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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 9.1876

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https://doi.org/10.11588/diglit.6770#0134
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L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE

23 Juillet 1876.

LE TRIOMPHE DU CRIME

Au moment où les théâtres, abandoncés, déser-
tés, ressemblent à des fours trop chauffes dans les-
quels les petits pains n'osent se risquer, le Palais de
Justice ne désemplit pas.

Les matinées de la Cour d'assises font aux mati-
nées dramatiques une concurrence sinon déloyale,
au moins redoutable. Dans la grande salle neuve et
toute dorée où siègent les juges en robe rouge au-
dessous du Christ sanguinolent deBonnat, la foule
s'entasse et se congestionne avec une ardeur sans
pareille, chaque fois qu'une cause quelque peu inté-
ressante figure au programme.

A n'en pas douter, la vogue est à ces représenta-
tions uniques, et si, obéissant au vœu du critique
éminent qui répond au nom de Francisque Sarcey,
nos directeurs de théâtre avancent l'heure du spec-
tacle, nul doute qu'à certains jours les premières du
crime ne l'emportent absolument sur nos premières
à sensation du boulevard.

Tout au moins faudra-t-il tenir compte de ces
fêtes de la justice, chaque fois qu'on lancera une
pièce nouvelle. De même que le directeur des
Bouffas s'arrange de façon à ne point faire jouer
son opérette en même temps que celle des Variétés,
ainsi le Directeur de la Porte-Saint-Martin sera sans
doute prochainement dans la nécessité d'aller con-
sulter les rôles au greffe afin de ne point reprendre
les Deux Orphelines le jour où un assassin un peu
convenable comparaîtra devant les jurés.

Le public parisien porte en effet à messieurs les
gredins, les filous et les coquins un intérêt particu-
lier ; sa curiosité malsaine augmente de jour en
jour. Ainsi les Romains de la décadence en vinrent
peu à peu à ne plus trouver de plaisir que dans les
égorgements du cirque ou les repas des bêtes
fauves.

Nous glissons certainement sur cette pente.

A quoi faut-il attribuer cela?

Est-ce aux comptes rendus de plus en plus palpi-
tan ts ues reporters de tribunaux ?

Est-ce au peu de vraisemblance de nos drames
modernes et à l'imagination insuffisante de leurs
auteurs?

Je ne sais. Mais je puis affirmer et constater, sans
crainte d'être contredit, que durant cette semaine
dernière, où tant d'événements divers et importants
se sont produits et à l'extérieur et à l'intérieur,
l'opinion publique a surtout été préoccupée de l'as-
sassin Gervais.

A peine pendant un jour les habitués des causes
célèbres ont-ils abandonné ce héros pour aller, dans
l'espoir de recueillir des révélations scandaleuses,
prendre à la huitième chambre la place qui aurait
dû être réservée aux amis de M. Rouvier, à ceux qui.
n'ayant point douté de lui, avaient vraiment besoin
d'être là pour voir éclater son innocence.

Par bonheur, nos magistrats tiennent aux tradi-
tions, et M. Dufaure prétend qu'on respecte l'appa-
reil sévère de leur justice.

Si ces messieurs étaient accessibles au désir de
populariser les séances du Palais, il leur serait en
vérité aisé de réunir un nombre considérable de
spectateurs.

Il leur suffirait de faire agrandir les salles. Puis, à
l'aide d'un décor et de quelques mimes, on repré-
senterait les circonstances diverses du crime. Un
peu de musique par là-dessus, et VAmbigu serait
enfoncé. Trente mille personnes feraient queue dès
le matin sur la place Dauphine.

Je dis là des choses absolument invraisemblables
qui ressemblent presque à des bêtises. Qui sait?

Que si j'envisage le côté pratique de la question,
j'en arrive à conclure ceci :

Si j'étais un assassin ou un grand voleur, si les
hasards de mon éducation, la disposition particu-
lière de mes cellules cérébrales, m'avaient inspiré la
vocation et voué à ce métier qui consiste à exploiter
ses semblables et à les tailler à merci, je tâcherais
au moins de tirer de ma profession le plus de profit
possible.

Etant donné que je deviendrais pour les habitués
des causes criminelles un personnage intéressant, je
monterais une troupe et je donnerais des représen-
tations en province.

Je ferais distribuer par des hommes sûrs à ce pu-
blic interlope, ou si vous voulez mélangé, qui assiste
aux séances du tribunal comme, à une réjouissance,
de petits prospectus ainsi rédigés :
« Mesdames, Messieurs,

« Monsieur X..., assassin et voleur, directeur de la
bande des Etrangleurs de perroquets sur le zinc, a
l'honneur de vous prévenir qu'il compte commencer
prochainement une tournée dans les départements
du Midi.

« Sa troupe est composée d'hommes habiles et
expérimentés, de femmes jeunes et belles, ne recu-
lant devant aucune entreprise.

« Le départ est fixé à lundi prochain. Le signe de
ralliement est un numéro de l'Univers à la main.
Ce déguisement est destiné à nous faire passer pour
des pèlerins.

« Nos clients voudront bien acheter un numéro de
la Gazette de France, qu'ils porteront, déplié, sous le
bras.

« Nous commencerons nos opérations dès le len-
demain de notre arrivée.
« Voici nos prix, payables d'avance :
ci Pour assister à un assassinat, en forêt, la nuit,
500 fr.

« Pour assister à un assassinat en forêt, le jour,
800 fr.

« Pour un vol, avec escalade, la nuit, 300 fr.

« Pour un détroussement, le jour, 200 fr.

« On peut traiter à forfait pour plusieurs affaires.
Célérité, prudence, discrétion. »

J'obtiendrais, j'en suis certain, un succès véri-
table et sans courirplus de risques que mes confrères.
Je pourrais espérer, en outre, m'enrichir prompte-
ment.

Gageons que quelque brigand intelligent profitera
de mon idée.

HASSAN.
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