23 Juillet 1876.
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
27
— Le Sénat, disait hier quelqu'un, votera probable-
ment le projet de loi qui enlève la collation des gra-
des aux universités catholiques.
— Ah ! tantmieux, dit un affreux voltairien qui ne
respecte pas plus la langue que la foi de ses pères ;
cela signifie sans doute que le clergé ne pourra pas
coller des grades à qui bon lui semblerait!
eatapoil.
CARNET PARISIEN
les romanciers
Il n'y a pas bien longtemps que je rencontrai dans
le parc Monceaux un romancier — que je ne nom-
merai pas. Il paraissait très-absorbé dans la contem-
plation des magnifiques hôtels qui bordent le jardin.
Son regard perçant interrogeait les façades, pénétrait
par les croisées ouvertes dans les appartements, dé-
couvrant çà et là un bout de corniche dorée, une
tenture précieuse, un coin de meuble.
— Que faites-vous là ? lui demandai-je.
— J'étudie le grand monde.
Cette façon d'étudier la société à travers des mu-
railles en pierre de taille me parut, je l'avoue, plus
que superficielles je et m'expliquai pourquoi dans les
peintures que cet écrivain a faites de la société, il
s'est si rarement rencontré avec la vérité.
Tous les romanciers ne sont pas comme celui-là,
et je pourrais citer parmi les bons auteurs d'aujour-
d'hui bien des observateurs consciencieux qui abor-
dent franchement les mondes qu'ils veulent dé-
crire.
Cela n'est pas toujours drôle.
Par exemple, M. de Goncourt, le maître des réalis-
tes, prépare en ce moment un grand roman de
mœurs. Son héroïne est une femme perdue, une de
ces malheureuses marchandes d'amour que l'Etat,
par respect pour la morale publique, parque dans de
grandes maisons mystérieuses, aux volets clos, sou-
mises à une surveillance incessante. Pour suivre
dans son existence tourmentée, râpée, abjecte, la
fille Elisa, on s'imagine quels endroits M. de Gon-
court a dû parcourir. Il a fallu qu'il se montrât dans
les bals-musettes des boulevards extérieurs, qu'il
frôlât les pierreuses immondes, les gentilshommes
de-haute et de basse marée, qu'il assistât à toutes les
scènes caractéristiques de ce monde malsain, aux
batailles sur le trottoir, aux raccommodements hideux
qui se font autour des bols de vin chaud, aux exi-
gences de l'amant, aux révoltes de la femme battue,
dépouillée et trop heureuse encore de ne pas perdre
un esclavage qui est, malgré tout, le seul rayonne-
ment de sa vie misérable.
M. de Goncourt a courageusement remué toutes
ces boues. Il n'a' pas craint, par amour de la vérité,
de fréquenter les pires espèces d'hommes et de fem-
mes, de provoquer leurs confidences. Son livre sera
certainement une œuvre dans le beau sens du mot.
Mais en attendant, ses études l'ont exposé à une de
ces mésaventures piquantes que les hasards de la
vie parisienne peuvent seuls amener.
Le romancier se promenait dernièrement avec une
femme du meilleur monde et du meilleur ton ; il
causait avec enthousiasme des plus jolies choses du
xviii0 siècle, qu'il connaît et qu'il apprécie en artiste
et en collectionneur.
Tout à coup, un épouvantable voyou, crasseux,
glaireux, nauséabond, l'arrête et lui dit avec cet ac-
cent que l'on devine :
— Dis donc, eh, gonse ! c'est donc parce que t'as
fait fortune que tu ne salues plus les camaros.
Payes-tu un litre avec la petite mère?
Jack, le dernier roman publié par Alphonse Daudet
est basé sur une histoire vraie dont il a été témoin.
Bien que les grandes lignes de son livre lui eussent
été fournies par la vie même d'un pauvre diable,
l'écrivain dut, pour raconter les détails de cette
existence d'ouvrier, faire des études toutes nouvel-
les pour lui.
VIE ET AVENTURES DE CÉSARIN JOLI-COCO (Suite).
