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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
était que la superficie et s’il avait véritablement compris les maximes
et les finesses du Titien, il en aurait profité et les aurait sans doute
fait valoir... S'il avait pénétré dans cette partie, ses derniers tableaux,
qui sont les plus faibles en couleur, auraient dû être les plus forts ».
A côté de plusieurs figures d'un style déjà un peu trop académique,
le Massacre des Innocents en contient d’autres qui respirent une
passion et un sens dramatique tout à fait imprévus, notamment ces
femmes qui, avec l’ardeur sauvage de fauves défendant leurs petits,
s’efforcent de soustraire les victimes inoffensives aux coups des
bourreaux. La mère qui, agenouillée devant le cadavre de son
enfant, s’arrache les cheveux de désespoir; celle qui, tenant le sien
dans ses bras, essaie de fuir, et celle qui, suspendue à l’un des meur-
triers, se laisse traîner par lui, sont toutes trois d’un mouvement
superbe et d’un réalisme très pathétique. Mais les qualités de dessin
et d’expression que montre ici le grand artiste persisteront plus tard
dans ses œuvres; ce qu’on n’y retrouvera plus, c’est la beauté et la
force de la couleur, c’est la franchise et la délicatesse d’exécution
des visages et des costumes de deux de ces femmes. Les dégrada-
tions et le modelé du jaune et du gris de leurs robes y sont traités
avec une finesse et une distinction qui rappellent les grands colo-
ristes. Doublement intéressant par sa date et par ses qualités propres,
le tableau de Poussin de la collection Dutuit mérite donc une place
à part dans son œuvre.
Non loin de lui, signalons en passant un petit Coucher de soleil
de son compatriote et ami Claude Lorrain, d’une donnée très pitto-
resque, mais malheureusement fort endommagé par le temps.
Est-ce bien à celte place et parmi l’école française qu’il convient
de mentionner une étude de dimensions restreintes et d’un auteur
inconnu, représentant une jeune dame vue de dos, assise devant un
chevalet et peignant une petite toile? Les attributions les plus diverses
ont été proposées pour ce charmant ouvrage, et les indications qu’on
pourrait tirer du costume sur la nationalité du modèle ou de l’exé-
cution sur la provenance de la peinture ne nous paraissent pas très
concluantes. Le nom de Vermeer de Delft, qui a été prononcé, n’a
rien à voir en cette affaire : ce n’est ni la facture, ni la couleur de
l’excellent artiste, et l’on ne retrouve aucunement ici sa façon de
manier la pâte et d’obtenir, comme il le fait par de légères saillies
en grumeaux, l’éclatante vibration de scs lumières. Au lieu de
chercher du coté des Hollandais, j’inclinerais plutôt vers l’école
française, sans accepter d’ailleurs la paternité de Chardin, dont
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était que la superficie et s’il avait véritablement compris les maximes
et les finesses du Titien, il en aurait profité et les aurait sans doute
fait valoir... S'il avait pénétré dans cette partie, ses derniers tableaux,
qui sont les plus faibles en couleur, auraient dû être les plus forts ».
A côté de plusieurs figures d'un style déjà un peu trop académique,
le Massacre des Innocents en contient d’autres qui respirent une
passion et un sens dramatique tout à fait imprévus, notamment ces
femmes qui, avec l’ardeur sauvage de fauves défendant leurs petits,
s’efforcent de soustraire les victimes inoffensives aux coups des
bourreaux. La mère qui, agenouillée devant le cadavre de son
enfant, s’arrache les cheveux de désespoir; celle qui, tenant le sien
dans ses bras, essaie de fuir, et celle qui, suspendue à l’un des meur-
triers, se laisse traîner par lui, sont toutes trois d’un mouvement
superbe et d’un réalisme très pathétique. Mais les qualités de dessin
et d’expression que montre ici le grand artiste persisteront plus tard
dans ses œuvres; ce qu’on n’y retrouvera plus, c’est la beauté et la
force de la couleur, c’est la franchise et la délicatesse d’exécution
des visages et des costumes de deux de ces femmes. Les dégrada-
tions et le modelé du jaune et du gris de leurs robes y sont traités
avec une finesse et une distinction qui rappellent les grands colo-
ristes. Doublement intéressant par sa date et par ses qualités propres,
le tableau de Poussin de la collection Dutuit mérite donc une place
à part dans son œuvre.
Non loin de lui, signalons en passant un petit Coucher de soleil
de son compatriote et ami Claude Lorrain, d’une donnée très pitto-
resque, mais malheureusement fort endommagé par le temps.
Est-ce bien à celte place et parmi l’école française qu’il convient
de mentionner une étude de dimensions restreintes et d’un auteur
inconnu, représentant une jeune dame vue de dos, assise devant un
chevalet et peignant une petite toile? Les attributions les plus diverses
ont été proposées pour ce charmant ouvrage, et les indications qu’on
pourrait tirer du costume sur la nationalité du modèle ou de l’exé-
cution sur la provenance de la peinture ne nous paraissent pas très
concluantes. Le nom de Vermeer de Delft, qui a été prononcé, n’a
rien à voir en cette affaire : ce n’est ni la facture, ni la couleur de
l’excellent artiste, et l’on ne retrouve aucunement ici sa façon de
manier la pâte et d’obtenir, comme il le fait par de légères saillies
en grumeaux, l’éclatante vibration de scs lumières. Au lieu de
chercher du coté des Hollandais, j’inclinerais plutôt vers l’école
française, sans accepter d’ailleurs la paternité de Chardin, dont