28 Janvier 187'
L'ECLIPSE REVUE COMIQUE ILLUSTREE
243
— Non, je dis « chère amie, » sans aucune inten-
tion. Vous connaissez mes idées, et je dis la vérité
assez brutalement, à la façon des médecins.
— Pas tous.
— Il y en a.
— A quoi bon? Cela ne guérit pas les malades, au
contraire. En fait de santé, comme en amour, le
meilleur est de garder ses illusions, si on ne gagne
rien à les perdre.
— Tu parles comme ce monsieur qui c!ait fou et
qui reprochait à son docteur de lui avoir rendu la
raison.
— Sans doute.
— D'ailleurs, il n'y a pas que mon opinion contre
le monde. Paul-Louis en dit bien d'autres.
— Paul-Louis... Qui?...
— Paul-Louis Courier.
— Je n'en ai jamais entendu parler.
— Enfin, notre ami Maurice n'est pas un Othello,
n'est-ce pas? Eh bien, il te dira franchement que
sa femme ne se décollette pas et n'a jamais valsé.
— Ceci est une affaire d'habitude. Dans le monde,
une femme trouve aussi naturel d'avoir les épaules
et les bras nus que d'avoir les mains'gantées. A Saint-
Ajoye, on dine en famille, les femmes décolletées et
les hommes en habit... Qu'avez-vous encore à dire
contre le bal de ce soir?
— C'est à peine si j't.i trouvé un moment pour fu-
mer un cigare.
— Je n'en crois pas un mot. Vous êtes resté pour
voir si quelqu'un me ferait l'aumône d'un pauvre
compliment. Eh bien, personne ne m'en a fait.
— Est-ce ma faute ?
—Non,cela tient plutôt à mon âge... Je commence
à m'apercevoir que je suis une femme respectable.
— Voyons, Clarisse, vous avez trente-deux ans.
— Sonnés à toutes les horloges.
(Elle jette sa sortie de bal à la volée.)
— On ne songe guère à me faire la cour...
— Pourquoi n'encourages-tu pas un peu mon-
sieur...
— Monsieur qui ?
— Choisis.
— De qui parlez-vous?
— D'Adhémar, mon ancien collègue. Il ne deman-
derait pas mieux que de soupirer de plus près.
— Il soupire donc de bien loin?
— En peu pour toutes les femmes, je crois.
— Vous êtes gracieux de me donner la préfé-
rence. D'ailleurs, l'expérience est finie, et j'en fais
mon deuil.
— Vous déraisonnez.
— Non, c'est ainsi. Ce n'est certes pas vous qui
soupireriez de loin pour une femme de mon âge.
— Bon ! est-ce que je suis un homme à bonnes
fortunes à présent ?
— Ne faites donc pas de modestie ! Je ne dis pas
que vous ravagez le monde, mais ce n'est pas l'envie
qui vous en manque. Si vous aviez un peu de fran-
chise, vous avoueriez que vous n'êtes pas allé au
bal seulement pour me distraire.
— Eh bien, interrogez-moi directement, je vous
répondrai.
— Je n'ai pas besoin de vous interroger, et je
connais d'avance les réponses que vous pourrez me
faire. Je sais ce que je dois penser.
— Vous conviendrez que c'est assez vague.
— Ce qui l'est moins, c'est votre belle passion
pour Mmo d'Argine. Ah! par exemple, voilà ce qui
peut s'appeler une adoration perpétuelle.
— Dans tous les cas elle est bien platonique.
— Eh bien, je suis jalouse à ma manière, moi. J'ai
peut-être tort de vous le dire, mais je veux être plus
franche que vous. Je crois qu'une femme pardonne-
LE BARON DE SAINT-SIVRAC (suite)
Lorsque enfin Mariette descendit de son nuage, Mais, seul le bateau voguait sur l'onde tran-
site se rappela tout à coup son jeune maître. quille.
De descendant des Croisés, point!
