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•3* Année. — N- 136.

PRIX : 5 CENTIMES

Charleville, le 23 Janvier 1916.

Gazette des Ardennes

JOURNAL DES Ï>AYS OCCUPÉS PARAISSANT TROIS FOIS PAR SEMAINE

• On s'abonne dans tous les bureaux de poste

UN PEU D'HISTOIRE

La « Gazelle » reçoit d'un lecteur français l'article que
voi«j :

Au moment où cette malheureuse guerre européenne
bat son plein, où chaque camp s'acharne, dans un
sentiment bien compréhensible, à s'attacher une vic-
toire complète et définitive, il nous a paru intéressant
de montrer aux lecteurs de la s Gazette des Ardennes »
la valeur et les suites des « ententes » ou rapproche-
ments qui ont eu lieu pendant le XIX* siècle entre la
France et l'Angleterre.

En 1816 — il y ■ cent ansl — la France, à la suite
des campagnesnde Napoléon, restait anéantie, ruinée et
livrée aux désordres intérieurs. Elle venait de recevoir
& Waterloo le coup de grâce des Anglais. Us ont tou-
jours revendiqué cet honneur, il faut le leur laisser----

Elle adhéra pourtant à la Sainte-Alliance, mais ce
n'est qu'en i83o que la France, qui venait, d'un com-
mun accord avec la Russie et l'Angleterre, de régler
la question de l'indépendance de la Grèce, songea à un
rapprochement avec ce dernier pays, ancien ennemi
le plus acharné.

Cette première entente donna comme résultats la
création du royaume indépendant de Belgique, reconnu
par une- conférence européenne, et le maintien sur le
trône d'Espagne de la jeune reine Isabelle II : mais elle
fut bientôt rompue par la jalousie de l'Angleterre
contre la France, dans la fameuse question d'Orient,
où — ironie des choses! — les deux pays luttent actuel-
lement l'un à côté de l'outre. Pour éviter un conflit,
la France, loyalement, consentit à remettre au juge-
ment des grandes puissances européennes la solution
de cette question. L'Angleterre parut entrer dans ses
vues ; puis, mettant hypocritement à profit la haine
du tzar Nicolas-contre le roi Louis-Philippe, elle mit
la France en dehors du concert européen qui donna le
traité de Londres. C'était une insulte à laquelle Thiers
voulait répondre par des préparatifs militaires. Il fut
remercié et remplacé, en iS4o, par Cuizot qui, malgré
la leçon donnée»— nous en avons reçu*'bien d'autres
depuis, mais eu vain! — par la conduite des Anglais
dans la question d'Orient, s'appuya sur l'entente cor-
diale avec l'Angleterre. Il sacrifiait au maintien de la
paix à tout prix les intérêts et l'amour-piopre de la
France, car il est certain que le cabinet britannique
ne songea qu'à exploiter cette alliance en vue de ses
propres avantages et au détriment de son alliée ; rierr
n'a changé de nos jours. «Prenez-y garde, disait
ii spirituellement le ministre autrichien, M. de Met-
« ternich, à un ambassadeur français, rien n'est plus
« utile que l'alliance de l'homme et du cheval, mois
« il faut être l'homme et non le cheval I »

L'alliance anglo-française fut compromise par
V « Affaire du droit de visite » et par V « Affaire de
Tàiti » cl définitivement rompue par I' h Affaire des
mariages espagnols, »

C'est alors que la France songea à reformer un
empire colonial, pour remplacer celui que l'Angleterre
lui avait pris. Par ses efforts, elle provoqua plus d'une
fois les jalousies britanniques. C'est ainsi que dans la
conquête de l'Algérie, ayant pour but de faire cesser
le commerce des esclaves, l'Angleterre faisant bon
marché des intérêts de la civilisation, songeant seule-

ment & empêcher l'extension de l'influence français^
dans le bassin méditerranéen, adressa au gouverne-
ment des représentations et même des menaces, pour
le détourner d'entreprendre cette expédition. Maïs lu
France ne tint aucun compte de cette opposition et la
conquête de l'Algérie fut menée a bien.

