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L' Eclipse: journal hebdomadaire politique, satirique et illustré — 10.1877

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https://doi.org/10.11588/diglit.6772#0312
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HO

L'ÉCLIPSÉ, REVUE COMIQUE ILLUSTRÉE 30 Septembre im.

LA FEMME QUI RENTRE

PRÉFACE.

On a écrit le portrait de la femme qui sort : à no-
tre tour d'esquisser celui de la femme qui ren-
tre.

Faut-il avertir le lecteur qu'il serait inutile de
chercher dans le dictionnaire la signification du mot
rentrer, telle que nous l'employons ici ?

I

Toute femme qui sort devient fatalement une
femme qui rentre.

■ Mais une femme qui rentre n'a pas été forcément
une femme qui sort. Il est possible qu'elle ait réel-
lement quitté sa maison pour aller faire une visite,
une promenade, des emplettes; pour distribuer des
aumônes, aller à confesse, etc. Une circonstance
imprévue a pu survenir qui l'a détournée de son
but et conduite là où elle n'avait pas dessein d'aller;
de sorte qu'au moment où elle franchit de nouveau
le seuil de sa porte elle n'est plus qu'une femme
qui rentre.

II

Rien, au premier abord, ne distingue la femme
qui rentre de la femme qui sort, ni même de la pre-
mière femme venue. Et pourtant quelles différences
s'offrent aux remarques de l'observateur! La toilette
a je ne sais quelle affectation de régularité et de sy-
métrie inaccoutumées; la démarche est alanguie, et
le regard paraît noyé dans l'humide radical ; l'al-
lure, triomphante et décidée en allant, est, au re-
tour, plus hésitante et plus concentrée : le papillon
vient de refermer ses ailes après s'être ébattu au so-
leil.

III

Qu elque temps qu'ait duré son absence, elle n'est
jamais pressée de rentrer, ou du moins agit comme
si elle ne l'était pas. Elle prend volontiers par les
boulevards; elle s'arrête aux devantures des maga-
sins de mode et de bijouterie; elle s'attarde à gri-
gnoter des gâteaux Chez Julien. Si elle rencontre
une amie, elle échange rapidement deux ou trois
mots avec elle, et s'interrompt tout d'un coup pour
s'écrier :

— Ah ! mon Dieu, il faut que je me dépêche de
rentrer; voilà une heure que je suis à bavarder!...

On dirait qu'elle tient à être vue dans les endroits
publics : — voudrait-elle se ménager un alibi?

IV

La femme qui rentre prend toujours par l'extré-
mité de la rue opposée à celle d'où elle vient réelle-
ment.

Y

Rarement elle revient en voiture : lorsqu'elle en
a pris une dans un quartier éloigné du sien, elle a
soin de la quitter avant d'arriver chez elle.

La femme qui a voiture à elle ne s'en sert jamais
pour rentrer. Ou bien elle sera sortie à pied, ou elle
aura dit à son cocher :

— Jean, vous pouvez retourner à l'hôtel : il fait
beau; j'achèverai mes courses en me promenant.

VI

Au moment de s'engager dans sa maison, la
femme qui rentre jette un rapide regard derrière
elle, comme un adieu que quelqu'un pourrait aper-
cevoir. Puis elle revient à elle, reprend sa gaieté,
et, heureuse comme un écolier qui vient de faire
l'école buissonnière, légère comme un oiseau, elle
s'élance dans sa cage, d'où elle sait bien qu'elle res-
sortira demain.

VII

Elle a la gaieté bruyante, non qu'elle ait du plai-
sir à rentrer, mais parce qu'elle est heureuse d'être
sortie. Elle est évaporée comme une pensionnaire;
elle dit familièrement bonjour à la concierge et s'in-
forme des progrès de sa fille sur le piano. Elle
demande à la cuisinière si le dîner est prêt, si mon-
sieur est rentré; à sa femme de chambre, s'il n'est
venu personne. Elle se plaint d'être fatiguée : elle a
tant couru! Tout cela vivement, avec de menus
mouvements et de gentilles façons, comme une
alouette qui trottine dans le sillon et dit bonjour au
printemps. Elle parle pour parler, babillant à propos
de tout et à propos de rien... Aurait-elle besoin de
s'étourdir?

VIII

La femme qui arrive devant sa porte en fiacre,
en grande toilette aux couleurs éclatantes, qui tire
sa montre pour faire voir l'heure au cocher, ergote
avec celui-ci sur une différence de quelques minutes,
et finalement lui donne quatre sous de pourboire pour
deux heures de courses, — n'est jamais une femme
qui rentre.
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