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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
trues, toutes brouillées de sculptures inexpliquées, sans arêtes et
sans accents.
Il serait cruel d’insister. Les architectes ont ce malheur, que leurs
erreurs crèvent les yeux. Rien ne les cache, et il suffit pour les voir
de se promener dans les rues, dans toutes les rues de nos grandes
villes de l’Europe (sauf Londres, peut-être). Or, toutes ces erreurs
procèdent de l’erreur initiale : avoir méconnu que le développement
des styles du passé a pris fin avec ce dernier et violent retour aux
origines romaines que l'on a appelé style
Empire. Les langues que l’on peut par-
ler sont fixées ; ces langues sont les
styles. Les emmêler les uns dans les
autres, c’est faire du galimatias ; en
inventer de nouveaux, c’est parler vola-
pük ou bien espéranto. 11 faut parler
les langues fixées par l’usage séculaire,
les parler purement, mais les accom-
moder aux besoins et aux habitudes
des sociétés modernes :
Sur des pensers nouveaux faisons des vers
[antiques;
telle devrait être la devise de nos archi-
tectes, si tant est qu’ils prétendent
construire des édifices dignes d’être
comparés à des poèmes.
Voilà qui est facile à dire, mais à
faire bien plus malaisé. L’architecture
— et ce fut jadis sa gloire — est celui
des arts qui se mêle le plus à la vie politique, municipale, sociale,
et il est impossible qu’elle ne soit pas en quelque chose contaminée
delà laideur des façons modernes. Les architectes souffrent plus que
tous autres de l’organisation administrative de l’art en notre démo-
cratie, et ils ont dû eux-mêmes se constituer administrativement,
ce qui est la négation de l’art. Ils sont, de plus, soumis aux lois
urbaines et aux règlements de voirie, et c’est presque une nécessité
pour eux de bâtir des maisons à sept étages, avec un étage de man-
sardes en retrait et des Windows vaguement Louis XV faisant saillie
en avant. Us sont autant que les sculpteurs, et plus, victimes des
Expositions universelles, de ces crises vraiment folles où il faut
faire sortir de terre des palais à la douzaine, qui doivent disparaître
‘ i Vr.
VASE EN ARGENT
REPOUSSÉ ET CISELÉ
PAR M. ÉDOUARD MONOD
(Société Nationale des Beaux-Arts.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
trues, toutes brouillées de sculptures inexpliquées, sans arêtes et
sans accents.
Il serait cruel d’insister. Les architectes ont ce malheur, que leurs
erreurs crèvent les yeux. Rien ne les cache, et il suffit pour les voir
de se promener dans les rues, dans toutes les rues de nos grandes
villes de l’Europe (sauf Londres, peut-être). Or, toutes ces erreurs
procèdent de l’erreur initiale : avoir méconnu que le développement
des styles du passé a pris fin avec ce dernier et violent retour aux
origines romaines que l'on a appelé style
Empire. Les langues que l’on peut par-
ler sont fixées ; ces langues sont les
styles. Les emmêler les uns dans les
autres, c’est faire du galimatias ; en
inventer de nouveaux, c’est parler vola-
pük ou bien espéranto. 11 faut parler
les langues fixées par l’usage séculaire,
les parler purement, mais les accom-
moder aux besoins et aux habitudes
des sociétés modernes :
Sur des pensers nouveaux faisons des vers
[antiques;
telle devrait être la devise de nos archi-
tectes, si tant est qu’ils prétendent
construire des édifices dignes d’être
comparés à des poèmes.
Voilà qui est facile à dire, mais à
faire bien plus malaisé. L’architecture
— et ce fut jadis sa gloire — est celui
des arts qui se mêle le plus à la vie politique, municipale, sociale,
et il est impossible qu’elle ne soit pas en quelque chose contaminée
delà laideur des façons modernes. Les architectes souffrent plus que
tous autres de l’organisation administrative de l’art en notre démo-
cratie, et ils ont dû eux-mêmes se constituer administrativement,
ce qui est la négation de l’art. Ils sont, de plus, soumis aux lois
urbaines et aux règlements de voirie, et c’est presque une nécessité
pour eux de bâtir des maisons à sept étages, avec un étage de man-
sardes en retrait et des Windows vaguement Louis XV faisant saillie
en avant. Us sont autant que les sculpteurs, et plus, victimes des
Expositions universelles, de ces crises vraiment folles où il faut
faire sortir de terre des palais à la douzaine, qui doivent disparaître
‘ i Vr.
VASE EN ARGENT
REPOUSSÉ ET CISELÉ
PAR M. ÉDOUARD MONOD
(Société Nationale des Beaux-Arts.)