Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (5. Pér. 5.1922)

LE GÉNIE DE PRUD’HON

A L’EXPOSITION DU PETIT-PALAIS

Silencieuse leçon d'esthétique ou d’histoire
de l’art, le classement d’un musée nous ren-
seigne avant tout sur l’esprit de l’époque qui l’a
voulu tel: c’est une date en l’histoire du goût.
Dans ce miroir, en effet, la fragile immortalité
des chefs-d’œuvre reflète inconsciemment les
points de vue qui changent et doit une significa-
tion particulière à la place nouvelle que l’heure
présente assigne aux témoins du passé ; c’est
ainsi qu'à la fin de 1920 la transformation des
salles françaises à notre vieux Louvre mettait
Prud’hon dans le xvme siècle, à l’étonnement
de quelques-uns de nos aînés dans la critique qui
le considéraient, au contraire, autant par le
sentiment que par l’exécution, comme le pre-
mier des initiateurs de la peinture moderne.

Or, comme toujours, le livre avait devancé le geste : il y a plus de soixante
ans déjà que les Concourt inauguraient magistralement par Watteau Y Art
du XVIIIe siècle, qu’ils terminaient par Prud’hon ; et David, avec une nuance
de dédain, n’appelait-il pas celui-ci « le Boucher de son temps »? — « Bou-
cher, de ridicule mémoire », renchérissait Boutard, le salonnier doctrinaire,
qui ne daignait reconnaître au modeste Prud’hon qu’un « heureux talent ».
En l’espace d’un siècle, la nuance méprisante s’est faite élogieuse ; mais la
faveur d’aujourd’hui, comme le dédain d’autrefois, se découvre une inclina-
tion tacite à replacer l’évocateur de Vénus et de Psyché dans 1 Olympe

V. - 5e PÉRIODE. 35

Phot. J.-E. Bulloz.

PORTRAIT DE Mlle MAYEK
MINIATURE PAR PRUD’HON
(Collection de M. Chévrier-Marcille.)