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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 30.1903

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Nr. 2
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Bertaux, Émile: Victor Hugo, [2]: artiste
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https://doi.org/10.11588/diglit.24812#0175

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

quatre panneaux, qui d’un côté sont laqués en rouge et en or, et qui,
de l’autre, sont peints de couleurs fines et cendrées; les sujets sont
des paysages où se promènent des personnages en costumes anciens.
Laques et peintures sont d’excellents ouvrages chinois du xvme siècle.

Le mobilier de Hauteville Ilouse était pris dans quatre siècles et
dans deux mondes. Victor Hugo ne proscrivit de sa maison que le
style Empire, qu’il haïssait comme une tragédie de Népomucène
Lemercier, et aussi le Louis XVI, trop pompéien et trop classique,
trop droit et trop lin. Seuls quelques meubles graciles, tout en bois
d’acajou, sont alignés dans la salle à manger et dans la salle de bil-
lard. Leur dossier est un cadre simple et vide, au milieu duquel
montent et s’entrecroisent des volutes minces, d’une élégance bizarre
et compliquée. Ces meubles étrangement « modernes » sortent d’un
atelier de Londres, dont le chef a été au milieu du xvme siècle un
novateur audacieux. L’ébéniste Thomas Chippendale publia en 1754
un traité de son art, où il expliquait ses tentatives : il prétendait
combiner le meuble français de son temps avec des motifs d’archi-
tecture chinoise, mis à la mode par les pagodes des jardins anglais,
et avec les tracés flamboyants du gothique1.

En achetant des meubles de Chippendale, qui devaient être com-
muns dans les îles normandes, Victor Hugo, guidé par un instinct
confus, trouvait réunis, dans ces meubles anglais du xvme siècle,
trois styles auquels il a fait une large place en composant la décora-
tion de Hauteville Ilouse : le « gothique », le « rococo » et le chinois.

Ces divers styles et d’autres encore avaient fait leur partie dans
la cacophonie de bibelots qui emplissait les ateliers romantiques.
La « chaire gothique » voisinait avec le magot dans le logis du
Jeune France; au milieu de la fumée des pipes, Watteau et Boucher
fraternisaient avec Rembrandt et Murillo. Victor Hugo imita l’éclec-
tisme romantique en matière de mobilier; mais il ne traita point
antiquités et curiosités comme un simple élément de désordre pitto-
resque. En même temps, il n’eut point l’idée de mettre en valeur
une pièce pour sa seule rareté ou pour sa propre magnificence. Il
mêle dans un groupe les meubles de musée et de bibelots de paco-
tille. Il n’expose pas : il compose. Le décorateur procède par
ensembles, comme le poète par périodes.

Les groupes de tentures, de meubles, de bibelots que A ictor

1. T. Chippendale, The Gentleman ancl Cabinet Maher's Directory. Voir, au sujet
de ce curieux essai de style nouveau, un article de M. Alvan C. Nye : Chippendale
furniture, dans la revue américaine The Architectural Record, AT, 1897, p. 431.
 
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