l'espace et recueillant sur leur écorce fluide les vibrations harmoniques
qui leur viennent de tous ses points. Sont-ils Japonais, Hindous, Chi-
nois? Ils sont bouddhiques. C'est à peine si, au viiie siècle, la sculp-
ture religieuse, avec le vieux statuaire Kobo Daïshi, commence à
révéler la germination sourde du vrai sentiment national. Dans ses
statues de dieux guerriers, d'une énergie si rayonnante, il y a comme
une douceur, comme une violence arrêtées qui sont déjà purement
japonaises. Il se refuse à se livrer. Quels que soient sa ferveur et sa
colère et l'élan de son cœur, le Japonais, quand il aura conquis sa vraie
nature, en dominera l'expression.
Les besoins généraux qu'ils ne raisonnent pas dictent aux hommes
qui croient les diriger leurs décisions les plus libres en apparence.
Quand le Japon ferma ses ports, à l'heure où les Foujiwara prenaient
le pouvoir, c'est qu'il voulait saisir en lui, au milieu des courants mêlés
des migrations militaires et des échanges maritimes, le sens de son
propre effort. Ce peuple ne marchande ni sa force de recueillement ni
sa force d'expansion. Dès qu'il s'aperçoit qu'il s'est trop retranché du
monde, ou qu'il a trop agi, il tend tous ses ressorts pour épuiser d'un
coup le besoin de repos que lui donna l'action, l'envie d'agir qu'il
amassa dans le repos. Il part sur de nouveaux chemins avec une fré-
nésie telle qu'il doit s'arrêter soudain pour revenir sur ses pas et faire
patiemment, en tournant le dos à l'horizon, l'inventaire de ses con-
quêtes. Au ixe, au xviie siècle, il interdit à l'étranger ses rades, une
fois pour s'assimiler le bouddhisme et l'Inde, une autre fois pour
étudier en lui le retentissement profond des invasions mongoles et des
premières incursions des navigateurs occidentaux. Et il parvient aux
étapes décisives de son génie créateur à une heure à peu près égale-
ment distante de celle où il se ferma et de celle où il se rouvrit.
II
L'archaïsme qui suivit la première fermeture, le classicisme qui
suivit la seconde se développèrent l'un et l'autre dans la même
atmosphère de quiétude et de travail. La vie politique se concentra
dans une capitale unique, Nara pour les Foujiwara, Yedo pour les
Tokugawa. Le peuple, jusqu'alors guerrier, confia le soin de sa défense
aux classes militaires afin d'exploiter en sécurité les richesses des tor-
rents et des côtes et de défricher le sol. Et la paix brusque produisit
ses floraisons habituelles.
— 55 =
qui leur viennent de tous ses points. Sont-ils Japonais, Hindous, Chi-
nois? Ils sont bouddhiques. C'est à peine si, au viiie siècle, la sculp-
ture religieuse, avec le vieux statuaire Kobo Daïshi, commence à
révéler la germination sourde du vrai sentiment national. Dans ses
statues de dieux guerriers, d'une énergie si rayonnante, il y a comme
une douceur, comme une violence arrêtées qui sont déjà purement
japonaises. Il se refuse à se livrer. Quels que soient sa ferveur et sa
colère et l'élan de son cœur, le Japonais, quand il aura conquis sa vraie
nature, en dominera l'expression.
Les besoins généraux qu'ils ne raisonnent pas dictent aux hommes
qui croient les diriger leurs décisions les plus libres en apparence.
Quand le Japon ferma ses ports, à l'heure où les Foujiwara prenaient
le pouvoir, c'est qu'il voulait saisir en lui, au milieu des courants mêlés
des migrations militaires et des échanges maritimes, le sens de son
propre effort. Ce peuple ne marchande ni sa force de recueillement ni
sa force d'expansion. Dès qu'il s'aperçoit qu'il s'est trop retranché du
monde, ou qu'il a trop agi, il tend tous ses ressorts pour épuiser d'un
coup le besoin de repos que lui donna l'action, l'envie d'agir qu'il
amassa dans le repos. Il part sur de nouveaux chemins avec une fré-
nésie telle qu'il doit s'arrêter soudain pour revenir sur ses pas et faire
patiemment, en tournant le dos à l'horizon, l'inventaire de ses con-
quêtes. Au ixe, au xviie siècle, il interdit à l'étranger ses rades, une
fois pour s'assimiler le bouddhisme et l'Inde, une autre fois pour
étudier en lui le retentissement profond des invasions mongoles et des
premières incursions des navigateurs occidentaux. Et il parvient aux
étapes décisives de son génie créateur à une heure à peu près égale-
ment distante de celle où il se ferma et de celle où il se rouvrit.
II
L'archaïsme qui suivit la première fermeture, le classicisme qui
suivit la seconde se développèrent l'un et l'autre dans la même
atmosphère de quiétude et de travail. La vie politique se concentra
dans une capitale unique, Nara pour les Foujiwara, Yedo pour les
Tokugawa. Le peuple, jusqu'alors guerrier, confia le soin de sa défense
aux classes militaires afin d'exploiter en sécurité les richesses des tor-
rents et des côtes et de défricher le sol. Et la paix brusque produisit
ses floraisons habituelles.
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