En i85a, la question d'Orient, réveillée par In Rus-
sie, vint à nouveau préoccuper les grandes puissance*
intéressées : le tzar Nicolas i" rêvait d'aller à Constaiv-
tinople. L'Angleterre était obstinément attachée! ,iu
maintien de l'intégrité de l'Empire Ottoman; aiissi
repoussa-t-elle les offres alléchantes du tzar pour con-
tracter une alliance avec la France. Cette alliance
anglo-française eut pour conséquence la guerre
d'Orient ; il n'aurait pu en être autrement.

11 est intéressant de remarquer qu'actuellement
dans l'aventure des Dardanelles, l'Angleterre a subi et
surtout a fait subir à ses Alliés des perles énormes pour
remettre Constantinople entre les mains* des Russes*,'
En 1861, l'Angleterre s'unit de nouveau à la Franc*
pour lui faire verser son sang en Chine puis dans la
fatale expédition dû Mexique, et en 1870, lors de là
malheureuse guerre, Napoléon 111 qui n'avait pas voulu
se borner à être l'instrument de l'Angleterre, fut aban-
donné par elle. Aussi, dès la signature du traité dé
Francfort, alors que la France ne pouvait songer qu'à,
panser ses plaies, l'Angleterre en profita pour établir
sur des bases solides son -empire colonial.

Elle chercha, tout d'abord, à nous évincer de
l'Egypte où nous avions en 1869, a l'ouverture du
Canal de Suez, une influence prépondérante, puis en
188a, profitant de ce qu'une émeute militaire troublait
l'Egypte, elle y envoya une armée d'occupation, en
promettant solennellement qu'elle évacuerait le payt
après y avoir rétabli l'ordre. Mais elle n'a pas tenu sa
promesse, malgré l'engagement qu'elle avait pris, elle
continue jusqu'à ce jour à occuper l'Egypte. Elle à
même conquis au Sud toute la Vallée du Nil et a obligé
les Français à ae retirer de Fachoda où ils s'étaient
établis sur le Nil Supérieur.

Etendre sa domination d'une façon ininterrompue
depuis Alexandrie jusqu'au Cap, d'un bout à l'tuu*
de l'Afrique, voilà le rêve de l'Angleterre, et c'est pourC
quoi elle essaya de nous disputer la prépondérance à
Madagascar, en envoyant des missionnaires anglicans
qui réussirent à gagner la population des tribut des
Hovas, qui de Tananarive imposaient leur domination
aux autres races. En 1896, Madagascar devenait,
malgré ces manœuvres, une colonie française. Pour
y répondre, de 1899 à 1901, les Anglais écrasaient la
vaillant petit peuple d'origine hollandaise : les Ilocrs.

On voit donc que si la France a su donner une
extension suffisante à ses établissements coloniaux qui
sont d'une importance vitale pour l'avenir du pays, ce
n'est pas sans avoir à compter avec la jalousie dé
l'Angleterre, qui n fini par se réconcilier avec notre
développement colonial, par une convention signée
en njn'j.

Ce rapprochement, que l'opinion publique avait
accepté avec grande satisfaction,' comme gage d'une
paix européenne durable, n'était malheureusement
que l'ouverture d'une suite d'intrigues qui nous ont
menés à la guerre actuelle, faite de toutes pièces par
l'Angleterre pour écraser l'Allemagne qui ne demandait *
qu'à prospérer en paix.

BULLETINS OFFICIELS ALLEMANDS

Grand Quartier gcncrol, lo 20 janvier 1916.
Théâtre de la guerre à l'Ouest.

Nos positions au nord de Frelinghien furent at-
taquées hier soir par les Anglais, à l'aide de bombes
asphyxiantes, sur une largeur de quelques centaines
de mètres ; l'ennemi fut rejeté et subit de fortes perles.

L'artillci ic ennemie bombarda systématiquement
l'église de Lens.

(Jn biplan de combat anglais avec deux mitrail-
leuses, faisant partie d'une escadrille ennemie, fut
abattu près de Tourcoing par un avion allemand.

Près de l'Yscr le feu de nos canons antiaériens
força un avion ennemi à atterrir dans la ligne ennemie.
L'avion fut alors détruit par notre feu d'artillerie.

Hier, dans la nuit, nous avons lancé des bombes sur
les établissements militaires de Nancy.

