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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
celui des peintres-selliers; la pratique pour les reliefs gaufrés est la leur1. Mais le
peintre, qui paraît suivre quelques conseils de Cennino Cennini2, ignore ou dédaigne
ces nuances délicates, presque éteintes, des miniaturistes parisiens. Ses couleurs sont
moins fluides, moins tendres, d’une fraîcheur moins idéale qu’à Cologne, et elles
n’ont point non plus la légèreté et la transparence de 1 email qu’elles prendront dans
les Flandres au xve siècle. Avec des moyens très simples, cette peinture est pourtant
assez solide. L’influence italienne, qui ne semble pas douteuse, en ce cas, a dû
s’exercer de façon indirecte — peut-être par Avignon — sur un artiste ou flamand
ou picard ou parisien.
Ce qui militerait en faveur d’un artiste originaire de la France septentrionale, ce
sont les types de l’homme et de la femme, assez représentatifs par les lignes du visage,
les cheveux, les yeux gris, d’une race répandue depuis la Somme jusque dans la
région d’Arras, Valenciennes et Lille.
Un dernier argument peut être fourni par l’arrangement des scènes, sobres jusqu’à
la sécheresse, sans accessoires ni comparses. La composition claire, logique, émane
d’un art plus intellectuel que sentimental, opposé ainsi à l’art germanique, et, à
certains points de vue, à l’art souvent théâtral de lTtalie.
Il resterait à déterminer à quel moment notre art conservait ces tendances tout en
subissant déjà des courants divergeants propres à le faire dévier ; à quel moment
aussi la technique de la peinture, influencée de diverses manières, a juxtaposé les
apports étrangers sans parvenir complètement à les fondre, produisant ainsi des
œuvres « hybrides » attirantes par leurs énigmes, mais délicates à classer, peu
propres à servir d’appoint sérieux dans les discussions, comme H. Bouchot le
remarquait, non sans un peu d’humeur.
Or, c’est au xive siècle que Y « éclectisme » ou 1’ « internationalisme » dans l’art
atteint son apogée, et caractérise plus spécialement, d’après Fiérens-Gevaert8,
l’école de Paris, qui fut un centre cosmopolite jusqu’aux malheurs du règne de
Charles VI.
Si, de plus, on songe à l’influence siennoise qui a pu se répandre soit par les
An gevins de Naples, soit par Avignon, il faut encore en accepter les dates de
i35o à i38o environ, le début du Grand Schisme ouvrant pour l’histoire du Comtat
une ère différente.
Certes, des traces d’archaïsme tendraient à faire reporter parfois le tableau au
début du xive siècle. Les nuages en zigzags du globe terrestre sont une « pratique
parisienne » dérivée des conventions romanes. Romanes aussi sont les ailes des
anges, acérées comme celles des hirondelles. Les plis du linceul des gisants son
indiqués par des traits serrés et menus comme dans les fresques italo-byzantines et
î. C’est celle que Malouel a conservée pour ses travaux à Champmol, en 1898.
2. Cennino recommande de teinter de vert la surface à peindre, ce qui a été fait au
triptyque d’Abbeville, tandis que les Français emploient de préférence des jaunes clairs,
comme au retable de Pampelune analysé par M. Bertaux (L’Art français à l’Exposition de
Saragosse, dans la Gazette des Beaux-Arts, 1909, t. I, p. 97).
3. Fiérens-Gevaert, La Peinture en Belgique : les Primitifs flamands ; Paris et Bruxelles,
G. van Oest et Cie, 1908-1910, in-4, t. I.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
celui des peintres-selliers; la pratique pour les reliefs gaufrés est la leur1. Mais le
peintre, qui paraît suivre quelques conseils de Cennino Cennini2, ignore ou dédaigne
ces nuances délicates, presque éteintes, des miniaturistes parisiens. Ses couleurs sont
moins fluides, moins tendres, d’une fraîcheur moins idéale qu’à Cologne, et elles
n’ont point non plus la légèreté et la transparence de 1 email qu’elles prendront dans
les Flandres au xve siècle. Avec des moyens très simples, cette peinture est pourtant
assez solide. L’influence italienne, qui ne semble pas douteuse, en ce cas, a dû
s’exercer de façon indirecte — peut-être par Avignon — sur un artiste ou flamand
ou picard ou parisien.
Ce qui militerait en faveur d’un artiste originaire de la France septentrionale, ce
sont les types de l’homme et de la femme, assez représentatifs par les lignes du visage,
les cheveux, les yeux gris, d’une race répandue depuis la Somme jusque dans la
région d’Arras, Valenciennes et Lille.
Un dernier argument peut être fourni par l’arrangement des scènes, sobres jusqu’à
la sécheresse, sans accessoires ni comparses. La composition claire, logique, émane
d’un art plus intellectuel que sentimental, opposé ainsi à l’art germanique, et, à
certains points de vue, à l’art souvent théâtral de lTtalie.
Il resterait à déterminer à quel moment notre art conservait ces tendances tout en
subissant déjà des courants divergeants propres à le faire dévier ; à quel moment
aussi la technique de la peinture, influencée de diverses manières, a juxtaposé les
apports étrangers sans parvenir complètement à les fondre, produisant ainsi des
œuvres « hybrides » attirantes par leurs énigmes, mais délicates à classer, peu
propres à servir d’appoint sérieux dans les discussions, comme H. Bouchot le
remarquait, non sans un peu d’humeur.
Or, c’est au xive siècle que Y « éclectisme » ou 1’ « internationalisme » dans l’art
atteint son apogée, et caractérise plus spécialement, d’après Fiérens-Gevaert8,
l’école de Paris, qui fut un centre cosmopolite jusqu’aux malheurs du règne de
Charles VI.
Si, de plus, on songe à l’influence siennoise qui a pu se répandre soit par les
An gevins de Naples, soit par Avignon, il faut encore en accepter les dates de
i35o à i38o environ, le début du Grand Schisme ouvrant pour l’histoire du Comtat
une ère différente.
Certes, des traces d’archaïsme tendraient à faire reporter parfois le tableau au
début du xive siècle. Les nuages en zigzags du globe terrestre sont une « pratique
parisienne » dérivée des conventions romanes. Romanes aussi sont les ailes des
anges, acérées comme celles des hirondelles. Les plis du linceul des gisants son
indiqués par des traits serrés et menus comme dans les fresques italo-byzantines et
î. C’est celle que Malouel a conservée pour ses travaux à Champmol, en 1898.
2. Cennino recommande de teinter de vert la surface à peindre, ce qui a été fait au
triptyque d’Abbeville, tandis que les Français emploient de préférence des jaunes clairs,
comme au retable de Pampelune analysé par M. Bertaux (L’Art français à l’Exposition de
Saragosse, dans la Gazette des Beaux-Arts, 1909, t. I, p. 97).
3. Fiérens-Gevaert, La Peinture en Belgique : les Primitifs flamands ; Paris et Bruxelles,
G. van Oest et Cie, 1908-1910, in-4, t. I.