L'ECLIPSE REVUE COMIQUE ILLUSTREE
243
— Non, je dis « chère amie, » sans aucune inten-
tion. Vous connaissez mes idées, et je dis la vérité
assez brutalement, à la façon des médecins.
— Pas tous.
— Il y en a.
— A quoi bon? Cela ne guérit pas les malades, au
contraire. En fait de santé, comme en amour, le
meilleur est de garder ses illusions, si on ne gagne
rien à les perdre.
— Tu parles comme ce monsieur qui c!ait fou et
qui reprochait à son docteur de lui avoir rendu la
raison.
— Sans doute.
— D'ailleurs, il n'y a pas que mon opinion contre
le monde. Paul-Louis en dit bien d'autres.
— Paul-Louis... Qui?...
— Paul-Louis Courier.
— Je n'en ai jamais entendu parler.
— Enfin, notre ami Maurice n'est pas un Othello,
n'est-ce pas? Eh bien, il te dira franchement que
sa femme ne se décollette pas et n'a jamais valsé.
— Ceci est une affaire d'habitude. Dans le monde,
une femme trouve aussi naturel d'avoir les épaules
et les bras nus que d'avoir les mains'gantées. A Saint-
Ajoye, on dine en famille, les femmes décolletées et
les hommes en habit... Qu'avez-vous encore à dire
contre le bal de ce soir?
— C'est à peine si j't.i trouvé un moment pour fu-
mer un cigare.
— Je n'en crois pas un mot. Vous êtes resté pour
voir si quelqu'un me ferait l'aumône d'un pauvre
compliment. Eh bien, personne ne m'en a fait.
— Est-ce ma faute ?
—Non,cela tient plutôt à mon âge... Je commence
à m'apercevoir que je suis une femme respectable.
— Voyons, Clarisse, vous avez trente-deux ans.
— Sonnés à toutes les horloges.
(Elle jette sa sortie de bal à la volée.)
— On ne songe guère à me faire la cour...
— Pourquoi n'encourages-tu pas un peu mon-
sieur...
— Monsieur qui ?
— Choisis.
— De qui parlez-vous?
— D'Adhémar, mon ancien collègue. Il ne deman-
derait pas mieux que de soupirer de plus près.
— Il soupire donc de bien loin?
— En peu pour toutes les femmes, je crois.
— Vous êtes gracieux de me donner la préfé-
rence. D'ailleurs, l'expérience est finie, et j'en fais
mon deuil.
— Vous déraisonnez.
— Non, c'est ainsi. Ce n'est certes pas vous qui
soupireriez de loin pour une femme de mon âge.
— Bon ! est-ce que je suis un homme à bonnes
fortunes à présent ?
— Ne faites donc pas de modestie ! Je ne dis pas
que vous ravagez le monde, mais ce n'est pas l'envie
qui vous en manque. Si vous aviez un peu de fran-
chise, vous avoueriez que vous n'êtes pas allé au
bal seulement pour me distraire.
— Eh bien, interrogez-moi directement, je vous
répondrai.
— Je n'ai pas besoin de vous interroger, et je
connais d'avance les réponses que vous pourrez me
faire. Je sais ce que je dois penser.
— Vous conviendrez que c'est assez vague.
— Ce qui l'est moins, c'est votre belle passion
pour Mmo d'Argine. Ah! par exemple, voilà ce qui
peut s'appeler une adoration perpétuelle.
— Dans tous les cas elle est bien platonique.
— Eh bien, je suis jalouse à ma manière, moi. J'ai
peut-être tort de vous le dire, mais je veux être plus
franche que vous. Je crois qu'une femme pardonne-
LE BARON DE SAINT-SIVRAC (suite)
Lorsque enfin Mariette descendit de son nuage, Mais, seul le bateau voguait sur l'onde tran-
site se rappela tout à coup son jeune maître. quille.
De descendant des Croisés, point!
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le Baron de Saint-Sivrac (suite)
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
S 25 / T 6
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)