Théâtre de la guerre à t'Est.
Combats d'artillerie et escarmouches d'avant-postes
sur plusieurs parties du front.

Théâtre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.

Grand Quartier général, le 21 janvier IDlfi,
Théâtre de la guerre à l'Ouest.
Aucun événement essentiel.

Théâtre de la guerre à PmXÉL
Sur le front entre Pinsk et CzartoryBk, des poussées'
de faibles détachements russes furent facilement reje-

14m, *

Théâtre de la guerre aux Balkans.
Rien de nouveau.

BULLETINS OFFICIELS FRANÇAIS .

Paria, 1* janvier 10IG, soir.

Eu Belgique, un tir de notre artillerie dirigé sur les
ouvrages ennemis aa nord de Stecnslraete, a provoqué deux
fortes explosions.

Au nord de l'Aisne, nous avons pris sous notre feu un
convoi de ravitaillement dans le secteur de Clnvy, nord-est
de Vailly.

Au sud-est de Eerry-au-Bac, vers la cale 103, nous avons
fait jouer un camouflet qui a bouleversé les travaux de
mines de l'adversaire.

Entre Ai'goime et Meuse, ,110s pièces de gros calibre onl
détruit un blockhaus ennemi dans la région de Forges.

' Paria, lo janvier 191C, 3 heures.

Nuit calme. " _

En Champagne, notre artillerie a dispersé des travail-
leurs ennemis et pris sous son feu un convoi en inarche sur
la route d'Aubérivc a Saint-Souplet.

En Argonne, échange de grenades a Vauquoia.

Rien à signaler sur le reste du front.

Paris, 15 janvier 101G, aoir.
En dehors de quelques actions d'artillerie assez vives en
Champagne, en Argonne et en Woevre, aucun événement
important a signaler sur l'ensemble du front.

Armée d'Orient. Dans la journée du 14, des avions en-
nemis ont lancé des projectiles sur Jancs (nord-ouest de
Kukus) et sur Dogaudzi.

Quelques soldats grecs ont été blessés, un .tué.

Paris, 16 janvier 1016, 3 heures.
Nuit calme. Rien à signaler.

• Ne comptons pas trop sur l'usure île l'AMp <

Sous ce titre M. Charles Humbert, le sénateur bien
connu, publie dans le «Journal» l'article dont nous
reproduisons ci-desaous les principaux passage* et qui
a au moins le mérite de mettre le peuple français en
garde contre une série d'illusions par trop grossières et
dangereuses :

« Depuis le début des hostilités, on accueille, avec une
excessive complaisance, les informations tendant à faire
croire ù l'épuisement de l'Allemagne.

En août 1 g là, déjà, on nous montrait Berlin prés de
manquer de vivres ; pendant tout l'hiver, on nous a fait voir
la famine imminente en Allemagne ; la disette de pétrole,
■ de cuivre, de coton, tout autant que celle de blé, semblait
devoir contraindre nos ennemis à la paix ; cl, quatre mois
après l'ouverture des hostilités, on affirmait que nos enne-
mis poussaient au feu des armées de collégien* et de
vieillards.

C'est rendre un bien mauvais service à l'opinion fran-
çaise que de la berner avec de pareils mensonges.

On a cru qu'il suffit de « tenir n pour triompher.

La censure t'emploierait bien plus utilement à sup-
primer des informations inexactes, destinées à propager
chez noua une conGancc injustifiée, qu'à couper des infor-
mations véridique* ou à nous défendre d'aborder les ques-
tions que tel ministre juge commode de rayer de nos sujets
de conversation.

Nos ennemis nous, opposent une organisation formidable,
qu'fl faut admirer sans réserve. Ils sont parvenus à pallier;
à force de travail et do discipline, toutes les causes de
faiblesse et de dépérissement dont ils ont été menacés.

Voyons a quoi ic réduit, aujourd'hui, la gêne que leur a
causée le blocus maritime. -

L'Allemagne manque-t-ellc d'acier et de charbon ? Non :
elle en est la première productrice au monde, et n'a cessé di
développer le rendement de ses mines de Wcstpbalie cl de
Silésie, en même temps qu'elle se mettait k exploiter les
charbonnages belges et nos gisements de minerai de Briey.

