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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
comme elle vivrait. Toul ainsi le jura Chilpéric. » Mais le roi de Sois-
sons était volage et il quitta bientôt sa nouvelle épouse pour Frédé-
gonde; celle-ci lui persuada d’étrangler la jeune reine, « une heure
qu’elle dormait dans son lit. » Là-dessus, il advint un miracle : « une
lampe de verre, qui devant son tombeau brûlait, chut d’aventure sur
le pavé; le verre, qui assez légèrement brise de sa nature, entra en
la dureté du pavé sans nulle fracture et sans nulle corruption, aussi
comme il l’eût fait en plein muid de farine buletée. » C’est le qua-
trième épisode de la miniature. Le cinquième, au second plan,
représente l’assassinat du roi Sigebert « en son tref » (camp) par les
sicaires de Frédégonde. Entre temps, Chilpéric avait pris une autre
femme, Audovère, qui lui donna trois fils; mais Frédégonde réussit
encore à se délivrer de cette rivale. Chilpéric était parti en guerre
contre les Saxons, laissant Audovère en couches. Elle mit au monde
une fille. Frédégonde lui conseilla perfidement de faire baptiser son
enfant en l’absence du roi et de la tenir elle-même sur les fonts, ce
qui était contraire aux décisions de l’Eglise. Puis, comme Chilpéric
revenait de la guerre, Frédégonde alla au-devant de lui et lui dit
qu’il ne pouvait plus avoir commerce avec Audovère, parce qu’elle
était à la fois mère et marraine de l’enfant. Chilpéric mit la mère et
la fille dans un couvent et épousa Frédégonde.
On peut rapprocher de la scène de la naissance de l’enfant
celle de la naissance de saint Berlin représentée sur un des
panneaux de Wied. L’épisode de Frédégonde agenouillée devant
le roi est d’une exécution délicieuse; je crois bien que l’artiste a
voulu représenter le moment où Frédégonde vient conter à Chilpéric
la faute commise par Audovère, mais peut-être faut-il reconnaître
dans la princesse agenouillée Audovère elle-même. La rubrique est
très concise : « Comment le roi Chilpéric manda Galsonde en
Espagne et comment il l’étrangla et comment il laissa la reine
pour Frédégonde. »
Que de détails exquis dans le fond de ce tableau : les tentes du
roi Sigebert, les guerriers minuscules allant et venant, la rivière
avec une île et un pont de bois, les collines surmontées l’une d’un
château, l’autre d’un gibet, la troisième d’un calvaire! Ce paysage
est à rapprocher de celui du panneau de Wied où figure l’incident
du leude Waldbert; toutefois, la manière d’indiquer les arbres n’est
pas identique dans le manuscrit et dans le tableau, et d autres
différences, celles-là plus importantes, se constatent entre les archi-
tectures, ici réalistes, là de fantaisie. Assurément, un peintre procède
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comme elle vivrait. Toul ainsi le jura Chilpéric. » Mais le roi de Sois-
sons était volage et il quitta bientôt sa nouvelle épouse pour Frédé-
gonde; celle-ci lui persuada d’étrangler la jeune reine, « une heure
qu’elle dormait dans son lit. » Là-dessus, il advint un miracle : « une
lampe de verre, qui devant son tombeau brûlait, chut d’aventure sur
le pavé; le verre, qui assez légèrement brise de sa nature, entra en
la dureté du pavé sans nulle fracture et sans nulle corruption, aussi
comme il l’eût fait en plein muid de farine buletée. » C’est le qua-
trième épisode de la miniature. Le cinquième, au second plan,
représente l’assassinat du roi Sigebert « en son tref » (camp) par les
sicaires de Frédégonde. Entre temps, Chilpéric avait pris une autre
femme, Audovère, qui lui donna trois fils; mais Frédégonde réussit
encore à se délivrer de cette rivale. Chilpéric était parti en guerre
contre les Saxons, laissant Audovère en couches. Elle mit au monde
une fille. Frédégonde lui conseilla perfidement de faire baptiser son
enfant en l’absence du roi et de la tenir elle-même sur les fonts, ce
qui était contraire aux décisions de l’Eglise. Puis, comme Chilpéric
revenait de la guerre, Frédégonde alla au-devant de lui et lui dit
qu’il ne pouvait plus avoir commerce avec Audovère, parce qu’elle
était à la fois mère et marraine de l’enfant. Chilpéric mit la mère et
la fille dans un couvent et épousa Frédégonde.
On peut rapprocher de la scène de la naissance de l’enfant
celle de la naissance de saint Berlin représentée sur un des
panneaux de Wied. L’épisode de Frédégonde agenouillée devant
le roi est d’une exécution délicieuse; je crois bien que l’artiste a
voulu représenter le moment où Frédégonde vient conter à Chilpéric
la faute commise par Audovère, mais peut-être faut-il reconnaître
dans la princesse agenouillée Audovère elle-même. La rubrique est
très concise : « Comment le roi Chilpéric manda Galsonde en
Espagne et comment il l’étrangla et comment il laissa la reine
pour Frédégonde. »
Que de détails exquis dans le fond de ce tableau : les tentes du
roi Sigebert, les guerriers minuscules allant et venant, la rivière
avec une île et un pont de bois, les collines surmontées l’une d’un
château, l’autre d’un gibet, la troisième d’un calvaire! Ce paysage
est à rapprocher de celui du panneau de Wied où figure l’incident
du leude Waldbert; toutefois, la manière d’indiquer les arbres n’est
pas identique dans le manuscrit et dans le tableau, et d autres
différences, celles-là plus importantes, se constatent entre les archi-
tectures, ici réalistes, là de fantaisie. Assurément, un peintre procède