physique permirent au Japon d'apprécier la valeur pratique avant
de l'utiliser. Le Japon garda l'essentiel de ce qui avait fait et fait
encore sa force sous l'armure des machines, des navires, des canons,
— sa foi en lui, sa fougue méthodique, son esprit d'analyse et de
reconstruction.
Le reproche qu'on adresse au Japon européanisé n'est pas nouveau.
On l'avait accusé de tenir de la Chine, et par la Chine de l'Inde, sa
religion, sa philosophie, son art, ses institutions politiques, alors qu'il
a tout transformé, tout transposé, tout refondu au moule d'un esprit
sauvagement original. Si on remontait aux sources de l'histoire, on ne
trouverait pas un peuple, hors des tribus primitives, auquel un autre
peuple n'ait transmis l'essentiel de ses acquisitions. C'est la merveille
et le réconfort de notre nature humaine. Par cette solidarité victorieuse
de toutes les guerres, de tous les désastres, de tous les silences, tout ce
qui porte le nom d'homme entend le langage de l'homme. La Chaldée a
fécondé l'Assyrie, qui a transmis la Chaldée à la Perse, et, par la
Perse, donné la main à l'Inde et à l'Islam. L'Égypte a éduqué la Grèce,
la Grèce a animé[l'ltalie, et, par-dessus le Moyen Age, dirigé l'Occident
moderne. Le Moyen Age européen a rejoint les Arabes à travers
Byzance et l'Orient. La Chine, qui avait éprouvé par l'Inde le contact
de l'Égypte, de l'Assyrie, surtout de la Grèce, a porté au Japon toutes
ces forces mélangées pour qu'il en disposât selon les enseignements de
sa terre et de sa passion.
Quand, vers l'époque où se christianisait l'Europe, la Corée transmit
au Japon, avec le bouddhisme, la philosophie et l'art des Chinois et
des Indiens, il était tout à fait dans la situation de la Grèce dorienne
vis-à-vis de l'Égypte et de l'Asie occidentale. Silencieux comme elle,
il ignorait comme elle qu'il eût trouvé, en fouillant ses tombeaux,
avec des statuettes informes, les traces de sa vie ancienne. Bien qu'il
divinisât les forces naturelles, le shintoïsme avait proscrit l'image.
C'était sans doute là un point de dogme étranger au sol du Japon et
venu comme le Bouddhisme d'un de ces éléments ethniques qui con-
tribuèrent à le former, Mongols, Malais, Aïnos. Le Japon ne l'accepta
certainement qu'à contre-cœur. Dès que le bouddhisme eût ouvert ses
sanctuaires à tous les dieux du shintoïsme fixés dans le bronze et le
bois, les Japonais reconnurent en eux l'image de leurs véritables désirs.
Mais tant que dura l'agglutination des matériaux primitifs de la
race, ses artistes ne se dégagèrent pas des besoins de la Corée, des
volontés immémoriales des Hindous et des Chinois. Leurs dieux assis
aux yeux baissés, aux mains ouvertes, sont comme un bloc rond et pur
modelé par la lumière. L'esprit qui les habite coule de partout sur eux
pour les envelopper de solitude et de silence. On les dirait reliés à
— 54 œ
de l'utiliser. Le Japon garda l'essentiel de ce qui avait fait et fait
encore sa force sous l'armure des machines, des navires, des canons,
— sa foi en lui, sa fougue méthodique, son esprit d'analyse et de
reconstruction.
Le reproche qu'on adresse au Japon européanisé n'est pas nouveau.
On l'avait accusé de tenir de la Chine, et par la Chine de l'Inde, sa
religion, sa philosophie, son art, ses institutions politiques, alors qu'il
a tout transformé, tout transposé, tout refondu au moule d'un esprit
sauvagement original. Si on remontait aux sources de l'histoire, on ne
trouverait pas un peuple, hors des tribus primitives, auquel un autre
peuple n'ait transmis l'essentiel de ses acquisitions. C'est la merveille
et le réconfort de notre nature humaine. Par cette solidarité victorieuse
de toutes les guerres, de tous les désastres, de tous les silences, tout ce
qui porte le nom d'homme entend le langage de l'homme. La Chaldée a
fécondé l'Assyrie, qui a transmis la Chaldée à la Perse, et, par la
Perse, donné la main à l'Inde et à l'Islam. L'Égypte a éduqué la Grèce,
la Grèce a animé[l'ltalie, et, par-dessus le Moyen Age, dirigé l'Occident
moderne. Le Moyen Age européen a rejoint les Arabes à travers
Byzance et l'Orient. La Chine, qui avait éprouvé par l'Inde le contact
de l'Égypte, de l'Assyrie, surtout de la Grèce, a porté au Japon toutes
ces forces mélangées pour qu'il en disposât selon les enseignements de
sa terre et de sa passion.
Quand, vers l'époque où se christianisait l'Europe, la Corée transmit
au Japon, avec le bouddhisme, la philosophie et l'art des Chinois et
des Indiens, il était tout à fait dans la situation de la Grèce dorienne
vis-à-vis de l'Égypte et de l'Asie occidentale. Silencieux comme elle,
il ignorait comme elle qu'il eût trouvé, en fouillant ses tombeaux,
avec des statuettes informes, les traces de sa vie ancienne. Bien qu'il
divinisât les forces naturelles, le shintoïsme avait proscrit l'image.
C'était sans doute là un point de dogme étranger au sol du Japon et
venu comme le Bouddhisme d'un de ces éléments ethniques qui con-
tribuèrent à le former, Mongols, Malais, Aïnos. Le Japon ne l'accepta
certainement qu'à contre-cœur. Dès que le bouddhisme eût ouvert ses
sanctuaires à tous les dieux du shintoïsme fixés dans le bronze et le
bois, les Japonais reconnurent en eux l'image de leurs véritables désirs.
Mais tant que dura l'agglutination des matériaux primitifs de la
race, ses artistes ne se dégagèrent pas des besoins de la Corée, des
volontés immémoriales des Hindous et des Chinois. Leurs dieux assis
aux yeux baissés, aux mains ouvertes, sont comme un bloc rond et pur
modelé par la lumière. L'esprit qui les habite coule de partout sur eux
pour les envelopper de solitude et de silence. On les dirait reliés à
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