rendent ses ouvrages si
attrayants.

_ G. Z.

PENSÉES

Il existe toujours au moins un être chez lequel le
plus austère moraliste n'est pas loin de trouver le
vice aimable.

Rien ne semble plus ridicule dès que l'usage l'a
consacré.