LA STATUE DE VOLTAIRE
PAR PI G ALLE
Dans un recoin assez obscur de la
Bibliothèque de l’Institut, sous l’abri
d’une niche et entre deux colonnes en
bois peint semble s’être réfugiée une
statue. Les membres de l’Institut qui dé-
posent journellement à ses pieds leurs
cannes ou leurs parapluies lèvent rare-
ment les yeux vers elle. Jamais Parisien
ne demande à venir la contempler. Seules
quelques étrangères, généralement des
Anglaises on des Américaines qui ont obtenu l’autorisation de visiter
le Palais de l’Institut et qui s’avancent un Bædckcr à la main, après
un court et furtif regard s’éloignent d’un air mécontent. On dirait
que cette statue est reléguée dans ce recoin comme en disgrâce.
Cependant c’est la statue d’un grand homme : Voltaire, et l’œuvre
d’un grand sculpteur: Pigalle. Jadis elle a eu son heure de célébrité,
et a fait beaucoup parler d’elle. Que lui est-il donc arrivé ? Nous en
voudrions raconter l’histoire, qu’on pourrait intituler: Grandeur et
décadence d’une statue.
Le vendredi 17 avril 1770, Mme Necker avait plusieurs personnes
à dîner. C’était le vendredi qu’elle recevait à sa table les philosophes
et les gens de lettres qui étaient ses commensaux habituels. Ils y
venaient avec plaisir, bien que la cuisine y fût médiocre, à en croire
du moins ce que dit Grimm dans les Annonces et bans de l’Eglise philo-
sophique: « Sœur Necker fait savoir qu’elle donnera à dîner tous les
vendredis. L’Église s’y rendra, car elle fait cas de sa personne et de
celle de son époux : elle voudrait pouvoir en dire autant de son cuisi-
45
XXX. — 3e PÉRIODE.
PAR PI G ALLE
Dans un recoin assez obscur de la
Bibliothèque de l’Institut, sous l’abri
d’une niche et entre deux colonnes en
bois peint semble s’être réfugiée une
statue. Les membres de l’Institut qui dé-
posent journellement à ses pieds leurs
cannes ou leurs parapluies lèvent rare-
ment les yeux vers elle. Jamais Parisien
ne demande à venir la contempler. Seules
quelques étrangères, généralement des
Anglaises on des Américaines qui ont obtenu l’autorisation de visiter
le Palais de l’Institut et qui s’avancent un Bædckcr à la main, après
un court et furtif regard s’éloignent d’un air mécontent. On dirait
que cette statue est reléguée dans ce recoin comme en disgrâce.
Cependant c’est la statue d’un grand homme : Voltaire, et l’œuvre
d’un grand sculpteur: Pigalle. Jadis elle a eu son heure de célébrité,
et a fait beaucoup parler d’elle. Que lui est-il donc arrivé ? Nous en
voudrions raconter l’histoire, qu’on pourrait intituler: Grandeur et
décadence d’une statue.
Le vendredi 17 avril 1770, Mme Necker avait plusieurs personnes
à dîner. C’était le vendredi qu’elle recevait à sa table les philosophes
et les gens de lettres qui étaient ses commensaux habituels. Ils y
venaient avec plaisir, bien que la cuisine y fût médiocre, à en croire
du moins ce que dit Grimm dans les Annonces et bans de l’Eglise philo-
sophique: « Sœur Necker fait savoir qu’elle donnera à dîner tous les
vendredis. L’Église s’y rendra, car elle fait cas de sa personne et de
celle de son époux : elle voudrait pouvoir en dire autant de son cuisi-
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XXX. — 3e PÉRIODE.