L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE
27
— Le Sénat, disait hier quelqu'un, votera probable-
ment le projet de loi qui enlève la collation des gra-
des aux universités catholiques.
— Ah ! tantmieux, dit un affreux voltairien qui ne
respecte pas plus la langue que la foi de ses pères ;
cela signifie sans doute que le clergé ne pourra pas
coller des grades à qui bon lui semblerait!
eatapoil.
CARNET PARISIEN
les romanciers
Il n'y a pas bien longtemps que je rencontrai dans
le parc Monceaux un romancier — que je ne nom-
merai pas. Il paraissait très-absorbé dans la contem-
plation des magnifiques hôtels qui bordent le jardin.
Son regard perçant interrogeait les façades, pénétrait
par les croisées ouvertes dans les appartements, dé-
couvrant çà et là un bout de corniche dorée, une
tenture précieuse, un coin de meuble.
— Que faites-vous là ? lui demandai-je.
— J'étudie le grand monde.
Cette façon d'étudier la société à travers des mu-
railles en pierre de taille me parut, je l'avoue, plus
que superficielles je et m'expliquai pourquoi dans les
peintures que cet écrivain a faites de la société, il
s'est si rarement rencontré avec la vérité.
Tous les romanciers ne sont pas comme celui-là,
et je pourrais citer parmi les bons auteurs d'aujour-
d'hui bien des observateurs consciencieux qui abor-
dent franchement les mondes qu'ils veulent dé-
crire.
Cela n'est pas toujours drôle.
Par exemple, M. de Goncourt, le maître des réalis-
tes, prépare en ce moment un grand roman de
mœurs. Son héroïne est une femme perdue, une de
ces malheureuses marchandes d'amour que l'Etat,
par respect pour la morale publique, parque dans de
grandes maisons mystérieuses, aux volets clos, sou-
mises à une surveillance incessante. Pour suivre
dans son existence tourmentée, râpée, abjecte, la
fille Elisa, on s'imagine quels endroits M. de Gon-
court a dû parcourir. Il a fallu qu'il se montrât dans
les bals-musettes des boulevards extérieurs, qu'il
frôlât les pierreuses immondes, les gentilshommes
de-haute et de basse marée, qu'il assistât à toutes les
scènes caractéristiques de ce monde malsain, aux
batailles sur le trottoir, aux raccommodements hideux
qui se font autour des bols de vin chaud, aux exi-
gences de l'amant, aux révoltes de la femme battue,
dépouillée et trop heureuse encore de ne pas perdre
un esclavage qui est, malgré tout, le seul rayonne-
ment de sa vie misérable.
M. de Goncourt a courageusement remué toutes
ces boues. Il n'a' pas craint, par amour de la vérité,
de fréquenter les pires espèces d'hommes et de fem-
mes, de provoquer leurs confidences. Son livre sera
certainement une œuvre dans le beau sens du mot.
Mais en attendant, ses études l'ont exposé à une de
ces mésaventures piquantes que les hasards de la
vie parisienne peuvent seuls amener.
Le romancier se promenait dernièrement avec une
femme du meilleur monde et du meilleur ton ; il
causait avec enthousiasme des plus jolies choses du
xviii0 siècle, qu'il connaît et qu'il apprécie en artiste
et en collectionneur.
Tout à coup, un épouvantable voyou, crasseux,
glaireux, nauséabond, l'arrête et lui dit avec cet ac-
cent que l'on devine :
— Dis donc, eh, gonse ! c'est donc parce que t'as
fait fortune que tu ne salues plus les camaros.
Payes-tu un litre avec la petite mère?
Jack, le dernier roman publié par Alphonse Daudet
est basé sur une histoire vraie dont il a été témoin.
Bien que les grandes lignes de son livre lui eussent
été fournies par la vie même d'un pauvre diable,
l'écrivain dut, pour raconter les détails de cette
existence d'ouvrier, faire des études toutes nouvel-
les pour lui.
VIE ET AVENTURES DE CÉSARIN JOLI-COCO (Suite).
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Vie et aventures de Césarin Joli-Coco (suite)
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
Public Domain Mark 1.0
Creditline
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré, 9.1876, S. 27_027
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg