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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
spirituelle; et notez que dans la première des deux on peut montrer
du génie, comme fit jadis Léonard, et plus récemment notre grand
Daumier, dont, par bonheur, nous pouvons regarder cette année
une belle reproduction sur bois par M. Primaire.
Dans cette catégorie spéciale, je n’aurais garde d’oublier ce
curieux ironiste, M. Jean Yeber, dont les moyens sont moins puis-
sants que ceux de Daumier, et la couleur criarde, mais qui reste
toujours d'une étrange imagination et le plus souvent plein d’esprit.
On n’oubliera pas son cabaret rural, d’une fantaisie échevelée, ni
surtout sa mêlée parlementaire, si comique, où la tribune aux
harangues, dominée par l’habit noir d’un président dont le cadre
du tableau coupe juste la tête, est occupée par un orateur en lequel,
à tort peut-être, chacun pense trouver un portrait singulièrement
ressemblant : voyez, se dressant au-dessus d’une foule hurlante, cette
taille falote d’Hercule en réduction, et ces deux gros poings serrés
au bout de bras trop courts. La « charge » a porté ici sur les traits qui
pouvaient prêter à rire; et en chacun de nous il y a des traits de cette
sorte. « Rire est le propre de l’homme », disait Rabelais après les
scolastiques du moyen âge. Faire rire en est le propre, bien plus
encore. Nous ne rions que de nous-mêmes et de nos semblables;
l’animal ni le végétal ne sont risibles que si l’on les compare à
l’homme.
Je regarderais donc d’abord Daumier, Veber, ceux qui font rire
de l’homme, et l’avouent et s’en font gloire, et je verrais quels traits
ils choisissent pour les charger. Puis je continuerais la revue des
portraitistes, en posant à chacun la môme question. J’en trouverais
quelques-uns qui voient leurs modèles avec une outrance violente,
voisine encore de la satire. Tel ce terrible et habile M. Boldini. qui
semble faire défiler devant lui ses semblables, avec une sincérité
joyeuse qui exclut toute bienveillance, et comme en un continuel et
convulsif éclat de rire. De là nous passerions à ces observateurs
familiers dont la satire est amicale, flatteuse même pour celui qui
en est l’objet; nous prendrions pour exemple la parfaite image de
M. Donnât que nous devons à M. Puech, charmant petit bronze en
vérité, résumé de toute une vie et de toute une psychologie; c’est le
fameux artiste chez lui, en pantoufles, en négligé, sa palette à la
main, la réalité même de sa vie quotidienne, intime. Pour nous en
dire autant, comment s’y prit l’artiste? Quel est l’écart des pieds, la
flexion des bras, la direction de la tête? bien plus, quels sont les plis
du veston, la cassure du pantalon, qu’il a fallu observer et puis
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spirituelle; et notez que dans la première des deux on peut montrer
du génie, comme fit jadis Léonard, et plus récemment notre grand
Daumier, dont, par bonheur, nous pouvons regarder cette année
une belle reproduction sur bois par M. Primaire.
Dans cette catégorie spéciale, je n’aurais garde d’oublier ce
curieux ironiste, M. Jean Yeber, dont les moyens sont moins puis-
sants que ceux de Daumier, et la couleur criarde, mais qui reste
toujours d'une étrange imagination et le plus souvent plein d’esprit.
On n’oubliera pas son cabaret rural, d’une fantaisie échevelée, ni
surtout sa mêlée parlementaire, si comique, où la tribune aux
harangues, dominée par l’habit noir d’un président dont le cadre
du tableau coupe juste la tête, est occupée par un orateur en lequel,
à tort peut-être, chacun pense trouver un portrait singulièrement
ressemblant : voyez, se dressant au-dessus d’une foule hurlante, cette
taille falote d’Hercule en réduction, et ces deux gros poings serrés
au bout de bras trop courts. La « charge » a porté ici sur les traits qui
pouvaient prêter à rire; et en chacun de nous il y a des traits de cette
sorte. « Rire est le propre de l’homme », disait Rabelais après les
scolastiques du moyen âge. Faire rire en est le propre, bien plus
encore. Nous ne rions que de nous-mêmes et de nos semblables;
l’animal ni le végétal ne sont risibles que si l’on les compare à
l’homme.
Je regarderais donc d’abord Daumier, Veber, ceux qui font rire
de l’homme, et l’avouent et s’en font gloire, et je verrais quels traits
ils choisissent pour les charger. Puis je continuerais la revue des
portraitistes, en posant à chacun la môme question. J’en trouverais
quelques-uns qui voient leurs modèles avec une outrance violente,
voisine encore de la satire. Tel ce terrible et habile M. Boldini. qui
semble faire défiler devant lui ses semblables, avec une sincérité
joyeuse qui exclut toute bienveillance, et comme en un continuel et
convulsif éclat de rire. De là nous passerions à ces observateurs
familiers dont la satire est amicale, flatteuse même pour celui qui
en est l’objet; nous prendrions pour exemple la parfaite image de
M. Donnât que nous devons à M. Puech, charmant petit bronze en
vérité, résumé de toute une vie et de toute une psychologie; c’est le
fameux artiste chez lui, en pantoufles, en négligé, sa palette à la
main, la réalité même de sa vie quotidienne, intime. Pour nous en
dire autant, comment s’y prit l’artiste? Quel est l’écart des pieds, la
flexion des bras, la direction de la tête? bien plus, quels sont les plis
du veston, la cassure du pantalon, qu’il a fallu observer et puis