Mais les aciers modernes, surtout ceux des gros canons,
demandent à être additionnes de nickel, de chrome, de
cobalt, de manganèse, de tungstène, etc. Nos adversaires
prévoyants avaient constitué des stocka longtemps avant la
guerre, et ont dû parer dès les premiers jours des hostilités
aux insuffisances à redouter, alors que le trafic des raisins
neutres leur offrait encore des facilités de ravitaillement.

Des infiltrations sont toujours possibles lorsqu'il s'agît de
produi's dont des quantités minimes sont nécessaires.

On 9 escompté la disette de cuivre. Il faut en rabattre :
le cuivre a été remplacé dans nombre de ses emplois par le
fer-blanc ; ensuite, on a utilisé des réserve* accumulées. (Les
mines de cuivre en Serbie et de Pologne sont, en outre, aux
mains de l'Allemagne et de ses Alliés. — La Réd.)

Les quantités de cuivre employée* dans le pays depuis
des années forment déjà un stock considérable qu'on uti-
lisera. Les douilles de cartouches et les ceintures d'obus ne
manqueront pas.

L'Allemagne, qui dépassait de beaucoup toutes les nations
dans les industries chimiques et pharmaceutiques, n'a pas €u
dcjieine à suppléer, dans cet ordre d'idées, aux matières pre-
mières qui ont manqué. Ainsi, privée de nitrate, elle a in-
dustrialisé des procédés de laboratoire pour fixer directe-
ment l'azote de l'air.

II lui fallait aussi de l'essence pour ses automobiles et ses
aéroplanes. Elle l'a remplacée très largement par le bensol
et a retrouvé en Galicie des puits de pétroles inépuisables qui
lui fournissent de la benzine.

Le caoutchouc lui manqua pour les pneumatiques et pour
les toiles imperméables ; mais, dans beaucoup de cas, il peut
être remplacé par des succédanés. Elle paie, assure-t-on
jusqu'à 3o marks le kgr. les arrivages qui lui parviennent à
travers les pays neutres. (Un chimiste allemand vient de
produire enfin le caoutchouc artificiel synthétique. — La
Réd.)

Reste la question du coton. En exerçant dès le début une
suryeillancc sérieuse, les Alliés auraient pu mettre l'Alle-
magne dans l'embarras pour la fabrication de ses poudres

FEUILLETON DE LA %GAZE1TB DE 6 ARDI .\ NES » 4

LE GRIME DE LA RUE MORGUE

Par Edgar Alun POE

« Le corps de la mère était horriblement mutilé. Tous
les os de la jambe et du brus gauche plus ou moins fra-
cassés ; le'tiliia gauche brisé en esquilles, ainsi que les cotes
du même coté. Tout le corps affreusement meurtri et dé-
coloré. Il finit impossible de dire comment de pareils coups
avaient été portés. Lnc lourde massue de bois ou une large
pince de fer, une arme grosse, pesante, et contondante au-
raient pu produire de pareils résultats, et encore maniées
par Ici mains d'un homme excessivement robuste. Avec
n'importe quelle arme, aucune femme n'aurait pu frapper
-de tels coupa La tête de la défunte, quand le témoin la vit,
était entièrement séparée du tronc, et, comme le reste,
singuWrcment broyée. La gorge évidemment avait été
tranchée avec un instrument très affilé, trèa probablement
un rasoir.

« Alexandre Etienne, chirurgien, a été appelé en même
temps que M. Dumas pour visiter les cadavres ; confirme le
témoignage et l'opinion de M. Dumas.

u Quoique plusieurs autres personnes aient été Interro-
gées, on n'a pu obtenir aucun autre renseignement d'une
valeur quelconque. Jamais assassinat si mystérieux, si
embrouillé, n'a été commis à Paris, si toutefois il y a eu
assassinat.

« La police est absolument déroulée, — cas fort inusité
dans lu affaires de celte nature. Il est vraiment impossible
de retrouver le fil de cette affaire. »

L édition du soir constatait qu'il régnait une agitation
permanente dans le quartier Saint-Roch ; que les lieux
avaient été l'objet d'un second examen, que les témoins
avaient été interrogés de nouveau, mai» tout cela sans ré-
sultat. Cependant, un poit-jcripium annonçait qu'Adolphe
Lebon, le commis de la maison de banque, avait été arrêté
et incarcéré, bien que rien dans les faits déjà connu» ne
parût suffisant pour l'incriminer.

