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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Ne à Marseille le 1er septembre 1823, il subit dès les premières
années l’influence de la lumière. Toute la magie colorée d’un des
plus beaux spectacles du monde emplit scs yeux à peine ouverts. La
boutique de son père, changeur et affineur d’or, s’ouvrait dans l'angle
toujours ensoleillé du Vieux-Port où s’élève l’église des Augustins.
En face, la mer, les mâts innombrables, les pavillons claquants, tes
voiles à demi carguées, les reflets toujours évanouis, toujours renais-
sants, des flots sur les carènes sombres, tontes les splendeurs,
toutes les vibrations, du quai bordé xle barquettes dansantes, où les
oranges des Baléares brillent en montagnes d’or parmi le grouillement
des marins de tous pays, aux tours roses ombrées du bleu le plus
délicat qui ferment à l’horizon la rade féerique.
Jusqu’à seize ans, Ricard fut élevé à l’école d’un prêtre intelligent
et fort libéral qui devait, quelques années plus tard, par ses conseils
et ses encouragements, lever les scrupules et dissiper les craintes
du père de l’artiste, au moment décisif où celui-ci allait s’abandonner
tout entier à son impérieuse vocation. Ricard fit ses premières études
artistiques sous la direction du peintre Aubert, à l’Ecole des Beaux-
Arts de Marseille, où il fut le condisciple de Monticelli. Il suivit en
même temps les leçons d’un autre peintre, peu connu, mais non
sans mérite, Frédéric Bronzet. Puis il fut à Paris et entra dans l’ate-
lier de Léon Cogniet.
Mais ses maîtres étaient ailleurs. Déjà, au musée de Marseille, il
avait copié le Salvator Mundi de Puget. Maintenant les chefs-d’œuvre
du Louvre l’appellent. Il installe son chevalet devant le portrait
d’Isabelle d’Autriche de van Dyck, puis il copie tour à tour le por-
trait de Richardot du même, une tête du Mariage de Sainte Cathe-
rine du Corrège, le portrait de Rembrandt par lui-même, Y Homme au
gant de Titien. Ces copies qui subsistent, et dont plusieurs sont en la
possession de M. Emile Ricard, firent partie de l’exposition des œuvres
de Ricard organisée à Marseille en 1873 par le Cercle artistique.
Voici ce qu’en disait M. Brès, dans un livre édité à cette occasion,
et qui se recommande par la précision des documents et la justesse
des aperçus :
« On se demande comment un jeune homme — Ricard avait
vingt ans alors —put pénétrer à ce point dans l’intimité des maîtres,
qu’il en vint à lire leur pensée et à surprendre leurs procédés. La
copie du Rembrandt est une chose prodigieuse. Là, sa verve de colo-
riste put se donner carrière, dans cette gamme si riche et si com-
pliquée, qui, par gradation, va de l’ombre tiède à l’or pur de la
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Ne à Marseille le 1er septembre 1823, il subit dès les premières
années l’influence de la lumière. Toute la magie colorée d’un des
plus beaux spectacles du monde emplit scs yeux à peine ouverts. La
boutique de son père, changeur et affineur d’or, s’ouvrait dans l'angle
toujours ensoleillé du Vieux-Port où s’élève l’église des Augustins.
En face, la mer, les mâts innombrables, les pavillons claquants, tes
voiles à demi carguées, les reflets toujours évanouis, toujours renais-
sants, des flots sur les carènes sombres, tontes les splendeurs,
toutes les vibrations, du quai bordé xle barquettes dansantes, où les
oranges des Baléares brillent en montagnes d’or parmi le grouillement
des marins de tous pays, aux tours roses ombrées du bleu le plus
délicat qui ferment à l’horizon la rade féerique.
Jusqu’à seize ans, Ricard fut élevé à l’école d’un prêtre intelligent
et fort libéral qui devait, quelques années plus tard, par ses conseils
et ses encouragements, lever les scrupules et dissiper les craintes
du père de l’artiste, au moment décisif où celui-ci allait s’abandonner
tout entier à son impérieuse vocation. Ricard fit ses premières études
artistiques sous la direction du peintre Aubert, à l’Ecole des Beaux-
Arts de Marseille, où il fut le condisciple de Monticelli. Il suivit en
même temps les leçons d’un autre peintre, peu connu, mais non
sans mérite, Frédéric Bronzet. Puis il fut à Paris et entra dans l’ate-
lier de Léon Cogniet.
Mais ses maîtres étaient ailleurs. Déjà, au musée de Marseille, il
avait copié le Salvator Mundi de Puget. Maintenant les chefs-d’œuvre
du Louvre l’appellent. Il installe son chevalet devant le portrait
d’Isabelle d’Autriche de van Dyck, puis il copie tour à tour le por-
trait de Richardot du même, une tête du Mariage de Sainte Cathe-
rine du Corrège, le portrait de Rembrandt par lui-même, Y Homme au
gant de Titien. Ces copies qui subsistent, et dont plusieurs sont en la
possession de M. Emile Ricard, firent partie de l’exposition des œuvres
de Ricard organisée à Marseille en 1873 par le Cercle artistique.
Voici ce qu’en disait M. Brès, dans un livre édité à cette occasion,
et qui se recommande par la précision des documents et la justesse
des aperçus :
« On se demande comment un jeune homme — Ricard avait
vingt ans alors —put pénétrer à ce point dans l’intimité des maîtres,
qu’il en vint à lire leur pensée et à surprendre leurs procédés. La
copie du Rembrandt est une chose prodigieuse. Là, sa verve de colo-
riste put se donner carrière, dans cette gamme si riche et si com-
pliquée, qui, par gradation, va de l’ombre tiède à l’or pur de la