L'ECLIPSE, REVUE

COMIQUE ILLUSTRÉE

16 Juillet 1876.

M. CHARLES LEPÈRE

Si l'on vous demande qui est M. Charles Lepère,
vous répondrez que c'est un député de l'Yonne, qui
pst président de l'Union républicaine, vice-président
de la Chambre ; que c'est un homme de cœur, un
homme d'esprit et l'un des orateurs les plus natu-
rellement éloquents et habiles qu'on ait entendus
depuis longtemps dans nos Assemblées. M. Lepère
date de 1871. C'est un homme nouveau et c'est un
homme heureux, si le bonheur consiste à servir avec
éclat son parti et son pays, à être redouté de ses
adversaires, ai-
mé de ses amis,
estimé par tous.

M. Lepère est
de taille moyen-
ne; la tête, atta-
chée à de solides .
épaules, est for-
te et fine à la
fois. Le front
haut et décou-
vert est illumi-
né par des yeux
grands, doux et
vifs, toujours en
éveil, narquois
etbienveillants;
le nez est inter-
rogateur;^ bou-
che, petite et
ironique, sem-
ble faite pour
décocher les
traits malicieux
et les réparties
spirituelles; le
menton, vigou-
reusement mo-
delé, marque la
ténacité et la
hardiesse. La
voix est tlexible,
pleine et sonore,
le timbre en est
charmant, et si
l'on pouvait par-
ler des orateurs comme des ténors, nous dirions
qu'elle est tout à fait agréable dans le médium.

A la dernière Assemblée, M. Lepère s'était fait une
réputation à part. Doué d'une présence d'esprit rare,
il était l'homme des répliques soudaines, des inter-
ventions inattendues et décisives. Assis sur le der-
nier banc de l'extrême gauche, comme un lieutenant
vigilant posté sur le flanc des troupes, on le voyait
suivre les péripéties de la bataille. Puis, quand la
mêlée était devenue confuse, que la fumée obscur-
cissait la vue des soldats les plus aguerris, soudain
il demandait la parole et apparaissait à la tribune.

Grand Dieu, rends-nous le jour ou combats contre nous!

Quand les amis de M. Lepère, aveuglés par le tohu-
bohu parlementaire, en étaient réduits à pousser ce

LHOMME DU JOUR

cri fameux, c'est lui qui faisait pour eux l'office du
Deus ex machiné et qui leur apportait la victoire avec
le jour et la clarté.

Quand votre mère, assise à son métier, brodait des
pantoufles pour votre père, vous avez vu souvent,
cher lecteur, s'embrouiller l'écheveau de soie et
l'écheveau de laine. Alors c'était à qui s'empresse-
rait pour débrouiller l'inextricable trame. Presque
toujours vos mains inexpérimentées ne faisaient
que mêler davantage les fils récalcitrants. Mais une
petite cousine, aux doigts fuselés, se trouvait là
qui, riant de votre maladresse, les dénouait comme
par enchantement. En politique, dans les discus-
sions des Cham-
bres, il y a sou-
vent aussi des
écheveaux qui
s'embrouillent.
Chacun y veut
mettre la main,
dire son mot,
« élucider la
question » , et
quand tout le
monde a beau-
coup parlé, dé-
fini, résumé,
distingué, la
question est
plus obscure
qu'auparavant,
et personne ne
s'y retrouve
plus. C'est alors
que la petite
cousine se mon-
tre etque M. Le-
père prend la
parole. Il saisit
délicatement le
fil, et. devant
l'auditoire char-
mé, le nœud se
délie soudain et
l'on peut con-
tinuer le travail
interrompu.

Si jamais l'é-
cheveau de la

Képublique s'embrouille, s'il y a quelqujjourun nœud
dans les rapports'du Sénat et de la Chambre,on peut
faire appel à sa dextérité. C'est un opérateur sans
pareil. Sa devise est : « N'arrachez pas : dénouez. »

L. R.

FABLE COUP DE POING

COMMENT IL FAUT PLACER SES FONDS

Ferme ton coffre-fort à double et triple gâche
Devant tous ces changeurs qui guignent ton butin,
Mets ton argent en prés — c'est d'un rapport certain.

MORALITÉ

Il n'est rien d'aussi sûr que le plancher des vaches.

H. B.