aussi permanente que le cercle des jours, les alternances des saisons,
l’immense oscillation du ciel.
L’immobilité de ce sol, de ce peuple dont la vie monotone cons-
titue les trois quarts de l’aventure humaine, semble avoir voulu tenir
dans les lignes de pierre inflexibles qui nous les définissaient avant
même que nous connussions leur histoire. Tout dure autour des Pyra-
mides. Des Cataractes au Delta, le Nil est seul entre deux rives iden-
tiques, sans un courant, sans un affluent, sans un remous, poussant
du fond des siècles sa régulière masse d’eau. Des champs d’orge, de
blé, de maïs, des palmeraies, des sycomores. Un impitoyable ciel
bleu, d’où le feu coule incessamment en nappes, presque sombre
aux heures du jour où l’œil peut le regarder sans souffrance, plus
clair la nuit, quand la marée montante des étoiles y répand sa lueur.
Des vents torrides montent des sables, la lumière où vibre l’air chaud
découpe les ombres sur le sol, et les couleurs inaltérables, indigos,
rouges cuits, jaunes sulfureux, liquéfiées en métal par les crépuscules
de flamme, n’ont que le voile transparent des verts et des ors des cul-
tures qui changent périodiquement. Un silence où les voix hésitent,
comme si elles craignaient de briser des murs de cristal. Au delà de
ces six cents lieues de vie fixe et puissante, le désert, sans autre limite
visible que ce cercle absolu qui est aussi l’horizon des mers.
Le désir d’y chercher et d’y façonner l’éternité s’y impose à l’es-
prit d’autant plus despotiquement que la nature retarde la mort elle-
même dans ses actes nécessaires de transformation et de refonte.
Le granit ne s’entame pas. Il y a sous le sol des forêts pétrifiées.
Dans cet air sec, le bois abandonné garde des siècles ses fibres vivantes,
les cadavres se dessèchent sans pourrir. L’inondation du Nil, maître
de la contrée, y symbolise tous les ans les résurrections perpétuelles.
Sa venue et sa décroissance sont aussi régulières que la marche appa-
rente d’Osiris, l’éternel soleil, qui chaque matin sort des eaux et
chaque soir disparaît dans les sables. Du 10 juin au 7 octobre il verse
aux campagnes calcinées le même limon noir, le limon gras, le limon
père de la vie.
Le peuple égyptien n’a pas cessé de regarder la mort. Il a donné
le spectacle sans précédent, et sans lendemain, d’une race acharnée
pendant quatre-vingts siècles à arrêter le mouvement universel. Il a
cru que les formes organisées seules mouraient, au milieu d’une nature
immuable. Il n’a accepté le monde sensible qu’autant qu’il paraissait
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l’immense oscillation du ciel.
L’immobilité de ce sol, de ce peuple dont la vie monotone cons-
titue les trois quarts de l’aventure humaine, semble avoir voulu tenir
dans les lignes de pierre inflexibles qui nous les définissaient avant
même que nous connussions leur histoire. Tout dure autour des Pyra-
mides. Des Cataractes au Delta, le Nil est seul entre deux rives iden-
tiques, sans un courant, sans un affluent, sans un remous, poussant
du fond des siècles sa régulière masse d’eau. Des champs d’orge, de
blé, de maïs, des palmeraies, des sycomores. Un impitoyable ciel
bleu, d’où le feu coule incessamment en nappes, presque sombre
aux heures du jour où l’œil peut le regarder sans souffrance, plus
clair la nuit, quand la marée montante des étoiles y répand sa lueur.
Des vents torrides montent des sables, la lumière où vibre l’air chaud
découpe les ombres sur le sol, et les couleurs inaltérables, indigos,
rouges cuits, jaunes sulfureux, liquéfiées en métal par les crépuscules
de flamme, n’ont que le voile transparent des verts et des ors des cul-
tures qui changent périodiquement. Un silence où les voix hésitent,
comme si elles craignaient de briser des murs de cristal. Au delà de
ces six cents lieues de vie fixe et puissante, le désert, sans autre limite
visible que ce cercle absolu qui est aussi l’horizon des mers.
Le désir d’y chercher et d’y façonner l’éternité s’y impose à l’es-
prit d’autant plus despotiquement que la nature retarde la mort elle-
même dans ses actes nécessaires de transformation et de refonte.
Le granit ne s’entame pas. Il y a sous le sol des forêts pétrifiées.
Dans cet air sec, le bois abandonné garde des siècles ses fibres vivantes,
les cadavres se dessèchent sans pourrir. L’inondation du Nil, maître
de la contrée, y symbolise tous les ans les résurrections perpétuelles.
Sa venue et sa décroissance sont aussi régulières que la marche appa-
rente d’Osiris, l’éternel soleil, qui chaque matin sort des eaux et
chaque soir disparaît dans les sables. Du 10 juin au 7 octobre il verse
aux campagnes calcinées le même limon noir, le limon gras, le limon
père de la vie.
Le peuple égyptien n’a pas cessé de regarder la mort. Il a donné
le spectacle sans précédent, et sans lendemain, d’une race acharnée
pendant quatre-vingts siècles à arrêter le mouvement universel. Il a
cru que les formes organisées seules mouraient, au milieu d’une nature
immuable. Il n’a accepté le monde sensible qu’autant qu’il paraissait
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