J>upin semblait s'intéresser singulièrement à la marche
<U cette affaire, autant, du moin», que j'en pouvais «juger

par se» manières, car il ne faisait aucun commentaire. Ce
fut seulement après que le journal eut annoncé l'enqirison'
neinent de Lcbon qu'il me demanda quelle opinion j'avais
relativement à ce doublé meurtre.

Je ne pu» que lui confesser que j'étais comme tout
Paris, et que je le considérais comme un mystère inso-
luble. Je ne voyais aucun moyen d'attraper la trace du
meurtrier, —

— Nous ne devins pas juger de* moyens possibles, dit
Dupin par cette instruction embryonnaire. La police parjj
sienne, si vantée pour »a pénétration, est très rusée, rien de
plu». Elle procède Eans méthode, elle n'a pa» d'autre mé-
thode que celle du moment. On fait ici un grand étalage de
mesure», mais il arrive souvent qu'elles sont si intempestive*
et si mal appropriées au but, qu'elles font penser à Si. Jour-
dain, qui demandait ta robe de chambre — pour mieux en-
tendre la musique. Les résultats obtenus sont quelquefois
surprenants, mais ils sont, pour la plus grande paitic, sim-
plement dus à la diligence et à l'activité. Dans le cas ou ces
facultés sont insuffisantes, les plans ratent. Yidocq, pae
exemple, était bon pour deviner ; c'était un homme de pa*
tience J mai» su pensée n'étant pat tuffis»minent éduquéei
il faisait continuellement fausse route, par l'ardeur même
da se» investigations. II diminuait la force de sa vision eu
regdiddiit l'objet de trop près. Il pouvait peut-être voir ud
ou deux point» avec une netteté singulière, mais, par le fait
même de ton-procédé, il perdait i'uspect de l'affaire prise;
dans son ensemble. Cela peut s'appeler le moyen d'étrcjro»)»
profond. La vérité n'est pas toujours dans un pnfttf En
somme, quant à ce qui regarde les notions qui nous inté-
ressent de plu» près, je crois qu'elle est invariablement'à la
surface, Nous la cherchons dans la profondeur de la
vallée ; c'est du «ommel des montagnes que nous lu décou-
vrirons.

Quant k cet assassinai, faisons nous mêmes un examen
avant de nous former une opinion, line enquête nous pro-
curera de l'amusement (je trouvai cette expression bigarre,
appliquée au cas en question, mais je ne dis mot) ; et, en
outre, Lebou m'a rendu un service pour lequel je ne veux
pa» nie montrer ingrat. Nous irons sur les lieux, nous les

examinerons de- nos propres yeux. Je connais G.....lo

préfet de police, et nous obtiendrons »ans peine l'autorisa-
tion nécessaire.

L'autorisation fut accordée, et nous allâmes tout débit à

la rue Morgue. C'est un de ces misérables passages qui re-
lient lo rue Richelieu à la rue Saint-Hoch. C'était dans
l'après-midi, et il était déjà tard quand nous y arrivâmes,
tur ce quartier est situé à une grande distance de celui que
nous hahilirns. Nous trouvâmes bien vite la maison, car il
y avait une multitude de gens qui contemplaient de l'autre
côté de la rue les volets fermée, avec une curiosité badaude.
Celait une maison comme toutes les maisons de Paris, avec
une porte cochère, et sur l'un des cotés une niche vitrée
avec un carreau mobile, représentant la loge du concierge.
Avant d'entrer, nous remontâmes la rue, nous tournâmes
dans une allée, et noua passâmes ainsi sur le» derrières de la
maison. Dupin, pendant ce temps, examinait tous les alen-
tours, aussi bien que la maison, avec une attention minu-
tieuse dont je ne pouvais pas deviner l'objet.

