L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré (9.1876)

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE 10 Décembre 1876.

LE DEJEUNER DE PAULUS

Paulus et Pamphile étaient deux amis.

Paulus avait du linge blanc, des Lottes vernies,
une jaquette neuve et des breloques. Il tenait à la
main un jonc, portait un monocle, gantait sept,
parlait très-haut, marchait fort droit, prenait le men-
ton aux fillettes, et, en souvenir de la régence, di-
sait très-bien à son domestique :

— Or çà, faquin, avance ici.

Pamphile avait des vêtements élimés et des bottes
trouées. Un castor usé recouvrait sa tète inculte. Sa
démarche était gauche, embarrassée. Paulus s'arrê-
tait, il s'arrêtait. Paulus riait, il riait aussi. Paulus
criait en parlant d'un confrère : « Cet homme estun
sot ! » et Pamphile reprenait d'un ton grave : «C'est
un sot ! »

Tous les deux entrèrent un matin dans un res-
taurant et s'assirent à une table, en face l'un de
l'autre.

— As-tu déjeuné 1 dit Paulus avec indifférence.
Pamphile répondit d'une voix timide :

— Mon Dieu... je... j'ai... Oui... je mange chez
moi... le matin... de très-bonne heure.

Il était midi. Paulus n'insista pas et appela le
garçon.

— Tous allez me servir, dit-il, un filet aux pom-
mes mi-cuit ; vous entendez, mi-cuit. Ensuite, vous
me commanderez un beignet aux fraises. Mais,
comprenez-moi bien, je veux, je veux un beignet lé-
ger, soufflé, une ombre de beignet, une apparence
de beignet. Je vous le recommande particulière-
ment. Dites au chef de déployer tout son talent ; il
est nécessaire pour mener à bien cette délicate
friandise.

Quelques minutes après, le garçon servit le filet.
Paulus se mit à manger, Pamphile à regarder.

Paulus était gai, souriant, plein de verve et d'en-
train. Un rayon de soleil éclairait sa figure épanouie.
Il buvait souvent et à petits coups.

— Le filet, disait-il tout en mangeant et en regar-
dant Pamphile, est mon mets de prédilection; seule-
ment, comme je le disais tout à l'heure, je ne le
comprends que mi-cuit. Cette opinion, que j'ai sou-
tenue toutemavie, je la souticndraijusqu'à mamort.
Manger le filet comme les Anglais est une erreur :
le dévorer comme les Espagnols, une folie ; cru, il
perd une partie de sa saveur; trop cuit, il n'en con-
serve aucune ; mi-cuit, voilà la vérité. Du reste, je
dois le dire, celui-ci est excellent: il est tendre sans
être filandreux, saignant sans exagération. A la
tienne, mon vieux Pamphile !

Pamphile regardait, approuvait, souriait. On servit
le beignet aux fraises.

— Le beignet aux fraises, reprit alors Paulus, est
d'origine romaine. Lucullus, qui l'avait longuement
médité, te trouva un jour en faisant des confitures.
Mais l'honneur de l'avoir perfectionné revient de
droit à Brillât-Savarin.

Ici Paulus se découvrit, puis il continua :

— Ce serait une faute impardonnable, mon vieux
Pamphile, que de piler la fraise dans la pâte ; il faut
autant que possible, conserver le fruit intact. Mais
si jamais tu fais des beignets aux fraises (tu me dis
que tu manges le matin chez toi), retiens bien ceci:
il ne faut pas que la fraise soit trop mûre; il faut,
surtout qu'elle soit petite. La grosse fraise de laplu-
part de nos jardins potagers est fade, insipide, sans
parfum. Seuls les vandales la doivent manger. La
petite fraise, au contraire, est pleine d'une saveur
exquise ; elle seule peut satisfaire aux exigences
d'un palais exercé. Allons, il n'y a rien à dire, ce

CE PAUVRE MONSIEUR CORNARD

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— Qu'il est doux de rentrer enfin chez soi | et de causer une surprise à sa petite femme qui ne vous attend pas si tut. | Silence et soupçons.