Nous revînmes sur nos pas vers la façade de la maison ;
nous sonnâmes, nous montrâmes notre pouvoir, et le*
agents nous permirent d'entier. Nous montâmes jusqu'à la
chambre où on avait trouvé le corps de mademoiselle l'Es-
panaye, cLoù gisaient encore les deux cadavres. Le désordre
de la chambre avait été respecté, comme cela se pratique en
pareil cas. Je ne vis rien de plus que ce qu'avait constaté la
u Gazelle des Tribunaux ». Dupin analysait minutieusement
toutes choses, sans en excepter les corps des victimes. Nous
passâmes ensuite dans les autres chambres, et nous descen-
dîmes dans les cours, toujours accompagnés par un gen-
darme. Cet cxamrn dura fort longtemps, et U était nuit
quuud nous quittante* I* maison, l.n retournant chez nous,
mon rama rade s'arrêta quelques minutes duns les bureaux
d'un journal quotidien.

J'ai dit que mon ami avait toutes sortes de bizarreiies, et
que je les ménageais (car ce mot n'a pas d'équivalent en
anglais). 11 entrait maintenant dans sa fantaisie de se refuser
à toute conversation relativement Ù l'assassinat, jusqu'au
lendemain ù midi. Cefut alors qu'il me demanda brusque-
ment si j'avais remarqué quelque chose de particulier sur
le théâtre du crime.

Il y eut dans sa manière de prononcer le mot particulier,
un accent qui nie donna le frisson sans que je susse pour-
quoi.

— Non rien de particulier, dis-je, rien autre, du moin»,
que ce que nous avons lu tous deux dans le journal.

— La « Gazette », reprit-il, n'a pas, je le crains, pénétré
l'horreur insolite de l'affaire. Mais laissons là les opinion*

niaises de ce papier. Il me semble que le mystère est consi-
déré comme insoluble, par la raison même qui devrait la
* faire regarder comme facile à résoudre, — je veux parler
du caractère excessif sous lequel il apparaît. Le* gen» de
police sont confondus par l'absence apparente de motifs lé-
gitimant, non le meurtre en lui-même, mais l'atrocité du
meurtre. Ils sont embarrassés aussi par l'impossibilité appa-
rente de concilier les voix qui te disputaient avec ce fait
qu'on n'a trouvé en haut de l'escalier d'autre personne que
mademoiselle l'Espanayc assassinée, et qu'il n'y avait aucun
moyen de sortir sons être vu des gens qui montaient l'esca-
lier. L'étrange désordre de la chambre, — le corps fourré,
la tète en bas, dans la cheminée, — l'effrayante niulitotido
du corps de la vieille dame, — ces considérations, jointe* k
celles que j'ai mentionnées et à d'autres dont je n'ai pas
besoin de parler, ont sufG pour paralyser l'action de* agent*
du ministère, et pour dérouter complètement leur perspi-
cacité si vantée. Ils ont commis la très grosse et très com-
mune faute de confondre l'extraordinaire avec l'abstrus.
Mais c'est justement en suivant ces déviations du cours or-
dinaire de la nature que la raison trouvera son chemin, si la
chose est possible, et marchera vers la vérité. Dans des
investigations du genre de celle qui nous occupe, U ne faut
pas tant te demander comment le* choses se sont passées,
qu'étudier en quoi elles te distinguent de tout ce qui e*t
arrivé jusqu'à présent. Bref, la facilité avec laquelle j'arri-
verai, ou je suit déjà arrivé, — à la solution du mystère,
est en raison directe de son insolubilité apparente aux yeux
de la police.

Je fixai mon homme avec un étonnement muet.

— J'attends maintenant, continua-t-il, en jetant un re-"
gurd sur la porte de notre chambre, j'attends un individu
qui, bien qu i! ne soit peut-être pat l'auteur de cclte^bou-
chérie, doit se trouver en partie impliqué dans aa perpétra-
tion. Il est probable qu'il est innocent de la partie atroce
du crime. J'espère ne pas me tromper dans cotte hypo-
thèse ; car c'est sur celte hypothèse que je fond* l'espérance
de déchiffrer l'énigme entière. J'attends l'homme ici, —
dans celte chambre, — d'une minute à l'autre. Il est vrai
qu'il peut fort bien ne pa» venir, mai» il y a quelque»
probabilité» pour qu'il vienne. S'il vient, il aer* nécessaire
de le garder. Voici de* pistolets, et nous savon* tous deux
à quoi ils servent quand l'occasion l'exige.

(A suivre.)
 
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